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La fiducie-sûreté

Présentation d’un régime général inspiré du trust anglo-saxon

 

Par Corinne Leblanc - 1998

 

 

 

La fiducie-sûreté

Introduction

TITRE I - NOTION ET CONSTITUTION DE LA FIDUCIE-SURETE

CHAPITRE  I - LA NOTION DE FIDUCIE-SURETE

SECTION  I   LE CONCEPT DE FIDUCIE-SURETE

SECTION  II  LES CARACTERES DE LA FIDUCIE-SURETE

CHAPITRE II - LA CONSTITUTION DE LA FIDUCIE-SURETE

SECTION I  LES CONDITIONS DE VALIDITE DE LA FIDUCIE- SURETE

SECTION II  LES CONDITIONS D’EFFICACITE DE LA FIDUCIE-SURETE

TITRE II - LE REGIME DE LA FIDUCIE-SURETE

CHAPITRE PRELIMINAIRE - DE L’EXECUTION AU DENOUEMENT DE LA FIDUCIE-SURETE

SECTION I   L’EXISTENCE DE LA FIDUCIE-SURETE

SECTION II   L’EXTINCTION DE LA FIDUCIE-SURETE

CHAPITRE I - LES EFFETS  DE  LA  FIDUCIE-SURETE ENTRE  LES  PARTIES

SECTION I  LES PARTIES ET LE CONTRAT LORS DE SON EXECUTION

SECTION II  LES PARTIES ET LE CONTRAT LORS DE SON DENOUEMENT

CHAPITRE II - LES EFFETS DE LA FIDUCIE -SURETE A L’EGARD DES TIERS

SECTION  I  LES AYANTS CAUSES ET CREANCIERS DES PARTIES ET LE CONTRAT

SECTION  II  LE TIERS ACQUEREUR D’UN BIEN AFFIDE ET LE CONTRAT

Projet de loi du 19 février 1992

BIBLIOGRAPHIE


La fiducie-sûreté

Présentation d’un régime général inspiré du trust anglo-saxon

 

 

 

 

Introduction

 

 

Notre étude présente un certain intérêt au regard du problème de l’inefficacité des sûretés réelles face au exigences du droit des procédures collectives dont elles subissent les effets.

 

D’une part, le payement de la créance est retardé. Ainsi, elles sont soumises à la suspension provisoire des poursuites. En cas de règlement judiciaire ou de liquidation des biens, les créanciers, même hypothécaires, doivent produire et sont donc soumis à la suspension des poursuites.

D’autre part, certains privilèges spéciaux (salariés) ou mobiliers généraux (Trésor) absorbent la totalité de l’actif - souvent principalement mobilier - du débiteur.

 

Une idée directrice de la loi du 25 janvier 1985 consiste à admettre que les créanciers antérieurs sont soumis à la discipline collective, et leurs droits sont restreints pour permettre le redressement souhaitable de l’entreprise. Il s’agit d’éviter que ceux-ci ne compromettent, par leurs poursuites individuelles, la survie et le redressement de l’entreprise, et pour assurer l’égalité entre tous.

 

La suspension des poursuites énoncée à l’art. 47 de la loi s’applique à tous les créanciers dont la créance a son origine antérieurement au jugement d’ouverture de la procédure: non seulement les créanciers chirographaires, mais encore ceux dont les créances sont garanties par un privilège, une hypothèque ou un nantissement, comme c’était le cas de notre client.

 

Voici ainsi rapidement mise en relief l’inefficacité des sûretés réelles dites  « classiques » (gage et hypothèque) lesquelles sont neutralisées par ces interventions législatives fondées sur d’autres priorités étrangère à l’idée de garantie des droits du créancier. Ce constat nous amène à nous intéresser à un autre type de sûreté plus efficace, comme nous essaierons de le démontrer dans les développements suivants, la fiducie-sûreté.

 

Un mécanisme général de fiducie-sûreté n’existe pas en droit français.

 

Pourtant, l’adoption d’un contrat de fiducie représenterait un pas considérable en droit des sûretés qui est à la recherche de garanties toujours plus efficaces.

 

L’efficacité des garanties peut être recherchée dans la propriété que le débiteur va transmettre à son créancier.

Dès lors, il n’est pas étonnant que le trust, par le transfert de propriété qu’il implique, comme nous le verrons infra, puisse être considéré comme une sûreté particulièrement efficace.

La propriété, dit-on, est la « reine des sûretés ».

 

Par rapport aux sûretés réelles traditionnelles, les transferts fiduciaires à titre de garantie présentent l’avantage de permettre au créancier de se désintéresser en toute indépendance grâce au bien érigé en garantie : le créancier fiduciaire étant propriétaire de ce bien, aucun créancier du débiteur ne sera en mesure de le primer sur le produit de la réalisation du bien.

La fiducie-sûreté présente ainsi l’énorme avantage de permettre au bénéficiaire d’éviter tout concours avec les créanciers privilégiés.

 

La fiducie utilisée à titre de garantie a certes été consacrée dans deux domaines précis par deux lois récentes.

La loi du 31 déc. 1993 consacre la pension livrée: un banque prête à une autre banque des liquidités comme moyen de financement; la banque emprunteuse transfère en propriété des titres de manière à garantir le remboursement de sa créance.

La loi de modernisation des activités financières du 2 juill. 1996 prévoit que toutes les opérations ayant pour objet des instruments financiers pourraient être garanties par une fiducie-sûreté ayant pour objet des titres, des effets, des sommes d’argent. Le législateur ajoute que ces réglementations échappent à la réglementation sur les procédures collectives.

Mais ces consécrations ne sont que ponctuelles et sont loin d’instaurer un mécanisme général de la fiducie.

 

Un tel mécanisme général existait en droit romain et était connue sous le nom de fiducia cum amico[1] , que Gaius distinguait de la fiducia cum creditore[2].

L’une ou l’autre, communément appelées « fiducie », se présentaient comme un pacte adjoint à un transfert de biens par lequel l’acquéreur s’engage auprès de l’aliénateur à opérer un nouveau transfert conformément aux conditions fixées par le pacte.

La fiducie-sûreté réincarnerait, mutatis mutandis[3], la fiducia cum creditore dont on trouvera intérêt à rappeler le fonctionnement:

Par ce procédé uniquement réservé aux citoyens romains, le débiteur aliénait au profit de son créancier, par mancipation ou par cession in jure, l’un de ses biens en sûreté de sa dette. En vertu d’une clause insérée dans la mancipation ou d’une déclaration faite au cours de la cession in jure, il était convenu que le créancier fiduciaire devait rétrocéder la propriété de ce bien au débiteur dès que ce dernier s’était acquitté de sa dette. Le créancier, propriétaire fiduciaire, pouvait user de la chose et en jouir comme bon lui semblait. Si, à l’échéance, le débiteur était défaillant, il pouvait soit conserver le bien, et ce même s’il avait une valeur supérieure à celle de la créance ainsi garantie, soit procéder à sa vente et se payer sur le prix obtenu sans craindre le concours des autres créanciers et tout en conservant le surplus de prix.

La fiducie tomba en désuétude et l’ancien droit ne l’a pas ressuscitée[4]. En effet, les légistes du XIIe siècle travaillèrent sur les compilations de Justinien, lesquelles sont silencieuses sur la fiducie[5]. Jusqu’à aujourd’hui, la fiducia cum creditore du droit romain n’était, pour les hommes d’affaires, qu’une institution amusante digne du musée des techniques juridiques[6]. Et pourtant, sans s’en douter, ils l’ont réinventée dans la deuxième moitié du XXe  siècle.

L’Association Française des Entreprises en difficulté, AFEP, avec le concours du regretté avocat général Pierre Gulphe, a proposé un texte relatif à l’affidation à insérer au code civil dans un titre XVII bis du livre III.

 

Le ministère de la Justice n’est pas demeuré sans reste: en 1992, la Chancellerie décidait de faire revivre la vielle institution romaine, et plus précisément, d’introduire en droit français une institution analogue au trust anglo-américain, institution qui se développa, nous le verrons, à partir d’un concept analogue, du moins proche, de la fiducie romaine. Dans cette perspective, un projet de loi a été adopté en Conseil des Ministres le 19 février 1992 visant à introduire à l’intérieur du livre troisième du code civil, intitulé : «  Des différentes manières dont on acquière la propriété. » un titre seizième bis : « De la fiducie » .  Il a été déposé à l’Assemblée Nationale à la session de printemps 1992 mais n’est jamais venu au débat.

 

En effet, le ministère des Finances est hanté par le spectre de la fraude fiscale alors que les civilistes ont de la peine à admettre cette institution hybride.

 

Ces préoccupations transparaissent au vu de l’importance respective des matières traitées: si vingt articles étaient insérés au code civil, neuf autres étaient consacrés aux règles comptables alors que quarante-sept régissaient les dispositions fiscales.

Le résultat de ces réserves a été le blocage du processus législatif.

 

Présentons la fiducie et son application en matière de sûreté.

 

La fiducie est un contrat translatif de propriété passé entre le constituant et le fiduciaire, à charge pour ce dernier de le gérer et/ou de le conserver conformément au but déterminé contractuellement et ce, au profit d’un bénéficiaire. Elle repose sur une opération triangulaire à trois personnes.

L’exposé des motifs du projet de loi nous éclaire sur les trois domaines d’application envisagés de la fiducie : gestion du patrimoine, transmission du patrimoine, sûreté.

La fiducie-sûreté est le contrat par lequel une personne (débiteur), le constituant ou fiduciant, transfère un de ses biens à une autre personne (son créancier), le fiduciaire, à fin de garantir le paiement de sa dette, à charge pour le fiduciaire de retransférer la propriété de ces biens au débiteur lorsque la garantie n’a plus lieu de jouer (ie au paiement de la dette). Ainsi, la fiducie-sûreté va permettre au débiteur d’obtenir du crédit en cédant à un fiduciaire, son créancier, un élément de son patrimoine à titre de garantie. Force est de constater qu’en matière de fiducie-sûreté, le fiduciaire sera, le plus souvent, également le bénéficiaire de la garantie procurée par le droit de propriété. L’opération n’est plus qu’à deux personnes[7]. Ce contrat repose sur le transfert de propriété de son bien, par le débiteur, au profit de son créancier, et ce à titre de garantie du paiement de sa dette.

 

Le projet est presque silencieux sur la fiducie-sûreté[8]. Il nous a paru intéressant de comprendre les raisons de ce « quasi-mutisme ».

Lors de l’élaboration du projet, la Chancellerie a hésité sur la méthode à adopter devant la variété des applications du contrat : « Fallait-il une réglementation spécifique propre à chacun de ces trois grands domaines d’utilisation : gestion, sûreté, libéralité, ou une réglementation unique et générale dans laquelle chaque situation particulière, pourrait s’insérer sous réserve, le cas échéant, d’adaptation particulière ? »[9]. C’est cette seconde voie qui a été adoptée et c’est, par conséquent, un texte de droit commun qui a été rédigé[10].

 

Le projet de loi définit la fiducie[11] comme « un contrat par lequel un constituant transfère tout ou partie de ses biens et droits à un fiduciaire qui, tenant ces droits et biens séparés de son patrimoine personnel, agit dans un but déterminé au profit d’un ou plusieurs bénéficiaires, conformément aux stipulations du contrat. » (art. 2062 futur c.civ.). Ce texte introduit dans notre arsenal juridique un nouveau contrat nommé et, en dépit d’une virtualité d’application très ouverte, en propose une définition générale et unique. On peut par ailleurs regretter que le projet adopté ne comporte qu’une quinzaine d’articles (les art. 2062 à 2070-11 c.civ.) lesquels ne contiennent manifestement pas un régime juridique complet de la fiducie. Certes, vouloir donner à la fiducie le vaste domaine d’application que reconnaissent les pays anglo-saxons au trust, c’est obliger un Etat de tradition juridique romaniste à multiplier les textes d’application[12]. A l’évidence, le Parlement aurait reculé devant la tâche si le gouvernement lui avait demandé de discuter et de voter un « code de la fiducie » comptant plusieurs centaines d’articles. De plus, il est temps de freiner la prolifération des textes spéciaux dénoncée au nom de la cohérence du droit parce qu’elle engendre le plus souvent d’inextricables problèmes d’interprétation. En revanche, les dispositions contenues au projet pourraient se révéler insuffisantes à régler le problème que poserait une application particulière de la fiducie et notamment, pour ce qui nous concerne, son application à fin de sûreté.

Néanmoins, cette situation présente l’avantage de la flexibilité car un texte trop précis conduirait à enfermer l’institution dans une mécanique détaillée, impropre à conférer la souplesse inhérente à l’institution : une institution souple appelle un cadre souple. Ainsi le projet reporterait sur les tribunaux l’élaboration du régime juridique de la fiducie, rôle que les magistrates ont joué pour le trust[13].

Pour se rapprocher du trust sur ce point, il faudrait développer considérablement la juridiction gracieuse, créer une sorte de corps de juges gestionnaires, un conseil de la fiducie. Mais il n’est pas dans l’esprit du droit français d’assigner ce rôle au juge[14](quoiqu’on puisse relever dans les anales jurisprudentielles une attitude du juge français en ce sens)[15]. En outre, il s’agirait de remettre en cause tout le rôle et la fonction judiciaire.

Le projet ne rejette-t-il pas implicitement cette solution quand il ne prévoit une intervention du juge que lorsque les choses vont mal, alors qu’il est presque déjà trop tard [16].

Du moins appartiendra-t-il au juge de se prêter à des interprétations téléologiques constructives ; dans cette ligne, les solutions qui guident nos voisins d’outre-Manche pourrait l’inspirer. Un droit français de la fiducie pourrait donc emprunter au common law certaines solutions pour peu qu’elles soient compatibles avec la catégorie juridique dans laquelle elles prétendront s’insérer[17].

 

Qu’en sera-t-il de la fiducie-sûreté ? Le praticien ne trouvera dans le projet que quelques articles faisant référence à une telle application[18] mais ces derniers sont impuissants à organiser un régime complet de la fiducie-sûreté.

 

La démarche que nous adopterons afin de présenter un régime le plus complet possible de la fiducie-sûreté consistera à partir des règles générales contenues dans le projet[19], puis à les compléter en utilisant des solutions empruntées au droit du trust, law of trusts et aux régimes juridiques d’autres opérations proches du trust; aussi, nous nous attacherons à les interpréter conformément aux principes du droit civil auxquelles elles sont soumises[20]. Du reste, avec cette audace et quasiment l’outrecuidance qu’autorise l’ignorance, nous n’hésiterons pas à nous en écarter éventuellement, étant donné la disparité des fondements qui sous-tendent ses dispositions et dont une application rigide risquerait de déboucher sur des incohérences et contradictions[21].

 

Une de nos sources principale est le régime du trust. Cela nous conduira inévitablement à une comparaison entre le trust et la fiducie. Il nous paraît utile, dès lors, de s’attarder quelque peu sur la présentation cette institution, la compréhension de laquelle passe sine qua non par son approche historique.

 

Au XIIIe siècle se développe outre-Manche une institution proche du concept de fiducie: le use, prédécesseur du trust. Les uses sont une réaction à l’encontre des règles de common law regardant la propriété de la terre. De nombreuses charges venaient grever cette propriété au profit du suzerain[22] et le propriétaire ne pouvait ni disposer de sa terre pour une date future, ni la léguer par testament[23]. Afin d’échapper à ces inconvénients ou aux sanctions qui pouvaient le frapper, telles que l’échute pour félonie, le propriétaire de la terre (le feoffor) transférait son bien à une autre personne (le feoffee to use, ie l’« inféodé pour profit » sous-entendu « d’autrui ») laquelle s’engageait à la tenir pour le compte ou au profit (to the use) d’une troisième personne (le cestui que use, abréviation de cestui a qui use le feoffment fut fait) qui pouvait être, soit le feoffor, soit un tiers, par exemple son héritier.

Cette pratique gagne rapidement du terrain, notamment au profit de ceux qui ne pouvaient pas être propriétaire de biens immobiliers, tel l’ordre religieux des Franciscains car astreint au vœu de pauvreté. Elle se développe durant les Croisades[24] pendant lesquelles il était courant de voir un chevalier, partant pour la Terre Sainte, transférer le titre de propriété de ses terres à un ami de confiance pour le compte de sa femme et de ses enfants. Le recours à fin de fraude des uses conduit le Roi Henri VII à les supprimer[25]. Ce texte abrogatoire suscita un large mécontentement. S’en suivi une attitude d’interprétation souple, voire laxiste, du texte, attitude qui permis la survie du use. Le use subsiste sous le nom de trust.

Le trust prît un essor considérable et joue aujourd’hui un rôle décisif dans les pays qui l’ont adopté. Précisons ce qu’il faut entendre par trust.

 

Le trust est une figure juridique très souple qui, à partir d’une structure de base triangulaire simple - settlor, trustee, beneficiary - permet les combinaisons les plus hardies. Comment le définir lorsqu’ « aucune définition du trust ne semble avoir été acceptée comme complète et exacte... »[26] ? Un choix s’impose. Nous retiendront la définition donnée par le comparatiste français René David car elle met en avant le caractère triangulaire de l’opération, rarement souligné par les common lawyers[27]: « Le trust repose, de façon générale, sur le schéma suivant: une personne, le constituant du trust (settlor of the trust) stipule que certains biens seront administrés par un ou plusieurs trustees dans l’intérêt d’une ou plusieurs personnes, le ou les cestui que trust. »[28].

Les usages qui peuvent être fait du trust ne sont pas dénombrables, « ils sont autant illimités que peut l’être l’imagination des juristes »[29]; Ainsi, comme le relevait Pierre Lepaulle, « depuis le règlement de la plus grandes des guerres jusqu’à celui de la plus humble, depuis les combinaisons les plus audacieuses de Wall Street jusqu’à la protection des petits-enfants, le trust voit défiler devant lui devant lui le cortège bigarré de tous les intérêts humains... »[30].

Voyons à présent les traits positifs qui caractérisent le trust.

 

Dans le trust, le droit de propriété est éclaté suivant une division inconnue des systèmes civilistes. En constituant un trust, le settlor transfère le titre légal de propriété sur un bien (legal estate ou legal property) au trustee. Cependant, et pour les raisons historiques invoquées supra, le droit de propriété du trustee se trouve amoindri par le droit de propriété concurrent du bénéficiaire sur le même bien (trust property). Le droit du bénéficiaire est un «droit équitable de propriété» (equitable interest ou equitable property) en ce sens qu’il est reconnu et protégé par les juridictions qui appliquent le droit de l’Equity[31]. Parce qu’il est titulaire d’un « droit » de propriété, le bénéficiaire peut obliger le trustee, qui ne s’est pas engagé envers lui, à remplir les obligations mises à sa charge par l’acte de trust[32]. C’est aussi sur le fondement de son « droit » de propriété qu’il va pouvoir exercer un droit de suite (tracing ) sur les biens du trust contre toute personne qui les détiendrait dans des conditions que la loi ne protège pas.

Il peut certes paraître curieux qu’une juridiction unique reconnaisse qu’une personne est propriétaire d’un bien et fasse droit à la demande d’une autre personne revendiquant la propriété de ce même bien. Mais il faut garder à l’esprit qu’en Angleterre coexistent deux systèmes de règles, le common law au sens strict (au sens large il englobe l’equity) et l’equity, lesquels protègent respectivement les deux propriétaires concurrents du même bien, le trustee et le bénéficiaire. Pour éviter les heurts inhérents à l’idée de concurrence, la règle est qu’en cas de conflit entre la propriété légale et la propriété équitable, la seconde prévaut sur la première[33]. Ainsi, la loi donne primauté aux règles d’équité en cas de conflit.

Le trust est plus qu’une division du droit de propriété. C’est aussi une relation fiduciaire obligatoire qui pèse principalement sur le trustee, vis à vis du constituant et du bénéficiaire. La permanence des relations entre le trustee et le bénéficiaire à qui il doit rendre des comptes (duty to account), les obligations de faire et de ne pas faire qui pèsent sur lui, les prérogatives lui sont conférées, le rapprochent d’un tuteur[34].

 

Si seul le trust exprès privé (express private trust) constituera matière à réflexion, inspiration et comparaison pour le cadre de notre étude, il ne faut pas occulter l’existence des autres types de trust.

Le trust privé[35] est à opposer au trust charitable (charitable trust)[36] dont l’équivalent français pourrait être la fiducie utilisée dans des opérations de mécénat[37].

Le trust exprès est à opposer au trust implicite (implied trust). Le trust exprès est crée intentionnellement et volontairement par le constituant[38] tandis que le trust implicite naît de la volonté présumée du constituant[39]. Or, le projet écarte expressément l’hypothèse d’une fiducie implicite lorsqu’il dispose à l’article 2063 alinéa 2 futur du code civil: « Le contrat de fiducie est passé par écrit... » et ajoute à l’alinéa 3: « La fiducie doit être expresse. ».

 

Dès lors, seul le trust exprès privé est comparable avec la fiducie-sûreté, pour ce qui est, du moins, de sa constitution.

 

L’intérêt du projet, ie adopter un « trust à la française », se mesure non seulement au regard de l’utilité et de l’efficacité de l’institution, c’est à dire sous un angle interne, mais aussi au regard de sa réception, de son utilisation et de son traitement par les « moteurs » (acteurs de la vie économique et praticiens) et « contrôleurs »  (juges) de notre pays, sous un angle externe. Il importe donc, pour mieux apprécier l’enjeu de notre étude, de s’intéresser à l’institution du trust vue sous un angle externe.

 

L’internationalisation des affaires a conduit les praticiens du droit français à se familiariser avec l’institution et les entreprises françaises à utiliser le mécanisme du trust en effectuant, en toute légalité, leurs opérations juridiques dans des états connaissant l’institution.

Les acteurs de la vie économique ont été séduits par la souplesse de l’institution mais surtout par un caractère essentiel du mécanisme: les biens mis en trust constituent une sorte de patrimoine indépendant de tout sujet de droit, insaisissable par les créanciers personnels du trustee comme par ceux du constituant, et dont l’unité est constituée par une affectation qui est libre, dans les seules limites des lois en vigueur et de l’ordre public.

Le trust est aujourd’hui fréquemment utilisé en France si bien que notre pays s’est soucié de résoudre les problèmes de droit international privé qui se posent lorsque les juridictions françaises sont confrontées à un trust comportant un élément français. A  cet effet, la France a participé à l’élaboration d’une « convention relative à la loi applicable au trust et à sa reconnaissance » dans le cadre de la conférence de la Haye de droit international privé. La France a signé cette convention le 26 novembre 1991. Cette convention oblige les Etats parties à reconnaître le trust en tant que tel, c’est à dire à introduire dans leur droit une catégorie juridique inconnue dans leur système interne[40]. Cela dénote une volonté nouvelle d’appréhender le droit étranger de façon compréhensive et positive plutôt que d’en refuser l’originalité de manière à le forcer dans les catégories juridiques internes.

Lorsque les juristes d’affaires ont appris que notre pays était sur le point de ratifier la convention, ils ont déploré la possibilité de reconnaître des trusts étrangers en France sans qu’il leur soit en même temps permis d’offrir à leur clientèle le recours à une institution offrant des avantages équivalents.

C’est pourquoi la Chancellerie décida l’élaboration d’un texte de droit français qui intégrerait l’institution du trust dans notre système juridique tout en la francisant. Il s’agit du projet de loi relatif à la fiducie.

 

Avant une telle intervention de la part de la Chancellerie, la pratique suppléait ce vide juridique par le recours à des opérations de type fiduciaire lesquels entraînent, à l’image du trust, un transfert de propriété de biens, à charge de gérer et de rendre. Une telle attitude n’est pas saine d’un point de vue juridique car ces opérations n’ayant aucun support juridique, il s’agit dès lors de les couvrir d’une qualification connue de notre droit[41]. D’autre part, de telles opérations baignent dans l’insécurité car elles sont constamment menacées par le risque d’une requalification judiciaire[42] en fonction des propres catégories du droit du for et des exigences incompressibles de l’ordre public[43] et d’un anéantissement en cas de fraude à la loi[44].

La consécration législative de la fiducie en ferait un contrat nommé. Ainsi sont assurées la sécurité juridique des opérations qui utilisent ce cadre contractuel, la clarté juridique au sein des diverses opérations fiduciaires désormais toutes soumises au même régime juridique. La consécration de ce contrat apporterait plus de transparence au sein de pratiques réputées et dénoncées pour permettre l’évasion fiscale.

 

Les hommes d’affaire, lassés d’attendre la réglementation générale de la fiducie, ont obtenu leur petite loi à eux.

La loi n° 96-597 du 2 juillet 1996 de modernisation des activités financières, que nous avons déjà brièvement évoquée, comporte un art. 49 ainsi conçu:

« Art. 49 - Quelle que soit leur nature, les dépôts effectués par les donneurs d’ordre auprès des adhérents d’une chambre de compensation, ou effectués par ces adhérents auprès d’une telle chambre en couverture ou garantie des positions prises sur un marché réglementé d’instruments financiers, sont transférés en pleine propriété soit à l’adhérent, soit à la chambre concernée dès leur constitution aux fins de règlement, d’une part, du solde débiteur constaté lors de la liquidation d’office des positions et, d’autre part, de toute autre somme due soit à l’adhérent, soit à cette chambre.

«Aucun créancier d’un adhérent d’une chambre de compensation ou, selon le cas, de la chambre elle-même, ne peut se prévaloir d’un droit quelconque sur ces dépôts, même sur le fondement de la loi n° 85-98 du 25 janv. 1985 relative au redressement et à la liquidation judiciaires des entreprises ou de la loi n° 84-148 du 1er mars 1984 relative à la prévention et au règlement amiable des difficultés des entreprises.»

Ainsi donc, des donneurs d’ordre peuvent faire des dépôts auprès d’adhérents d’une chambre de compensation et ces dépôts sont transférés à ceux-ci en pleine propriété. Le projet de loi indiquait que «les dépôts...sont acquis à la chambre concernée»[45].

 

Le rapporteur devant l’Assemblée Nationale a présenté un amendement au motif suivant: «La notion d’acquisition peut donner lieu juridiquement à des interprétations. Or celles-ci seraient contradictoires avec la sécurité juridique nécessaire aux opérations financières. Il convient donc de préciser que les dépôts auprès d’une chambre de compensation ou d’un adhérent leur sont transférés en pleine propriété. Ce faisant, on assure en toute circonstance le bon fonctionnement du mécanisme de la compensation».

Le ministre de l’Economie et des Finances déclara: «Le Gouvernement est favorable à cet amendement, qui lève toute ambiguïté et renforce la sécurité»[46].

Le représentant du ministre de la Justice n’éleva aucune objection, s’estimant satisfait par la présence du second alinéa de l’article.

 

On a vu que le trustee ne possède pas un droit de propriété complet: l’équité lui interdit de disposer à titre gratuit des biens reçus. L’art. 49, au contraire, ne pose pas cette restriction et rien ne s’oppose donc, en droit, à ce qu’un banquier fiduciaire fasse des libéralités par ce moyen.

 


Les banquiers luxembourgeois, désireux de bénéficier de la manne provenant des opérations fiduciaires, estimé en 1983 à 11 milliards de dollars, ont obtenu le règlement grand-ducal du 19 juill. 1983 relatif aux contrats fiduciaires des établissements de crédit. Par ce contrat, «une personne, le fiduciant, convient avec un établissement de crédit, le fiduciaire, que le fiduciaire sera rendu titulaire de droits patrimoniaux, l’actif fiduciaire, mais que l’exercice de ces droits sera limité par des obligations, le passif fiduciaire, déterminées par le contrat fiduciaire».

 

Il est à noter que ce texte a été élaboré par le ministère du Trésor sans consultation du ministère de la Justice. Fort court, il est muet sur la situation du bénéficiaire et sur les droits des créanciers du fiduciant et du bénéficiaire. Un privilège et un droit de rétention ont été institués au profit du fiduciaire, «véritable hérésie» se sont écriés les civilistes, un propriétaire ne pouvant être créancier sur son propre patrimoine.

Malgré ces objections de taille, aucun procès n’a surgi quant à l’application de ce texte qui paraît fonctionner à la satisfaction générale depuis plus de treize ans.

En outre, le législateur français pourra s’inspirer de la démarche de son homologue québécois qui a adopté, dans le nouveau code civil[47], un régime général de la fiducie.

Le Code civil du Bas Canada de 1866 contenait déjà un régime embryonnaire au sujet de la fiducie, mais ce régime a donné lieu à des difficultés d’analyse juridique considérables pour la raison très simple que l’institution fut conçue dans le contexte où régnait la notion classique du droit réel, la notion d’un droit de propriété «absolue».

Le nouveau code civil du Québec envisage le renouvellement de la fiducie sous forme de patrimoine d’affectation. où le cadre juridique du droit réel est dépassé[48].

 

Il importe que la Chancellerie fasse écho de ce qui existe et fonctionne déjà en matière de fiducie et adopte une bonne fois l’institution de la fiducie.

 

En attendant, nous nous proposons de présenter un régime de la fiducie-sûreté inspiré du trust anglo-saxon.

Le premier titre de notre étude sera consacré à la notion et à la constitution de la fiducie-sûreté. Nous essaierons de mieux cerner la notion et pour se faire, nous serons amenés à en dégager les caractères. Ceux-ci nous permettrons de justifier alors les conditions de constitution de la fiducie-sûreté, conditions tenant tant à la validité qu’à l’efficacité de celle-ci. Le second titre, consacré au régime de la fiducie-sûreté sera pour nous l’occasion de dégager les effets juridiques de la fiducie-sûreté durant son exécution et lors de son dénouement: nous analyserons dans un premier temps ses effets entre les parties contractantes, puis dans un second temps ses effets à l’égard des tiers au contrat.

 

Avant d’entrer dans les développements, nous tenons à ouvrir une parenthèse à l’attention du correcteur: la raison qui préside au choix de notre plan est qu’il est conforme à l’étude logique d’une institution juridique; mais nous restons conscients qu’il nous amène à considérer certains points sans grand intérêt par rapport à celui que présente l’analyse des questions controversées qui se posent en matière due fiducie-sûreté. Aussi, nous avons choisi des concilier deux objectifs : à la fois présenter un régime complet de la fiducie-sûreté, et essayer de résoudre, ou du moins, d’apporter des propositions relativement aux « points chauds » de la matière qui n’ont pas, pour certains, trouvé réponse, lorsqu’à tout le moins, ils ont été considérés. Dès lors, un tel choix nous conduira forcément à abréger certains points pour se consacrer plus longuement à d’autres, alors même que tous semblent tenir place égale dans notre plan.


 

TITRE I - NOTION ET CONSTITUTION DE LA FIDUCIE-SURETE

 

 

 

L’étude de la notion de fiducie-sûreté  (Chapitre I) nous permettra de voir comment le contrat de fiducie tel que présenté dans le projet de loi permet d’être utilisé à fin de garantie et on pourra déjà relever des différences avec le trust. Celles-ci se concrétiseront lorsque nous aborderons l’étude des conditions de constitution de la fiducie-sûreté (Chapitre II).

 

 

CHAPITRE  I - LA NOTION DE FIDUCIE-SURETE

 

L’article 2062 futur du code civil définit la fiducie comme le « contrat par lequel un constituant transfère tout ou partie de ses biens et droits à un fiduciaire qui, tenant ces biens et droits séparés de son patrimoine personnel, agit dans un but déterminé au profit d’un ou plusieurs bénéficiaires conformément aux stipulations du contrat ». Cette définition, parce que globale, n’appréhende pas directement le concept de fiducie-sûreté (Section I) mais elle met néanmoins en valeur les caractères de l’opération (Section II).

 

 

SECTION  I   LE CONCEPT DE FIDUCIE-SURETE

 

§ 1   L’idée de propriété utilisée à fin de garantie

A   L’idée confrontée aux règles impératives
La soumission de principe du contrat à l’ordre public

Si la fiducie utilisée à fin de garantie implique que le transfert de propriété ait lieu à cette même fin, encore faut-il que cette idée ne transgresse pas de dispositions d’ordre public.

Force est de rappeler le souhait des rédacteurs du projet tel qu’énoncé dans l’exposé des motifs: « ce contrat sera, s’il n’en est disposé autrement, soumis aux principes généraux du droit des obligations. La fiducie doit en effet s’intégrer dans l’ordre juridique préexistant, dont elle ne saurait bouleverser la cohérence. »[49]; ce souhait est formulé dans le projet à l’article 2062 alinéa 4 futur du code civil qui dispose: « La fiducie est soumise aux règles ci-après énoncées sans préjudice des dispositions particulières d’ordre public propres à la matière concernée. ».

 

Le contrat de fiducie réalise en soi le transfert de propriété

Ainsi, des auteurs ont pu se demander si le seul échange des consentements de l’aliénateur et de l’acquéreur suffisait à transférer la propriété ou bien si le transfert de la propriété nécessitait en plus le recours à un contrat nommé (vente, échange, donation); le cas échéant, le transfert du droit de propriété dans un but de garantie est inefficace en ce qu’aucun contrat nommé ne réalise un transfert de la propriété à cette fin. Le problème, résolu pour certains, serait clos par le projet de consécration législative du contrat de fiducie[50].

 

La fiducie ne contrevient pas au principe du numerus clausus des droits réels

Aussi, on a pu se demander si le principe du numerus clausus des droits réels - en considérant que c’est un principe consacré du droit français[51] - ne s’opposait pas aux opérations visant à transférer la propriété à fin de garantie. D’une part il n’en est rien car la fiducie opère un transfert de propriété sans démembrement de celle-ci, c’est à dire qu’elle opère un transfert en pleine propriété et ne crée pas de droits réels autres que ceux contenus dans le numerus clausus ( usus, fructus, abusus). En effet, si la fiducie vient limiter l’exercice du droit de propriété à son titulaire en ce qu’elle lui impose des obligations (voir supra), il ne s’agit que d’obligations strictement personnelles[52] qui ne restreignent en rien le contenu de son droit de propriété[53]. D’autre part, notre droit n’aurait rien à gagner à faire jouer un tel principe pour neutraliser la fiducie-sûreté car nous le jugeons dépassé au regard de l’utilité économique que l’on peut retirer de la propriété, en témoigne la fiducie; au surplus, ce principe parait beaucoup plus reposer sur la nécessité d’une certaine clarté des opérations juridiques que sur l ’essence du droit de propriété.

De telles questions ne se posent pas en common law qui ne connaît pas un tel concept de droit subjectif de propriété: le common law analyse plutôt les situations juridiques en termes de pouvoirs, en particulier de pouvoirs d’aliénation ; Ainsi, l’attribution du legal title au trustee n’indique pas que celui-ci ait un droit, mais seulement qu’il est habilité à agir. Or, en droit civil, cette distinction entre droit subjectif et pouvoir[54] est un produit de la codification napoléonienne inspirée des idées révolutionnaires[55], le common law n’a pas connu une telle rupture[56].

 

Le droit de propriété peut être l’accessoire d’un droit personnel

Des auteurs ont également soutenu que les caractères du droit de propriété empêchaient ce dernier d’être constitué en sûreté, c’est à dire d’être l’accessoire d’un droit personnel, la créance garantie. En effet, le contrat de fiducie est l’accessoire de la créance garantie et ce caractère accessoire suppose que la propriété fiduciaire se transmette avec la créance qu’elle garantit. Là encore il n’est pas choquant que la propriété puisse servir à la garantie d’une créance et donc lui être accessoire dès lors que les obstacles sont plus d’ordre philosophique et politique que juridique.

 

Le numerus clausus des sûretés réelles « élargi » d’une nouvelle sûreté

Pour rejeter la qualification de sûreté à la propriété fiduciaire a t-on pu invoquer le principe du numerus clausus des sûretés réelles[57] en vertu duquel il ne pourrait y avoir de sûretés réelles sans texte[58]. Peut-on considérer cette question hypothétiquement[59] close par la consécration législative de la fiducie ? Non si on s’arrête à l’examen de la définition très générale de la fiducie telle que figurant au projet et qui ne donne aucun indice explicite permettant une qualification éventuelle de la fiducie comme sûreté. Cependant, on doit répondre par l’affirmative quand on sait les raisons qui ont présidées à l’élaboration d’une définition si générale (cf. introduction); en outre, l’alinéa 3 de l’article 2062 futur du code civil s’intéresse au fiduciaire « lorsque la fiducie est conclue à des fins de garantie ». Nul doute donc que la consécration législative de la fiducie conduit à la création d’une nouvelle sûreté[60].

 

 

B  La consécration de l’idée

 

L’idée est de transférer la propriété d’un bien dans le but de garantir une créance et l’intérêt d’une telle consécration est grand au regard des sûretés classiques lesquelles se révèlent insuffisantes en ce qu’elles ne garantissent plus suffisamment le créancier du paiement de sa créance. Mais pour mesurer l’ampleur de cette consécration, il faut garder à l’esprit le fait que l’idée, loin d’être nouvelle, a déjà été mise en pratique.

 

Intérêt  majeur au regard de l’inefficacité des sûretés traditionnelles

La loi du 25 Janvier 1985 entérine le privilège accordés aux bénéficiaires de sûretés traditionnelles. En effet, la finalité première de la loi de 1985 est le redressement des entreprises viables. Pour ce faire, elle impose à tous les créanciers, y compris aux privilégiés, les mêmes sacrifices. Or, les sûretés réelles sont assises sur les biens de l’entreprise et leur exercice peut compromettre son redressement économique. C’est pourquoi, elles vont se trouver limitées dans leur valeur, notamment par un paiement tardif[61] et/ou partiel[62], voire même dans leur existence[63]: ainsi, la créance garantie non déclarée dans le délai légal et ne bénéficiant pas d’un relevé de forclusion est purement et simplement éteinte, la sûreté disparaît également par voie accessoire.

En outre, de par l’accroissement du nombre de créanciers privilégiés et autres super-privilégiés[64], la quasi-totalité de l’actif soumis à une procédure collective est absorbée. Le créancier titulaire d’une sûreté réelle n’a, dans cette hypothèse, aucune chance d’être désintéressé et le fait de s’aménager un rang préférentiel ne présente alors plus aucun intérêt puisque ce créancier se trouve dans une situation semblable à celle du simple chirographaire, à savoir impayé.

Or, cette situation de « sûretés traquées » mène au « crédit détraqué »[65]. En effet, les banquiers sont de plus en plus réticents à l’octroi de crédits aux entreprises ou alors exigent des garanties de plus en plus fortes, voire complètement disproportionnées par rapport au montant de la dette afin de compenser le risque d’insolvabilité.

Dès lors, les créanciers ont cherché la meilleure sûreté, c’est à dire la plus efficace en ce qu’elle assurera le remboursement de la dette même en cas de procédure collective ouverte à l’encontre du débiteur. Ils se sont rapidement tournés vers la « reine des sûretés », la propriété, la considérant comme le remède efficace aux maux des sûretés réelles traditionnelles.

 

Intérêt relativisé au regard de techniques contractuelles similaires

Avant la consécration de la fiducie-sûreté, l’idée de propriété utilisée à fin de garantie fondait déjà certaines techniques contractuelles.

Ainsi peut-on mentionner la vente à réméré[66], la clause de réserve de propriété et le crédit-bail[67], en quelque sorte détournés de leur fonction première afin de servir de garantie au crédit fournisseur et bancaire. Le cadre de cette étude ne nous permet pas de nous attarder sur ces techniques et nous invite à considérer à présent le mécanisme adopté par le projet.

 

 

§ 2  Le mécanisme de la fiducie-sûreté

 

En bref, la fiducie-sûreté est un contrat translatif de propriété à fin de garantie

La fiducie-sûreté est un contrat qui transfère la propriété d’un ensemble de biens par un débiteur, le constituant, à son créancier, le fiduciaire, à charge pour ce dernier de le conserver à fin de garantir le paiement de sa dette par le débiteur, et de le rétrocéder au terme déterminé par le contrat.

Le transfert initial de propriété est un effet automatique du contrat, il ne résulte pas de l’exécution, par le constituant, d’une obligation de donner.

Durant le temps de la garantie, ie pendant l’« exécution » du contrat de fiducie-sûreté, le fiduciaire a l’obligation de conserver le bien.

A la fin de la fiducie, laquelle interviendra lorsque la garantie n’aura plus lieu de jouer - et ce pour la simple raison que la dette, dont la fiducie servait à garantir le remboursement, aura été remboursée - le fiduciaire devra rétrocéder le bien au constituant-débiteur. Cette rétrocession va procéder de l’exécution de l’obligation, assumée par le fiduciaire, de rétransférer le bien au terme de la fiducie, et non comme certains auteurs ont pu l’expliquer, de l’accomplissement de la condition résolutoire à laquelle le transfert initial de propriété serait soumis.

Cette présentation du mécanisme se veut brève, elle en est forcément incomplète. Nous aurons l’occasion de présenter plus longuement ce mécanisme lorsque nous en étudierons les caractères. Mais la présentation approfondie du mécanisme ne présente véritablement d’intérêt que si on sait qui va le mettre en œuvre. Il faut identifier les « acteurs » de la fiducie, ce que nous nous apprêtons à faire.

 

Les acteurs de la fiducie et du trust et la question du cumul des qualités

En matière de fiducie-sûreté, le fiduciaire sera le plus souvent, également le bénéficiaire de la garantie procurée par le droit de propriété. Si cette « double casquette » est expressément autorisée par le projet de loi[68], il n’en va pas de même en matière de trust.

 

Le trust suppose habituellement trois personnes, le settlor, le trustee et le beneficiary, mais il peut, comme dans le cadre de la fiducie-sûreté, n’en comporter que deux[69]. Mais demeure une différence fondamentale et essentielle: le trustee est nécessairement une personne distincte du bénéficiaire et il ne saurait y avoir confusion en la même personne des qualités de trustee et de bénéficiaire.

Ce principe trouve son fondement dans la règle selon laquelle, dans la gestion du trust, le trustee doit éviter tout conflit d’intérêts avec lui-même; il ne peut notamment pas acquérir les biens du trust. L’idée est de «  le garder contre toute incertitude et les risques d’un abus, de le tenir à l’écart de toute tentation »[70].

Cela n’est pas sans rappeler la situation du mandataire qui, selon l’article 1596 du code civil, ne peut se rendre adjudicataire des biens qu’il est chargé de vendre[71].

Une telle préoccupation n’est-elle pas présente dans le projet lorsqu'il dispose à l'article 2070-1 alinéa premier: " Le fiduciaire exerce  sa mission dans le respect de la confiance du constituant. "? D'ailleurs pourrait-on songer à invoquer contre le fiduciaire malhonnête l'article 1596 c.civ., cette disposition devant s'interpréter comme applicable à toute personne chargée des intérêts d'autrui. Dans ce cas, on assimilerait le fiduciaire aux mandataire, dépositaire et autres détenteurs de biens d'autrui[72].

 

Ainsi, c’est d’une manière différente que le trust pourra être utilisé à fin de garantie de paiement: le settlor (débiteur) transfère un bien à un trustee dans l’intérêt d’un bénéficiaire (le créancier). On le voit, ce n’est pas du tout la même opération[73].

Le trustee étant nécessairement une personne distincte de celle du bénéficiaire, rien ne s'oppose dès lors à ce que le settlor soit également trustee. Ainsi, un père de famille qui partage son patrimoine ou un chef d'entreprise qui veut organiser la transmission de ses affaires sera désireux de garder un œil sur l'avenir. A cet effet, un certain nombre de possibilités lui sont ouvertes. D'abord, il peut devenir partie prenante dans l'opération de trust notamment en se désignant lui-même comme trustee. Il peut aussi se déclarer bénéficiaire. Mais une personne ne pouvant pas avoir des droits uniquement contre elle-même, le constituant ne peut pas se désigner à la fois comme seul trustee et seul bénéficiaire. En revanche, deux constituants peuvent se désigner tous deux comme seuls trustees et seuls bénéficiaires. C'est fréquemment le cas en Angleterre pour les maisons achetées en commun (cf. Re Cook, 1948, Ch. 212).

Lorsque le constituant cumule les qualités de trustee et de bénéficiaire ou bien lorsqu'il s'est réservé d'importantes prérogatives, on peut se trouver en face d'une opération juridique qui n'a de trust que le nom[74].

 

La situation du constituant d'une fiducie-sûreté est bien différente pour deux raisons tenant d'une part à la qualification contractuelle de l'opération et d'autre part à la finalité même de l'opération.

Parce que les parties au contrat de fiducie sont le constituant et le fiduciaire, on comprend bien qu'ils ne peuvent être une seule et même personne. Cela reviendrait à contracter avec soi-même, ce qui est interdit en droit français[75]. C'est aussi sa qualité de partie au contrat qui différencie le constituant du settlor, lequel "disparaît" une fois le trust crée[76].

Aussi, ce cumul ne permettrait pas le transfert de propriété, élément essentiel de la fiducie, qui ne peut se faire que d'une personne à une autre.

En outre, un tel cumul serait contraire  à la finalité de la convention de fiducie-sûreté car il n'y a alors aucune garantie.

 

De la notion même de fiducie-sûreté se dégage des différences manifestes avec le trust. Elles le deviennent plus encore avec l'étude des caractères de la fiducie-sûreté.

 

 

SECTION  II  LES CARACTERES DE LA FIDUCIE-SURETE

 

 

L' article 2062 futur du code civil définit la fiducie comme "un contrat par lequel un constituant transfère tout ou partie de ses biens et droits à un fiduciaire qui, tenant ces biens et droits séparés de son patrimoine personnel, agit dans un but déterminé au profit d'un ou plusieurs bénéficiaires conformément aux stipulations du contrat.". De cette définition ressortent nettement les caractères de l'institution. Les caractères fondamentaux sont la qualification contractuelle de l’institution (§ 1) et le transfert de propriété affecté à un but (§ 2).

 

 

§ 1  La qualification contractuelle de l'institution

 

 

La Chancellerie a décidé l'élaboration de ce projet de loi afin d'intégrer une institution qui puisse concurrencer le trust. Faute de pouvoir intégrer directement le trust pour les raisons développées en introduction, on a entrepris d'instituer un "trust à la française".

 

Trust et fiducie, deux opérations de nature juridique différente

Le trust naît d' un engagement unilatéral  du constituant (settlor) qui a transféré des biens à un tiers ayant vocation à devenir le trustee. Celui-ci utilisera les biens reçus au profit de bénéficiaires ou dans un but. Le trust ne naît pas d'un accord de volontés entre le constituant et le trustee ou entre le constituant et le bénéficiaire[77]. S'il y a un accord entre le constituant et le bénéficiaire, par exemple à l'occasion d'un emprunt, la convention est restreinte à la création future du trust, ce ne peut pas être elle qui crée le trust. Le trust ne relève donc pas du droit des obligations mais du droit des biens[78].

En revanche, la fiducie est un contrat passé entre le constituant et le fiduciaire, les bénéficiaires n'en sont pas parties.

 Voyons les caractéristiques de ce contrat avant de considérer les raisons qui ont présidé au choix de la qualification contractuelle et les difficultés qui en découlent.

 

La fiducie-sûreté, un contrat unilatéral à titre onéreux

La qualification contractuelle de l'opération nous mène naturellement à réfléchir à la nature unilatérale ou synallagmatique de la fiducie.

Le caractère unilatéral ou synallagmatique du contrat va dépendre de la question de savoir si le contrat est immédiatement translatif de propriété ou bien s'il met à la charge du constituant une obligation de donner. Nous opterons pour la première proposition car nous sommes d'avis à considérer que le contrat est immédiatement translatif de propriété sans que le constituant ait quelconque autre formalité à accomplir. Cette rapidité est voulue et son efficacité n'est pas atténuée par une éventuelle tradition  qui pourrait assortir le transfert et ainsi lui donner une dimension concrète puisque le constituant va rester en possession du bien donné en garantie[79]. Ce mécanisme met en exergue le stade de dématérialisation totale de la propriété auquel nous sommes parvenus et confère, plus encore que la vente[80], une dimension plus grande au principe du consensualisme..

Ainsi le constituant ne serait tenu d'aucune obligation née du contrat de fiducie. Peut-on alors conclure que le contrat est unilatéral en ce qu'il ne met des obligations qu'à la charge d'une des parties, le fiduciaire. Se pose alors le problème de la cause de l'obligation du fiduciaire[81]. Nous traiterons cette question lorsque nous étudierons les conditions de validité du contrat de fiducie.

Nous pouvons néanmoins remarquer que si le contrat de fiducie est unilatéral, l’opération économique dans laquelle il s’insère est bien synallagmatique. En effet, la fiducie-sûreté se combine avec un contrat de crédit pour former une opération unique d’un point de vue économique. Les deux contrats ne sont pas simplement juxtaposés mais interdépendants. Le contrat de fiducie n’a été conclu que pour assurer l’exécution du contrat de crédit. La cause de la fiducie se trouve dans le contrat de crédit ; en effet, les parties n’auraient jamais conclu une fiducie si le contrat de crédit n’avait pas été parallèlement conclu. Cela est logique car la fiducie-sûreté est l’accessoire du contrat principal de crédit.

La fiducie sera le plus souvent conclue à titre onéreux car comme nous l’avons déjà mentionné, la confiance se monnaye. Elle n’en demeure pas moins unilatérale.

 

La fiducie, un contrat commutatif. La fiducie-sûreté, un contrat aléatoire

La fiducie est un contrat, en principe, commutatif en ce sens que dès la conclusion du contrat, les prestations mises à la charge des parties, du moins à la charge du fiduciaire, sont déterminées. Cela sera d’autant mieux vérifiable que ces prestations vont faire l’objet de mentions obligatoires dans le contrat de fiducie[82]. En effet, ces dernières nous informent notamment sur la mission du fiduciaire ainsi que sur le sort du bien au dénouement de la fiducie. Dans le cas de la fiducie-sûreté, le bien sera rétrocédé au constituant.

Force est de constater cependant que l’exécution conforme de ces prestations va pouvoir varier en pratique, en fonction notamment de l’exécution, régulière ou non du contrat dont il est l’accessoire. En effet, nous le verrons[83], nous considérons que la fiducie-sûreté est l’accessoire d’un contrat principal, par exemple un contrat de prêt, le premier ayant été conclu pour garantir le fiduciaire-créancier des risques d’inexécution par le débiteur-constituant de son obligation de rembourser sa dette, obligation née du second contrat. On ressent bien, dès lors l’interdépendance entre ces deux contrats qui fera que de la bonne marche de l’un (le contrat principal) dépendra celle du contrat accessoire (la fiducie-sûreté) car accessorium sequitur principale. Il en résulte un aléa dans l’exécution des prestations issues du contrat de fiducie. L’événement duquel naîtra le plus souvent l’aléa sera le remboursement de la dette par son débiteur, le constituant de la fiducie. En effet, si le débiteur ne rembourse pas sa dette au terme convenu, le projet prévoit, implicitement, que le fiduciaire ne sera pas tenu de rétrocéder le bien cédé à titre de garantie[84]. Ainsi on le voit, l’exécution de cette obligation est fortement aléatoire.

C’est en cela qu’on peut admettre que le contrat de fiducie, lorsqu’il est utilisé à fin de garantie et devient dès lors accessoire à un contrat principal, est un contrat aléatoire.

 

La fiducie-sûreté, un contrat intuitu personae

La fiducie est un contrat conclu intuitu personae. Cela est logique pour un contrat qui repose sur la confiance, fides, que le constituant va mettre dans la personne du fiduciaire. Un contrat de confiance, à notre époque ou la confiance se monnaye (!)[85], exige que la loyauté soit « obligée », afin que l’ illoyauté soit sanctionnée. Le projet prend acte de ces considérations lorsqu’il pose que « le fiduciaire exerce sa mission dans le respect de la confiance du constituant »[86].

De ce caractère intuitu personae en découle directement une disposition qui impose que le fiduciaire exécute personnellement la mission qui lui a été confiée par le contrat. Toutefois, l’expérience d’autres contrats tels que le mandat qui admet que le mandataire se substitue quelqu’un[87], a conduit les rédacteurs du projet à admettre une dérogation similaire, tout en prenant garde à ce qu ’elle ne nuise pas au but de la fiducie: il est ainsi admis qu’il puisse laisser le soin à un tiers d’accomplir certains actes à sa place, mais il en est alors responsable[88].

 

La fiducie-sûreté, un contrat solennel

Enfin, la fiducie-sûreté est un contrat solennel. En effet, sa validité exige non seulement le respect des conditions de fond nécessaires à la formation des contrats énoncées à l’article 1108 du code civil (nous y reviendrons lors de l’étude des conditions de formation de la fiducie-sûreté) mais encore la rédaction d’un écrit lequel doit comporter des mentions obligatoires à peine de nullité[89].

 

 Pourquoi recourir à la qualification contractuelle alors que, nous le verrons, celle-ci est un frein considérable à l'efficacité de l'institution et donc de la sûreté ?

 

 

A  Le choix de la qualification contractuelle

 

Le contrat, fondement de l’obligation fiduciaire

La qualification contractuelle est précisément ce qui va justifier les obligations imposées au fiduciaire, que sa qualité de propriétaire est impuissante à expliquer.

En effet comment justifier que le fiduciaire-créancier ait l'obligation de conserver le bien cédé jusqu'au dénouement de la fiducie et ne puisse l'aliéner[90], prérogative que sa qualité de propriétaire lui confère? Faut-il rappeler les caractères exclusif et absolu du droit de propriété auxquels la fiducie, qui opère un transfert en pleine propriété, sans démembrement de celle-ci, ne porte aucunement atteinte ? Et que signifie le respect de la confiance du constituant comme obligation attachée au droit de propriété[91] ? Cette obligation de loyauté lui interdit d'utiliser la propriété qui lui est transférée à d'autres fins que celles déterminées par la convention de fiducie. Quel principe peut-on invoquer pour contraindre l'attributaire d'un droit subjectif à s'interdire certains actes que sa qualité l'autorise en principe à passer ?

Il ne faut pas chercher la solution dans la qualité de propriétaire du fiduciaire, et il est incorrect de dire que les obligations du fiduciaire sont attachées à son droit de propriété. Bien au contraire, ces obligations sont totalement détachées du droit de propriété et c'est justement le recours au contrat qui va permettre d'assurer le respect et l’exécution des obligations fiduciaires.

 

Les difficultés liées à la qualification contractuelle

L'association de ces deux "effets" (transfert de propriété et création d'obligations) va être la source d'incohérence et de contradiction dans les règles applicables à la fiducie, et partant, d'aléa pour l'interprète de ces règles.

Incohérence et contradiction en effet car plusieurs articles du projet posent des règles qui sont en porte à faux par rapport à la qualité attribuée au fiduciaire.

Bien que le transfert l'ait rendu propriétaire, son titre ne lui confère pas les prérogatives qui étaient celles du constituant, son ayant-droit. L'étendue des pouvoirs du fiduciaire est déterminée par le contrat qui fixe aussi le temps pendant lequel il peut les exercer[92]. En outre, on exige de l'acquéreur-fiduciaire qu'il remplisse des conditions qui relèvent de la compétence à exercer une fonction plutôt que de la capacité à acquérir un droit[93]. Enfin, les droits acquis par le fiduciaire, bien qu'ils soient de nature patrimoniale, ne sont pas transmis à son décès à ses héritiers[94], ni assujettis aux recours de ses propres créanciers[95].

Enfin, la qualification contractuelle de l’opération ne rend pas bien compte de la pérennité de la fiducie par rapport à la personne du fiduciaire. On devrait admettre en effet, pour assurer l’efficacité de l’opération (ie l’exécution du but de l’opération) que les circonstances personnelles au fiduciaire qui peuvent empêcher la poursuite de sa mission ne mettent pas fin pour autant à la fiducie. Mais tel n’est pas le cas[96] et les règles régissant la fin de la fiducie découlent logiquement de sa qualification contractuelle.

 

A côté de ces dispositions qui tendent à limiter les effets de la qualification donnée au fiduciaire, voire la contredire, il y a celles qui, au contraire s'y rattachent mais produisent un résultat malencontreux pour la fiducie.

C'est ainsi que la durée de la fiducie est établie en tenant compte des aléas de la vie du fiduciaire[97] ou de sa bonne conduite[98] et on trouve parmi les causes d'extinction de la fiducie des motifs qui sont personnels au fiduciaire, telle l'insolvabilité[99].

Ces causes qui rendent inaptes une personne à exercer une charge ne devraient logiquement qu'entraîner le remplacement du fiduciaire par une autre personne.

 

Les problèmes liés à cette disparité des fondements qui sous-tendent les dispositions du projet trouveraient d’emblée une solution si le projet reconnaissait que le fiduciaire, à l'image du mandataire ou même du trustee, n'exerce qu'une charge pour laquelle il dispose non pas de droits mais de pouvoirs.[100]

 

Des difficultés qui n’existent pas en common law

De tels problèmes ne se posent pas en common law car c'est précisément le "droit" de propriété du bénéficiaire selon l'Equity (equitable property) qui fonde les obligations du trustee.

Aussi étrange que cela puisse paraître pour un juriste de droit civil, le trust a la particularité de "transcender" les frontières du droit des biens et du droit des obligations en admettant que le droit réel du bénéficiaire[101] va être la source d'obligations imposées au fiduciaire. Ainsi, parce qu'il est titulaire d'un "droit" de propriété, le bénéficiaire peut obliger le trustee, qui ne s'est pas engagé envers lui, à remplir les obligations mises à sa charge par l'acte de trust, le juge ou la loi[102].

Mais le terme "obligation" n'est pas à prendre dans son sens civiliste, sens strict qui classe l'obligation dans les droits qui naissent entre personnes (ius in personam). Il faut admettre qu'une obligation est aussi un bien (res incorporalis)[103] afin de comprendre qu'une obligation puisse naître d'un rapport de personnes par rapport à un bien.

Ainsi, l'obligation du trustee peut-elle être qualifiée d'obligation propter rem (ie à cause de la chose) en ce que le vinculum iuris (lien de droit) entre le trustee et le bénéficiaire ne naît pas d'un rapport "obligatoire" (issu d'un contrat ou d'un délit) mais est en quelque sorte fondé sur l'idée d'enrichissement injuste[104]. Du reste, le recours à cette idée de droit "quasi-réel" pour justifier l'obligation du trustee est une fiction. En réalité, le common lawyer se préoccupe de trouver une solution pratique (practical remedy) au problème qu'il rencontre, avant de réfléchir éventuellement sur le fondement juridique de la solution à laquelle il est parvenu. Ces réflexions n'auront alors qu'un intérêt intellectuel[105].

 

La qualification contractuelle, début des incohérences du projet

Si le projet de loi, en imposant au fiduciaire une obligation de loyauté dans l’exécution de la fiducie, a essayé d'approximer la situation du trustee, il n'est néanmoins pas parvenu à établir un régime aussi cohérent que peut l'être celui du trust.

Les rédacteurs du projet prirent le parti d'attribuer au fiduciaire la qualité de propriétaire sans accepter d'en tirer toutes les conséquences. Conscients des incohérences et contradictions auxquelles cette démarche ne pouvait qu'aboutir, ils se sont limités à n'élaborer qu'un régime très incomplet de la fiducie, laissant à l'interprète la tâche de rechercher les règles supplétives applicables à la fiducie. Outre l'aléa que va comporter une telle démarche et les inconvénients conséquents  liés à l'insécurité juridique, cette situation aboutit à un paradoxe: on voulait un contrat nommé de fiducie pour plus de sécurité juridique mais la mise en œuvre de ce contrat n'aboutit qu'à plus d'insécurité juridique !

 

La qualification contractuelle n'apporte donc pas entièrement satisfaction quant à la tâche de combler les obstacles inhérents à l'élaboration d'un "trust à la française".

En outre, elle en devient une source d'inefficacité.

 

 

B   Les conséquences liées à la qualification contractuelle

 

Soumission au droit commun des contrats

En effet la qualification contractuelle conduit à soumettre la fiducie au droit des obligations, à ses règles et principes. Or, sa soumission au principe de la relativité des conventions va en compromettre gravement l'efficacité.

 

Soumission au principe de la relativité des conventions, source d’inefficacité

Un principe fondamental du droit des obligations est le principe de la relativité des conventions, principe exprimé à l’article 1165 du code civil[106]. C’est aux tiers absolus (penitus extranei, ie ni ayants-causes, ni créanciers de l’une ou l’autre des parties) que, selon ce principe, le contrat ne nuit, ni ne profite.

De ce principe, il découle que les tiers au contrat de fiducie ne seront tenu d’aucune obligation de ne pas faire et pourront, en toute légalité, acquérir les biens mis en fiducie que le contrat empêche pourtant au fiduciaire d’aliéner. En effet, si la convention empêche le propriétaire-fiduciare de disposer librement de son bien par le biais d’obligations mises à sa charge par le contrat de fiducie, cette restriction n’engage pas les tiers à la convention.

La soumission du contrat de fiducie à ce principe en limite donc l’efficacité car la protection dont devrait pouvoir jouir le fiduciant contre les éventuelles infidélités du fiduciaire s’en trouve limitée.

 

L’opposabilité du contrat, remède à cette inefficacité

La solution est à chercher dans la question de l’opposabilité du contrat aux tiers. En effet, il est enseigné que le contrat est un fait dont nul ne peut méconnaître l’existence. La situation de fait ainsi créée peut être opposée aux tiers, en ce sens qu’ils doivent respecter les droits que le contrat a fait acquérir aux parties. Ainsi, le tiers doit respecter le droit du constituant à la rétrocession de la propriété du bien et il leur est interdit de conclure avec le fiduciaire des conventions qui empêcheraient celui-ci d’exécuter ses obligations, notamment l’obligation de rétrocéder la propriété. Mais cette opposabilité ne peut être effective qu’à la condition que le tiers ait eu connaissance de la situation contractuelle.

Le droit anglais ne connaît pas un tel principe et donc l’equitable interest du beneficiary est opposable à l’éventuel acquéreur du legal estate entre les mains du trustee.

C’est pourquoi, afin d’assurer l’efficacité de la fiducie que la qualification contractuelle tend à amenuiser, on pourrait envisager une publicité du contrat de fiducie.

Car, comme nous le verrons au second chapitre, l’acquéreur du bien mis en fiducie, en violation du contrat[107], sera protégé par la théorie de l’apparence lorsqu’il aura acquis le bien de bonne foi. Cette situation, loin d’être une hypothèse d’école, risque souvent de se rencontrer étant donné que , dans la plupart des situations, le constituant-débiteur conservera la possession du bien et donc aura, à l’égard des tiers, l’apparence de propriétaire.

Pareillement, et en dépit de l’opposabilité erga omnes de l’equitable interest du bénéficiaire, le tiers acquéreur de bonne foi (bona fide purchaser for value without notice) est pleinement protégé par la doctrine of notice[108], équivalent de notre théorie de l’apparence; le bénéficiaire ne peut pas exercer son droit de suite à son encontre.

C’est pourquoi les anglais ont organisé un système de publicité pour les biens immobiliers[109]: toutes les terres et biens immobiliers sont répertoriées sur un registre (Land registar) mentionnant tous les estates et interests qui peuvent exister sur ces immeubles.

A cet effet, le projet de loi semble envisager une éventuelle publicité de la fiducie lorsqu’il pose à l’article 2070: « Lorsque la fiducie porte sur des droits et biens dont la mutation est soumise à publicité, celle-ci doit mentionner le nom du fiduciaire ès-qualités. ». Il faut comprendre que la fiducie donnera lieu à des formalités d’enregistrement lorsqu’elle entraîne le transfert d’un bien dont la mutation est soumise à publicité. Nous reviendrons sur cette question lorsque nous étudierons les conditions liées à l’efficacité de la fiducie-sûreté.

 

Le transfert de propriété ne s’analyse pas comme une condition de formation du contrat. C’est le second caractère fondamental de la fiducie auquel il nous faut nous consacrer à présent.

 

 

§ 2   Le transfert de propriété à titre de garantie

 

 

La fiducie est un contrat translatif de propriété passé entre le constituant et le fiduciaire, à charge pour ce dernier de gérer et/ou de conserver le bien transféré conformément au but déterminé au contrat et ce, au profit d’un bénéficiaire.

La fiducie-sûreté suppose, dès la conclusion du contrat, le transfert de propriété d’un bien (A) du débiteur au profit du fiduciaire, son créancier, affecté (B) à la garantie du paiement de la dette.

 

 

A   Un transfert de propriété[110]

 

Un effet automatique du contrat

Ainsi, le transfert de propriété du bien mis en garantie n’est pas une obligation du constituant. il n’est tenu à aucune obligation de donner[111]. Le transfert de propriété s’accomplit par le seul effet du contrat de la même manière que pour la vente[112] et même encore plus nettement puisqu’il ne s’accompagne d’aucune obligation de livrer la chose. En outre, l’aliénateur sera admis à conserver le bien en pleine possession.

De même, le transfert de propriété des biens au trust est l’acte essentiel que doit accomplir le constituant s’il veut rendre sa volonté effective. Force est de constater cependant une différence majeure avec la fiducie: il ressort de quelques dispositions du projet[113] que l’acte translatif de propriété sera intégré dans le même  document que l’acte contenant les stipulations du contrat de fiducie, ie le transfert de propriété se fera concomitamment à la conclusion du contrat de fiducie; en revanche, le transfert de propriété du bien mis en trust se fera antérieurement à l’acte constitutif du trust. En effet, la constitution d’un trust exprès privé implique que les biens ont été transférés par le constituant à une personne qui devrait devenir le trustee; une fois ce transfert réalisé, le trust proprement dit (instrumentum) peut être constitué.

 

Un transfert en pleine propriété

Le constituant doit transférer le bien en pleine propriété, c’est à dire qu’il ne saurait retenir un quelconque droit réel dessus, à l’image du settlor-beneficiary[114]d’un trust. En revanche, le settlor (débiteur) qui, en matière de trust-garantie ne peut pas être à la fois beneficiary (pour la simple raison que le beneficiary sera le créancier) ne sera pas admis à retenir un interest sur le bien transféré car ce serait contraire au but du trust: la garantie du paiement de sa dette par le settlor[115].

En outre, le bien transféré peut-être un simple droit réel qu’il tient sur une propriété démembrée, dès lors que le transfert de ce droit est absolu. Le projet rend possible une telle solution[116], laquelle est d’ailleurs admise pour le trust. Nous y reviendrons quand nous traiterons la question des biens transférés à titre de garantie[117].

                                                                             

De la possession à la propriété économique

Le constituant est admis à conserver la possession de la chose, c’est à dire qu’il va pouvoir en conserver l’usage[118]. Dès lors pourrait-on admettre que la fiducie conduit à un démembrement du droit de propriété entre la propriété juridique alors attribuée au fiduciaire et la propriété économique attribuée à la personne à qui la propriété sera transférée à la fin de la fiducie. Il s’agira du constituant en matière de fiducie-sûreté. Ainsi, à l’image du beneficiary (qui peut être le settlor), le propriétaire économique a la jouissance du bien en attendant de se voir (re)transférer le droit de propriété.

Ainsi faudrait-il reconnaître au débiteur-possesseur du bien une sorte de droit réel proche du droit du beneficiary, non seulement au regard de l’intérêt économique qu’on lui reconnaît sur le bien, mais surtout en ce que la certitude d’un transfert ultérieur de la propriété du bien vient sans équivoque limiter le droit de disposer du bien par son propriétaire, le fiduciaire[119].

 

Avant d’exposer les raisons qui fondent une telle analyse, il faut se rendre à l’évidence qu’à l’heure actuelle, le droit français n’admet pas un tel démembrement de propriété[120] en ce qu’il crée un droit réel non contenu dans le numerus clausus des droits réels. En revanche, cette analyse peut se prévaloir du soutien du droit fiscal. En effet, le droit fiscal tend à se fonder sur la réalité économique et non sur l’apparence juridique afin de déterminer la personne redevable de l’impôt[121]. Au soutien de cette analyse on peut citer la définition que donne de la fiducie le Vocabulaire juridique de Capitant de 1936 qui énonce que la fiducie est le « contrat par lequel l’acquéreur apparent d’un bien s’engage à le lui restituer à l’aliénateur quand celui-ci aura rempli les obligations qu’il a envers lui »[122]. De même, un auteur n’hésite pas à dire:  « il ne peut s’agir que d’une propriété apparente, le maître de l’affaire étant resté véritable propriétaire »[123].      

 

Notre analyse s’inspire de la situation qui existe outre-Manche, mais aussi du régime des avant-contrats tels que la promesse unilatérale de vente et le pacte de préference.Voyons comment le common law appréhende une telle situation avant d’examiner ce qui se passe de comparable en France.

 

Le démembrement fonctionnel de la propriété en common law

On a pu, d’une part, s’inspirer de la situation du beneficiary du trust en ce que ce dernier, à l’image du constituant de la fiducie-sûreté, va le plus souvent jouir de la possession du bien. Or, l’equity lui reconnaît la titularité d’un « droit réel  » (l’equitable interest) concurrent avec le « droit » du fiduciaire (le legal estate) sur le même bien. Ainsi dit-on que la propriété du bien est divisée sur une base fonctionnelle. En effet, le trustee se verra attribuer le management du bien (~gestion et disposition) tandis que le beneficiary profitera de l’enjoyment du bien (jouissance).

Les rédacteurs du projet ont délibérément rejeté l’hypothèse de tirer les conséquences d’une telle similitude entre le trust et la fiducie lorsqu’ils attribuent la pleine propriété du bien mis en fiducie au fiduciaire.

 

Le démembrement temporel de la propriété

En revanche peut-on s’inspirer d’une autre situation qui naît en dehors du trust. En common law, on admet qu’une personne puisse acquérir, à un moment donné, un droit futur de propriété (estate in expectancy)[124], tandis qu’une autre personne se voit attribuée le droit actuel de propriété sur le même bien (estate in possession ). Bien que l’estate in expectancy (~droit en attente) ne prendra effet qu’à une date future déterminée par l’aliénateur (souvent le constituant d’un trust), le propriétaire in expectancy (appelé remainder ) est titulaire actuel de ce droit futur et l’existence actuelle de ce droit va venir limiter la libre disposition, par le titulaire actuel, de la propriété du bien. En effet, il est titulaire d’un droit temporaire et il ne pourra l’aliéner que pendant la période durant laquelle son droit est encore effectif, sachant qu’à la date fatidique, ce droit, en quelques mains qu’il soit, sera ineffectif. Aussi, à cette date, il ne pourra pas conserver le bien, ce qui est une prérogative du droit de disposer. L’estate in expectancy est un equitable interest dont l’opposabilité sera assurée par son enregistrement au titre de charge. Le titulaire ce droit sera pleinement protégé quand il voudra faire valoir son droit en temps voulu qui, rappelons-le, existe dès son attribution[125].

On pourrait assimiler la situation du remainder à celle du bénéficiaire d’une promesse de vente.

 

De l’estate in expectancy au droit du bénéficiaire d’un avant-contrat préparant un transfert de propriété

En effet, si on reconnaît au bénéficiaire d’une telle promesse un droit personnel à la conclusion de la vente à son avantage[126], on refuse néanmoins de lui reconnaître un droit réel sur la chose[127], objet du contrat de vente. Par ailleurs, au regard des règles gouvernant la publicité foncière, on refuse d’admettre que la promesse unilatérale de vente constitue une restriction au droit de disposer[128]. En revanche, il a été admis que le pacte de préférence constituait une restriction au droit de disposer[129] et était, à ce titre sujet à publicité obligatoire[130]. Le pacte de préférence confère à son bénéficiaire un droit personnel à l’acquisition de la chose dans le cas où son propriétaire s’engagerait à la vendre. Cela revient à admettre qu’un droit personnel peut restreindre le droit de disposer[131]. C’est encore admettre la spécificité de ce droit personnel en ce qu’il donne à son titulaire droit à l’affectation du bien à son avantage. En d’autres termes, ce droit confère à son titulaire une maîtrise faible mais réelle[132] sur le bien, maîtrise qui le rend indisponible au cas où le propriétaire serait décidé à le vendre[133]. Cette indisponibilité juridique n’est autre que l’effet réel de ce droit personnel.

Ce droit personnel est donc plus qu’un simple droit de créance. Il s’agit d’un droit à l’acquisition de la chose, d’un ius ad rem. Ce droit réel éventuel, par anticipation, a un contenu  particulier. On a même pu le qualifier de « droit personnel d’affectation »[134] en ce qu’il va permettre l’affectation du bien au profit du titulaire de ce droit. Cette affectation du droit de propriété est le corollaire, du côté actif, de la restriction au droit de disposer que supporte le propriétaire.

Pour cette raison, les bénéficiaires ne sont pas des créanciers chirographaires ordinaires, ils sont titulaires de droits d’affectation.

 

Essai de qualification du droit du constituant de la fiducie-sûreté

Ne peut-on pas considérer que le constituant dispose, dès la conclusion du contrat de fiducie, d’ un droit actuel à l’aliénation future (au terme de la fiducie) de la propriété à son profit ? On peut qualifier ce droit de ius ad rem (~droit à la chose)[135]. Il ne serait que le corollaire de l’obligation future de rétrocéder la propriété du bien, pesant sur le fiduciaire et qui, pour refléter l’ « actualité » du droit du bénéficiaire,  se concrétise par l’obligation actuelle de conserver le bien cédé jusqu’à la fin de la fiducie[136].

 

Partant de ces analyses, on peut déjà raisonnablement conclure que la fiducie entraîne un démembrement de la propriété en conférant au fiduciaire un droit de propriété non absolu mais grevé d’une affectation particulière qui l’empêche de disposer librement de son bien.

 

 

B  Un droit de propriété grevé d’une affectation

 

Le transfert de propriété que réalise la fiducie-sûreté est affecté à la garantie du paiement de la dette due par le débiteur (le constituant) à son créancier (le fiduciaire).

Cette idée d’affectation est ce qui fait la supériorité de la fiducie, et partant du trust, sur d’autres institutions telles que la société en nom collectif.

Pour assurer le respect de cette affectation et ainsi atteindre l’efficacité du trust quant à cette préoccupation, le projet de loi a pris délibérément le parti de porter atteinte au principe de l’unité du patrimoine.

Selon cette théorie dégagée par Aubry et Rau au 19° siècle, toute personne ne peut être titulaire que d’un seul et unique patrimoine. Tout patrimoine est nécessairement rattaché à une personne. Il en découle la prohibition du patrimoine d’affectation.

 

Les biens fiduciaires forment un patrimoine d’affectation

Or, le projet pose à l’article 2062 futur c.civ.: « La fiducie est un contrat par lequel un constituant transfère tout ou partie de ses biens à un fiduciaire qui, tenant ces biens et droits séparés de son patrimoine personnel, agit dans un but déterminé au profit d’un ou plusieurs bénéficiaires conformément aux stipulations du contrat. ». Cet article admet, au profit du fiduciaire, la constitution d’un second patrimoine, distinct de son patrimoine personnel, et affecté à un but déterminé qui est, dans l’hypothèse de notre étude, la garantie de la dette de son débiteur, le constituant. Il s’agit là d’un patrimoine d’affectation[137].

Certes la fiducie déroge au principe de l’unité du patrimoine. Force est de constater cependant que d’une part, ce principe n’est pas intangible, et que d’autre part, c’était une condition nécessaire pour assurer à la fiducie une efficacité comparable à celle du trust[138].

Ce principe n’est pas intangible et le constat qui suit permet de s’en persuader: la loi du 11 juillet 1985 créant l’EURL lui porte une atteinte considérable[139] puisque l’associé unique se retrouve à la tête de deux patrimoines distincts, son patrimoine personnel  et un patrimoine « professionnel », ie comprenant les biens liés à son activité professionnelle. Nous n’ignorons pas, cependant, que certains auteurs démentent totalement la reconnaissance en droit français, du patrimoine d’affection[140].

 

L’ affectation, condition de protection du but de la fiducie

La création d’un patrimoine distinct du patrimoine personnel du fiduciaire est indispensable pour assurer en toute sécurité le but de la fiducie. Aussi, il s’agit de protéger les intérêts du bénéficiaire, lequel simple titulaire de droit de créance, est impuissant à agir sur l’utilisation que le fiduciaire-propriétaire des biens, fera de ces derniers[141]. En effet, lors de la fiducie, il faut s’assurer que les biens cédés à titre de garantie vont bien être utilisés à cette fin. Or, tel ne peut pas être le cas s’ils sont saisis par les créanciers personnels du fiduciaire insolvable impuissant à honorer des dettes étrangères à l’opération fiduciaire. Les biens mis en fiducie servent alors à honorer le remboursement de ces dettes. Tel n’est pas le cas non plus s’ils tombent dans la succession du fiduciaire à sa mort, alors même que le contrat de fiducie prévoyait la poursuite du contrat en dépit de cet événement[142].

Le recours à la notion de patrimoine d’affectation va permettre de placer les biens transférés à titre de garantie hors de la portée des ayants-causes du fiduciaire. Ils ne sauraient l’être, en tout état de cause par les créanciers du constituant puisqu’ils ne font plus partie de son patrimoine[143]. Seuls les titulaires de créance nées de la conservation ou de la gestion de ces biens par le fiduciaire pourront saisir les biens[144]. Cette solution est logique car ces créanciers ont contribué, par l’intermédiaire d’opérations effectuées avec le fiduciaire ès-qualité[145], à la réalisation du but de la fiducie. Une réserve est néanmoins apportée à cette règle en faveur des créanciers du constituant dont la sûreté née antérieurement à la fiducie, bénéficie d’un droit de suite[146]. Il s’agit d’éviter toute tentative d’organisation d’insolvabilité.

 

Conséquences liées à la constitution d’un patrimoine d’affectation

La notion de patrimoine d’affectation entraîne une nécessaire application de la subrogation réelle pour éviter que le patrimoine personnel du fiduciaire soit enrichi au détriment du patrimoine fiduciaire.

La conséquence pratique de la constitution de cette masse séparée est que le fiduciaire devra prendre sous sa responsabilité toutes les mesures nécessaires à l’identification des biens transférés en fiducie (art. 2069 al.1 futur c.civ.).

 

Patrimoine d’affectation et trust fund

Cette solution permet de se rapprocher du trust sur ce point, du moins quant aux règles qui en découlent. Voyons ce qu’il en est.

On peut partir d’une définition du trust énoncée par M.Lepaulle, lequel fixe son attention sur la masse de biens affectée au trust, constitutive d’un patrimoine séparé. « Le trust est une institution juridique qui consiste en un patrimoine indépendant de tout sujet de droit et dont l’unité est constituée par une affectation qui est libre dans les limites des lois en vigueur et de l’ordre public. »[147] Cette définition met en lumière le fait que les biens du trust sont séparés de tous les autres.

Mais le noyau de l’opération est l’idée d’affectation. En effet, si tout patrimoine est nécessairement rattaché à une personne, tel n’est pas le cas du trust . Le trust n’est pas une personne morale[148], mais un « patrimoine »[149]affecté. Selon M.Lepaulle, le trust ne serait la propriété de personne et serait doté d’une indépendance juridique, en sorte que les devoirs du trustee et les droits du bénéficiaire existeraient vis-à-vis du trust et non pas vis-à-vis de l’autre partie.

 

Nous ne pensons pas qu’il faille agréer à une telle analyse car si elle présente l’avantage de trancher le nœud gordien d’une manière élégante, elle ne correspond pas au droit positif anglais.

 

En effet et d’une part, les auteurs anglo-saxons tendent à caractériser le trust par la relation qu’il fait naître entre le trustee et le bénéficiaire ainsi que les droits de ces derniers. Citons à cet égard la définition proposée par Maitland: « ...quand une personne a des droits qu’elle est tenue d’exercer pour le compte d’un autre ou pour l’accomplissement d’un but particulier, elle est dit avoir ces droits en trust pour l’autre ou pour le but, et elle est appelée un trustee »[150]. L’accent est porté sur la titularité, par le trustee, des droits mis en trust, et donc sur le contrôle qu’il va exercer sur ceux-ci. L’idée de patrimoine d’affectation ne correspond manifestement pas à la conception que les anglo-saxons se font eux-mêmes du trust.

 

D’autre part, le recours à un tel concept ne présente guère d’utilité puisque, dépourvu d’une notion de patrimoine comparable à la notre,  le common law ne voit aucune objection de principe à admettre que les biens du trust échappent au recours des créanciers personnels du trustee. La solution est atteinte naturellement par le biais du dédoublement de propriété auquel aboutit le trust et qui va avoir pour effet de protéger l’affectation des biens constitués en trust. En effet, l’equitable title reconnu au bénéficiaire va lui permettre de restreindre la libre disposition, par le trustee, de son titre de propriété, le legal title, droit concurrent sur le même bien; il pourra également obtenir la rétrocession des biens aliénés « en rupture du trust » (in breach of trust ». Ainsi, il en découle que les biens du trust (trust property) sont en quelque sorte isolés dans une masse (trust fund) affectée à la réalisation des buts du trust et insaisissables par les tiers à l’opération, ayants-causes des parties ou tiers acquéreur[151]. Cette règle se trouve répondre efficacement aux problèmes posés en pratique, cela a suffi pour qu’on l’admette[152]. Nous verrons les effets de cette règle ainsi que ses limites dans le second titre consacré aux effets de la fiducie-sûreté.

 

Mais avant de s’intéresser aux effets de la fiducie-sûreté, la logique veut que nous nous intéressions à la constitution de la fiducie-sûreté.


CHAPITRE II - LA CONSTITUTION DE LA FIDUCIE-SURETE

 

 

Les conditions de constitution de la fiducie-sûreté vont refléter les caractères de l’institution pour la simple raison que ces derniers en découlent directement. Aussi convient-il de les rappeler: la fiducie est un contrat, c’est le premier caractère, contrat qui réalise un transfert de propriété affecté à un but, c’est le second caractère. Voyons comment ces caractères se reflètent dans les conditions de constitution de la fiducie tenant à la validité de l’opération (Section I) et dans celles tenant à l’efficacité de l’opération (Section II).

 

 

 

SECTION I  Les conditions de validité de la fiducie- sûreté

 

 

Les conditions de validité de la fiducie-sûreté tiennent essentiellement à sa qualification contractuelle en ce qu’elle va soumettre l’opération au droit des obligations. A ce titre, elle devra répondre aux conditions de fond communes à tous les contrats telles qu’énoncées à l’article 1108 du code civil. En outre, la spécificité de ce contrat va justifier qu’il soit soumis à des conditions qui lui sont propres. Nous ne séparerons pas les analyses de ces deux ordres de conditions en ce qu’elles se complètent et surtout en ce que les conditions particulières, lorsqu’elles dérogeront aux conditions communes, canaliseront l’exigence de ces dernières[153].

En outre, ce paragraphe sera l’occasion de voir dans quelle mesure l’ensemble de ces conditions va refléter les conditions de validité de la constitution d’un trust[154].

 

L’article 1108 du code civil pose quatre conditions essentielles pour la validité d’une convention. Voyons si elles sont présentes dans la fiducie-sûreté et si des dispositions particulières du projet n’y dérogent pas.

 

La première condition tient au consentement des parties. Contracter, c’est d’abord vouloir. Il faudra s’assurer que les parties ont réellement exprimé leur consentement de contracter une fiducie-sûreté, ie leur consentement d’obtenir les effets liés à cette convention.

De la même manière , on recherchera une « certitude d’intention » de créer un trust. Le plus souvent, elle se déduira de l’acte qu’une personne a accompli quant à des biens préalablement transférés dans des conditions régulières. L’acte peut être un écrit signé ou non. Il peut également résulter d’un comportement[155], ce qui est expressément exclu pour la fiducie[156].

Les rédacteurs ont été conscients de la gravité des effets d’une telle convention en dérogeant au principe du consensualisme[157] par l’exigence de la rédaction d’un écrit[158]. En effet, il faut s’assurer que les parties ne voulait pas qu’un simple transfert de propriété mais une fiducie. La différence est fondamentale au regard de ses conséquences: le simple aliénateur d’un bien n’aura pas normalement droit à la rétrocession de son bien au terme de l’exécution du contrat; parallèlement, l’acquéreur d’un bien à la suite d’un contrat réalisant un simple transfert de propriété pourra disposer de son bien en toute liberté. Ce souci préside aussi la disposition du projet au terme de laquelle « la fiducie doit être expresse »[159]. On exclut donc une interprétation de la volonté des parties dans le sens d’une fiducie présumée. On restreint du même coup l’éventail de situations dans lesquelles sont susceptibles d’apparaître une fiducie comparativement à ce qui se passe en matière de trusts. Mais surtout, on écarte la sanction originale du breach of trust fondée sur l’idée d’un trust implicite, le constructive trust, qui est imposée au trustee lorsque ce dernier a, par exemple, réalisé des profits personnels avec des biens du trust[160].

En outre, le principe du consensualisme subit une autre dérogation tenant au principe du parallélisme des formes. Un tel principe explique l’article 2064 futur du code civil lequel prévoit, outre l’écrit, que la fiducie conclue à fin de transmission à titre gratuit devra être passée devant notaire à peine de nullité. La justification est tirée de ce que la fiducie est un acte abstrait, ie c’est un cadre qui peut être utilisé à des fins diverses comme en témoignent ses diverses applications. Or, selon son utilisation, il va permettre d’accomplir des actes qui, conclus en dehors de ce cadre, requièrent l’accomplissement de formalités tantôt à peine de nullité, tantôt à peine d’inopposabilité. Le cas échéant, la fiducie devra se soumettre aux formalités exigées pour l’acte qu’il permet d’accomplir. Cette solution n’est autre que l’application du parallélisme des formes, solution que le projet a tenue à consacrer concernant la transmission à titre gratuit[161] mais qui devrait être, à notre avis, étendu à d’autres hypothèses. Car, en effet, nous considérons cette solution bonne en ce que l’absence d’une telle précaution engendrerait un risque pour l’efficacité générale du contrat de fiducie: en effet, la fiducie permettrait de faire ce que la loi ne permet pas[162]. Sa validité serait menacée d’une dénonciation pour fraude à la loi.

Une telle extension pourrait s’autoriser d’une interprétation par analogie de l’article 2064, même s’il s’agit là d’une exception au principe du consensualisme[163]. Nous envisagerons cette hypothèse lors de l’étude des conditions d’efficacité de la fiducie.

 

En matière immobilière, il faudra en outre, pour des raisons d’efficacité, accomplir des formalités de publicité. Il s’agit là d’une autre dérogation au consensualisme qui permet, en revanche, de renouer avec les origines[164]. Nous y reviendrons lors de l’étude des conditions d’efficacité de la fiducie-sûreté[165].

 

Enfin, on devra s’assurer de l’intégrité du consentement des parties, c’est à dire que leur consentement n’est pas entaché de l’un des vices énoncés à l’article 1109 du code civil[166].

 

 

La seconde condition concerne la capacité de contracter. Sur ce point, outre les cas d’incapacité du droit commun des contrats, le projet de loi pose des exigences relativement à la capacité du fiduciaire. En effet, le projet exige de l’acquéreur-fiduciaire qu’il remplisse des conditions particulières[167]. A notre étonnement - faisons preuve de naïveté - , alors que le fiduciaire a la qualité de propriétaire, ces conditions relèvent de la compétence à exercer une fonction[168] plutôt que de la capacité à acquérir un droit. Ces exigences mettent en évidence le caractère « passif » de la qualité de propriétaire du fiduciaire puisque, si on lui reconnaît cette qualité, il n’aura que faire de l’exercer. Ce n’est pas le but recherché par le fiduciaire qui en réalité ne s’intéresse au titre de propriété que par la sécurité qu’il lui procure. N’est-ce pas là l’intérêt d’une sûreté ? Ainsi peut-être n’aura-t-il jamais à exercer sa qualité de propriétaire, notamment si son débiteur honore ses dettes à l’échéance prévue. En revanche, on peut déceler dans ces conditions une exigence générale d’intégrité, de probité de la part du fiduciaire. C’est plutôt dans ce sens, à notre avis, qu’il faut comprendre ces conditions. Il semble par ailleurs tout à fait logique d’exiger du fiduciaire un minimum d’intégrité car il représente, ne l’oublions pas, la personne dans laquelle le débiteur-constituant va placer sa confiance. Ce souci est exprimé à l’article 2070-1 futur du code civil qui rappelle que le « fiduciaire exerce sa mission dans le respect de la confiance du constituant ». Cette exigence doit être d’autant plus requise que bien souvent, le fiduciaire sera placé dans une position de supériorité vis-à-vis du bénéficiaire[169].

Le droit des trusts règle le problème le la capacité des « parties » au trust conformément au droit commun[170]. Il n’y a donc rien de pertinent à signaler, si ce n’est une particularité liée à un principe de common law selon lequel Equity do not want for a trustee (~ le droit de l’equity ne requiert pas nécessairement un trustee). Il en résulte que même si un trustee est frappé d’incapacité, le trust survit à l’absence de trustee[171].

 

La troisième condition est relative à l’objet du contrat de fiducie. L’objet, c’est ce à quoi le débiteur de l’obligation est tenu envers son créancier. Nous considérons que le contrat de fiducie est unilatéral. Dès lors, il n’y a qu’un seul objet : c’est précisément la mission du fiduciaire, laquelle est de conserver le bien durant le temps de la garantie; elle implique la rétrocession du bien au dénouement de la fiducie, ie quand la garantie n’a plus lieu de jouer pour la raison simple que le constituant a remboursé sa dette.

L’objet doit être déterminable[172]. Il doit par ailleurs être licite[173].

L’objet du contrat sera aisément identifiable en ce qu’il va faire l’objet de mentions obligatoires[174].

En effet, le projet exige, à peine de nullité, que le contrat indique les biens et droits cédés, définisse la mission du fiduciaire et fixe l’étendue de ses pouvoirs d’administration et de disposition[175] .

On retrouve cette condition en matière de trust à travers l’exigence de certitude quant aux biens du trust, ce qu’on appelle certainty of-subject matter[176]. En l’absence de certitude quant aux biens sur lesquels porte le trust, il n’y a pas trust. Il n’y a pas non plus de trust, s’il n’est pas possible de connaître avec certitude les droits de chaque bénéficiaire sur ces biens et corrélativement les pouvoirs du trustee sur ces biens.

Cette exigence va en outre permettre de s’assurer que les biens appartiennent bien au constituant. C’est une condition sine qua non de la constitution de la fiducie puisqu’elle implique le transfert de la propriété d’un bien appartenant au constituant . Or nemo dat quod non habet. Il en résulte que, à l’image de la vente[177], la fiducie ne peut porter sur des biens appartenant à autrui.

Il est intéressant de constater qu’une telle possibilité est, à moindre mesure, mais en apparence seulement, permise en common law. En effet, il est admis qu’un bénéficiaire puisse créer un trust (sub-trust) sur le droit qu’il détient dans un trust, ie sur son  equitable interest . Le transfert au nouveau trust sera alors limité à l’equitable interest. Or n’oublions pas que cet interest , sorte de « droit réel » sur un bien est concurrencé par le legal estate que détient le trustee du premier trust sur le même bien. Un « civiliste » peu regardant sur ces distinctions essentielles, parce que les ignorant, tel un profane s’arrêtant au théâtre des apparences, serait rapidement conduit à reconnaître dans cette situation une hypothèse de transfert de la propriété d’autrui. En effet, le trustee prenant des actes de disposition et d’administration relativement aux biens du trust serait assimilé au propriétaire, au sens « civiliste » du terme, tandis que le bénéficiaire, parce qu’il est en possession du meuble ou parce qu’il occupe l’immeuble, serait assimilé, par exemple, à un simple usufruitier. Voici le bénéficiaire qui prétend à transférer la propriété du bien dont il a la jouissance. Notre « civiliste », dupé par les qualités apparentes des trustee (vu propriétaire) et bénéficiaire (vu usufruitier), est amené à qualifier cette situation de transfert de la propriété d’autrui. Or il n’en est rien. Si le bénéficiaire n’a, en effet, que la « jouissance » (enjoyment) du bien, il n’en demeure pas moins titulaire d’un véritable « droit » sur la propriété de cette chose. C’est son equitable interest. En outre, il peut valablement transférer son droit sur le bien sans que cela nuise au titulaire d’un droit concurrent sur ce même bien  (le trustee titulaire du legal title) ni même se voir reprocher de transférer la propriété d’autrui . La raison en est que ces deux droits réels concurrents sur le même bien sont indépendants et séparés par l’effet du trust.

Cette analyse est transposable à la situation dans laquelle un trustee va créer un trust à partir du legal estate qu’il détient (trust upon trust)[178].

 

La condition tenant à l’objet ne pose pas de difficultés majeures. Il n’en va pas de même quant à la quatrième condition.

 

 

La cause du contrat constitue la quatrième condition. La nécessité d’une  cause licite dans l’obligation telle qu’énoncée à l’article 1108 dénue d’effets « l’obligation sans cause, ou sur une fausse cause, ou sur une cause illicite[179] ».

La cause d’un contrat est le but en vue duquel les parties ont contracté.

Quelle peut-être la cause du contrat de fiducie-sûreté ?

Ce contrat étant unilatéral, on devra rechercher la cause du contrat dans la cause de l’obligation du seul débiteur[180] , c’est à dire dans l’obligation du fiduciaire.

L’obligation du fiduciaire se décompose en deux temps: pendant la fiducie, (ie période pendant laquelle le bien transféré doit garantir la dette), le fiduciaire est tenu de conserver le bien cédé et, à la fin de la fiducie (quand la garantie n’a plus lieu de jouer, ie quand la dette a été remboursée) , il est tenu de rétrocéder le bien cédé.

Les auteurs classiques, recherchant la causa proxima[181] de la fiducie-sûreté (conclue à titre onéreux), auraient considéré qu’il y a là absence de cause[182] pour annuler le contrat.

Aujourd’hui, il faut rechercher la cause de la garantie dans le contrat de base. Ainsi, on pourrait trouver la cause de la fiducie-sûreté dans la bonne exécution du contrat de crédit duquel il est l’accessoire. En effet, le fiduciaire s’est engagé à conserver puis à rétrocéder le bien cédé à titre de garantie parce que le constituant, débiteur au contrat de crédit, s’est lui-même engagé à rembourser la somme créditée, à l’échéance prévue au contrat principal, le contrat de crédit. Il y a ainsi une sorte d’interdépendance des deux contrats: le contrat accessoire, la fiducie-sûreté, n’existe que parce que le contrat principal, le contrat de crédit, a été conclu. Ces deux contrats sont en quelque sorte liés au sein d’une même opération économique: un crédit consenti à l’appui d’une garantie. Le législateur de 1979 a su faire preuve de « réalisme » en tirant les conséquences juridiques d’une interdépendance entre deux contrats (prêt et vente) au sein d’une même opération économique (acquisition d’un immeuble nécessitant le recours au prêt) [183]. Ces deux opérations se caractérisent pareillement par l’interdépendance des contrats figurant au cœur de celles-ci.

La perspective d’un remboursement de la part du débiteur est sans doute souhaitée par le créancier mais elle est insuffisante à justifier qu’il s’oblige; il ne retire aucun intérêt autre que celui de voir remboursée la somme qu’il a prêté, remboursement qu’il était déjà en position d’espérer et d’exiger au terme de l’exécution du contrat de prêt. pourquoi s’obligerait-il dans l’idée d’obtenir ce qu’il peut déjà exiger au terme d’un premier engagement, sans avoir à s’obliger en outre. Nous opterons en définitive pour une autre analyse.

 

L’analyse la plus juste, à notre humble opinion, consiste à dire que le contrat de fiducie-sûreté peut constituer en elle-même la cause de l’obligation fiduciaire. En effet, la cause de l’obligation de conserver la propriété, puis de la rétrocéder pesant sur le fiduciaire repose dans la confiance que le constituant a mise en sa personne en lui transférant la propriété des biens. En acceptant de contracter, le fiduciaire  accepte d’honorer la confiance que lui fait le constituant. Force est de constater que la doctrine italienne[184] retient la même analyse, à la seule différence qu’elle l’utilise pour justifier non pas l’obligation fiduciaire mais le transfert initial de propriété[185]. Certes vous pourriez reprocher à cette analyse d’être fictive, d’autant plus que, comme nous le suggérons plus loin, nous considérons que l’idée de confiance associée à l’intuitu personae n’a plus vraiment sa place dans le contrat de fiducie-sûreté. Nous en convenons, mais conservons notre position. En effet, même en l’absence d’un véritable rapport de confiance sur lequel serait basé le contrat, le contrat de fiducie-sûreté constitue toujours la cause de l’obligation fiduciaire, cause qui devient fictive car dans ce cas, le contrat est un acte abstrait. L’acte abstrait est un acte détaché de sa cause, et dont la validité serait indépendante du point de savoir si elle existe et si elle est licite. Si notre système juridique causaliste est réticent à reconnaître l’acte abstrait qui est le principe en droit allemand, le caractère d’acte abstrait a pu être décelé dans certaines opérations telles que la garantie autonome ou garantie indépendante internationale[186]. Admettre que la fiducie-sûreté est un acte abstrait, c’est clôturer la discussion au sujet de sa cause.

 

Ces remarques nous montrent que la fiducie-sûreté régulièrement créée, en apparence, n’est pas pour autant placée à l’abri de toute critique. Pour minimiser ce travers, il faut encore que la fiducie-sûreté soit entourée de précautions liées à son efficacité. Nous y venons, après l’allocution qui suit liée à l’exigence d’autres mentions obligatoires à stipuler au contrat à peine de nullité.

 

Le projet de loi impose, à peine de nullité, que soient désignés les bénéficiaires, ou fixées les règles de leur désignation[187]. Cette exigence correspond à celle du common law relative à la certitude quant aux bénéficiaires qui se traduit assez étonnamment par certainty of objects (certitude quant à l’objet du trust)[188]. Ainsi, l’objet du trust, ce sont les bénéficiaires ou les buts du trust, et non les biens constitués en trust (sujets du trust), lesquels, s’agissant de la fiducie, représentent l’objet du contrat.

 Mais la comparaison est inutile ici et  même dangereuse en ce qu’elle reviendrait à déformer des concepts bien établis: en effet, la notion d’objet en matière de contrat est bien plus qu’une simple référence au but du contrat, c’est une notion chargée de sens à ne pas prendre dans son sens courant au risque de créer des malentendus. Dès lors, elle n’est pas comparable à l’idée d’objet dans le trust entendu le plus simplement comme le but du trust.

Cette exigence correspond également à celle du droit anglais selon laquelle le trust doit être opératoire, c’est à dire qu’il puisse être mis en œuvre pratiquement, et qu’une juridiction soit à même d’en assurer le contrôle. Or, un trust ne peut être mis en œuvre que s’il y a un bénéficiaire susceptible d’agir en justice pour obliger le trustee à se conformer à sa mission.

Une telle exigence est logique car le contrat de fiducie fait naître des obligations à la charge du fiduciaire. Or, c’est le bénéficiaire qui va être créancier de ces obligations. Comment s’assurer de l’exécution par le fiduciaire de ses obligations quand les seules personnes qui peuvent en exiger ne sont ni identifiées, ni identifiables ? Cette exigence va de soi en matière de fiducie-sûreté car le bénéficiaire va être le constituant dont on connaît forcément l’identité puisqu’il est débiteur au contrat principal de crédit[189].

 

Le contrat doit en outre stipuler les conditions du transfert du bien au bénéficiaire, ou de sa rétrocession au constituant. Il s’agit là d’organiser les modalités d’exécution de l’obligation de donner incombant au fiduciaire et exigible au terme stipulé au contrat (le remboursement de la dette s’agissant d’une fiducie-sûreté.

 

Enfin, le contrat doit déterminer « la durée de la fiducie, qui ne peut excéder 99 ans à compter de la date du contrat. »[190]. Cette exigence est liée à la prohibition de la clause d’inaliénabilité. Une exception est néanmoins admise lorsque l’inaliénabilité est temporaire et justifiée par un intérêt sérieux et légitime. Le présente exigence du projet permet, en tout état de cause, de remplir la première condition de l’exception, à savoir le caractère temporaire de l’inaliénabilité, puisque, au maximum, l’inaliénabilité sera de 99 ans.

Une telle préoccupation, inspirée de l’interdiction des trusts perpétuels, se retrouve dans le droit des trusts. Une règle ancienne de source jurisprudentielle (case law) limitait la durée de validité des trusts[191]. Le législateur anglais en a reformulé l’expression[192]. Il en résulte que la période de validité d’un trust est normalement de vingt et un ans. Si la différence avec la durée de la fiducie peut paraître surprenante, elle devient tout à fait justifiée lorsqu’on se remémore que le transfert de propriété des biens mis en trust peut avoir lieu bien avant le moment où le trust (entendu comme trust document) sera conclu et entrera en activité. Ce transfert peut même avoir lieu « une vie » avant l’effectivité du trust[193]. Or, le délai court du jour où le trust devient effectif [194], ie au maximum[195], « une vie » après le transfert initial de propriété. De sorte que le trust peut durer au maximum aussi longtemps que la vie d’une personne vivante au moment de sa création, plus une période de vingt et un ans. La durée totale maximum d’un trust sera, on le voit[196], très proche de celle de la fiducie.

 

Cette allocution, du reste assez longue, clôt le développement sur les conditions ad validitatem de la fiducie-sûreté.

En guise de conclusion à cette section, nous ferons remarquer qu’il appartiendra au juge, en cas de litige sur ce point, d’apprécier si les conditions ci-dessus exigées sont présentes ou non et qu’en cas de doute, il devra se livrer à une interprétation de la volonté des parties. Par le biais de cette remarque qui présente peu d’intérêt en soi, nous tenons en réalité à mettre en exergue un des rarissimes point commun relativement aux démarche et attitude des juges français et anglais. Ainsi, de part et d’autre de la Manche se retrouve le principe d’interprétation selon lequel en cas de doute sur le sens d’une clause, il faut choisir l’interprétation qui valide et donne effet à la clause[197]. On pourrait trouver dans cette règle un outil au service d’un rapprochement des jurisprudences françaises et anglaises, faut-il encore, pour qu’elle fasse ses preuves, plonger les actes constitutifs dans un flou obscur. Le jeu en vaut-il vraiment la chandelle ? Nous ne le pensons pas.

Il convient à présent de s’intéresser aux conditions d’efficacité de la fiducie-sûreté.

 

 

 

SECTION 2  Les conditions d’efficacité de la fiducie-sûreté

 

 

Le problème de la preuve de la fiducie entre les parties

Dès lors que la fiducie a été valablement créée, elle jouera pleinement entre les parties contractantes, à savoir le constituant et le fiduciaire. Nous admettons que l’efficacité[198] de celle-ci entre les parties est suffisamment assurée par l’exigence de l’écrit quant à l’expression du consentement des parties. En effet, la preuve du contrat de fiducie pourra être aisément rapportée par chacune des parties se munissant de l’écrit constatant le contrat et cette preuve sera admissible en application de l’article 1341 du code civil. Il faut néanmoins mentionner la possibilité, pour chacune des parties, de se décharger de ses obligations nées du contrat écrit en rapportant la preuve qu’il s’agit là d’un acte ostensible[199]. Cette question ne présente pas de particularités propres à la fiducie-sûreté, nous choisissons dès lors de ne pas nous y arrêter.

La question se réglera en termes différents en common law en ce que le trust va pouvoir être créé par oral. Il en résulte que la preuve testimoniale est admissible pour prouver l’existence d’un trust en application de la parol evidence rule[200]. On peut aisément constater que la position du beneficiary, devant la charge de rapporter la preuve du trust qu’il invoque à son bénéfice[201], sera plus délicate que celle de notre bénéficiaire. D’une part en ce qu’il ne disposera pas toujours d’un écrit. D’autre part et surtout car, à la différence du bénéficiaire de la fiducie-sûreté (lequel est partie au contrat), le beneficiary n’aura pas, en principe, participé à la conclusion du trust. Il lui sera dès lors difficile de rassembler des témoins, d’autant plus qu’en général, il sera opposé au trustee, lequel se gardera bien de ne pas dévoiler ses témoins, mais surtout car le trust prendra souvent effet longtemps après la constitution même du trust.

 

La question de l’opposabilité de la fiducie-sûreté à l’égard des tiers

La validité du contrat sera bien souvent impuissante à le rendre assurément efficace à l’égard des tiers en raison du principe de l’effet relatif des contrats auquel la fiducie est naturellement soumise[202].

Il en résulte que le contrat de fiducie, qui ne peut ni profiter ni nuire aux tiers, n’impose aucune obligation de ne pas faire à ces derniers. Ils pourront dès lors, sous couvert de leur ignorance de l’existence du contrat, acquérir efficacement le bien du fiduciaire. Le tiers pourra invoquer à son profit la théorie de l’apparence: ignorant la qualité de fiduciaire de la personne de qui il tient son droit, il a valablement pu acquérir ce droit de ce fiduciaire qu’il croyait simple propriétaire mais qui  était en réalité un propriétaire-fiduciaire. Dès lors, il ne pourra pas se voir reproché d’avoir violé le contrat compris comme situation de fait. Il en résulte, pour la fiducie, que le fiduciaire ne pourra plus exécuter son obligation de rétrocéder la propriété au constituant pour la simple raison que Nemo plus juris ad alium transferre potest quam ipse habet, on ne peut transférer à autrui plus de droit qu’on en a soi-même. Le tiers est devenu propriétaire, le constituant ne peut plus efficacement l’être car prior tempore potior jure, celui qui est le premier dans le temps, en droit, l’emporte. Les effets de la fiducie-sûreté sont neutralisés. Elle n’est plus efficace.

 

L’identification des éléments à « opposer » aux tiers

Pour assurer l’efficacité de la fiducie-sûreté, il va falloir s’assurer d’une part, de l’opposabilité de la qualité de propriétaire du fiduciaire et d’autre part, de l’opposabilité de la qualité de fiduciaire de ce propriétaire. Cette précaution est double car deux ordres de difficultés peuvent émerger de la situation apparente.

D’une part, il faut prévenir l’action d’un tiers acquéreur qui prétendrait tenir son droit du constituant en ce que ce dernier, conservant la possession du bien cédé, va revêtir, aux yeux du public, l’apparence d’un propriétaire. C’est le premier ordre de difficultés.

D’autre part, le second ordre de difficultés tient de ce qu’un tiers acquéreur, à l’exemple du tiers qui pensait traiter avec un mandataire[203],  pourrait se prévaloir de l’apparence[204] que le fiduciaire revêt d’un propriétaire pour prétendre avoir valablement acquis « absolument » le bien, ie grevé de toute affectation. Le constituant ne pourrait retrouver la propriété de son bien au terme de la fiducie. Notre acquéreur de bonne foi parce qu’ignorant échapperait aux conséquences de la responsabilité que le constituant pourrait lui imputer pour ne pas avoir respecté la situation de fait créée par le contrat. Il s’agirait là d’une responsabilité délictuelle fondée sur la faute dommageable de l’article 1382 du code civil. Cette situation est d’autant plus probable que la présomption de bonne foi dont bénéficie par principe tout un chacun[205], et donc le tiers acquéreur, est complétée par les rédacteurs du projet: l’article 2068 futur du code civil dispose : «Dans ses rapports avec les tiers, le fiduciaire est réputé disposer des pouvoirs les plus étendus sur les biens et droits objet du contrat, à moins qu’il ne soit démontré que les tiers avaient connaissance de la limitation de ses pouvoirs. »[206]. Il y a là une véritable consécration législative de la théorie de l’apparence en matière de fiducie. En effet, il découle de cet article que le fiduciaire sera réputé  propriétaire absolu[207] à l’égard des tiers. Or, la « réputation » se forge à partir d’éléments apparents et non nécessairement réels. C’est donc admettre que le tiers acquéreur sera toujours admis à se prévaloir de l’apparence de propriétaire que revêt le fiduciaire. Cette disposition vient faciliter le travail du tiers quant à prouver les circonstances qui l’ont amené à croire en l’apparence de propriétaire du fiduciaire. Nous y reviendrons dans les développements ultérieurs.[208]

 

Nous avons identifié les difficultés susceptibles de mettre à mal l’efficacité de la fiducie-sûreté entre les parties et à l’égard des tiers. Il convient à présent de les résoudre.

 

La solution tirée le la publicité du contrat

Si  l’ignorance du contrat et de ses incidences sur la qualité des parties  par le tiers a pu être vecteur de cette inefficacité, il faut dès lors trouver la solution dans le moyen d’assurer la connaissance de ce contrat par le tiers, c’est à dire dans le moyen d’assurer sa publicité. Ainsi, le contrat pourra devenir efficace à l’égard des tiers, en d’autres termes, il sera opposable aux tiers.

De quels moyens dispose-t-on en pratique ? Sont-ils applicables à la fiducie ?

 

Il faut partir de le l’idée fondamentale, et exprimée au projet, que le contrat de fiducie s’intègre dans un ordre juridique préexistant, dont elle devra préserver la cohérence en se soumettant aux dispositions d’ordre public propres à la matière concernée.

Il en résulte que si la fiducie-sûreté emprunte aux régimes de diverses institutions, négativement, elle devra se soumettre à l’ensemble de leurs règles, positivement, elle pourra s’en inspirer.

 

En raison du transfert de propriété qu’elle opère, la fiducie-sûreté va pouvoir emprunter aux autres institutions translatives de propriété des solutions qui garantissent l’efficacité de ces opérations.

Or, l’expérience des diverses institutions translatives de propriété qui existent en droit français nous enseigne que la publication du titre translatif de propriété sur un registre à la Conservation des hypothèques est le système le plus efficace[209] pour assurer la publicité et partant, l’opposabilité de cet acte.

Ce système, qui est celui de la publicité foncière[210], n’existe néanmoins qu’en matière immobilière[211].

Nous limiterons donc notre exposé au cadre de la fiducie-sûreté portant sur un immeuble, ce qui n’est pas gênant, en soi, puisque c’est dans ce domaine que vont se poser le plus de problèmes et que ces derniers auront des conséquences les plus graves[212].

 

Relativement à ce qui se passe en matière de trust, nous nous limitons à rappeler que les « droits »  des trustee et beneficiary feront l’objet de mesures de publicité aptes à en assurer l’opposabilité. Nous nous référons à ce que nous avons déjà dit sur ce point[213]. Revenons dès lors au problème plus controversé, on le verra, de la publicité de la fiducie-sûreté.

 

 

La publicité du transfert de propriété

La publicité foncière s’applique aux actes translatifs de propriété immobilière ou constitutifs de droits réels immobiliers.

Dès lors, elle concerne manifestement le contrat de fiducie-sûreté lequel opère le transfert de la propriété d’un bien. Les parties devront accomplir les formalités de publicité du contrat  afin de rendre opposable aux tiers le transfert de la propriété du bien, du constituant au fiduciaire[214]. Est ainsi résolu le premier ordre de difficultés.

 

La question de la publicité de la qualité de fiduciaire

Le second ordre de difficultés est plus délicat à résoudre. Il s’agit en effet d’assurer l’opposabilité de la qualité de fiduciaire, c’est à dire d’assurer l’opposabilité de l’affectation qui grève le droit de propriété du fiduciaire et qui rend ce droit inaliénable aux tiers[215]. Cette considération est d’autant plus importante qu’en cas de litige sur ce point, le tiers pourra se prévaloir de ce que le fiduciaire est « réputé disposer des pouvoirs les plus étendus sur les biens et droits objet du contrat. Il appartiendra à celui qui invoque la qualité de fiduciaire de prouver que le tiers avait connaissance de la limitation de pouvoirs inhérente à cette qualité.

 

L’identification du problème

Imaginons que le fiduciaire, en sa qualité de propriétaire, aliène le bien cédé à titre de garantie à un tiers acquéreur. Ce tiers acquéreur a valablement acquis la propriété de ce bien puisque son auteur, le fiduciaire, est propriétaire. Ce dernier aura simplement violé son obligation fiduciaire laquelle lui interdisait d’aliéner le bien mis en fiducie.

En revanche, les conséquences seront importantes pour le constituant-débiteur lequel ne pourra récupérer, en nature[216], la propriété de son bien. En effet, comme nous l’avons déjà vu, le constituant ne bénéficie que d’un droit de créance à l’encontre du fiduciaire duquel il ne peut qu’exiger le respect de ses obligations contractuelles. Contrairement au settlor-beneficiary d’un trust, notre bénéficiaire ne dispose pas d’un droit réel sur le bien mis en fiducie, il ne peut donc pas suivre le bien en les mains du tiers acquéreur.

 

Une solution tirée de la nature du droit du fiduciaire

Une solution consiste à mentionner la qualité de fiduciaire que le propriétaire revêt lorsque les parties accompliront les formalités de publicité relativement au transfert de propriété réalisé par la fiducie-sûreté. Cette solution informerait le potentiel acquéreur, désireux de se renseigner sur la situation du bien immobilier, que ce dernier est affecté à un but particulier lequel rend le bien inaliénable.

Admettre cette solution, c’est considérer que l’obligation fiduciaire constitue une restriction au droit de disposer. En effet, seules les restrictions au droit de disposer sont sujettes à publication obligatoire[217].

Le projet en prend acte puisqu’il dispose à l’article 2070 futur du code civil « Lorsque la fiducie porte sur des droits et biens dont la mutation est soumise à publicité, celle-ci doit mentionner le nom du fiduciaire ès-qualités. ».

Nous avons déjà eu l’occasion de démontrer comment, à notre humble opinion, l’inaliénabilité des biens composant le patrimoine fiduciaire, ainsi que l’obligation de les rétrocéder sont des restrictions au droit de disposer[218].

Dès lors que cette qualité de fiduciaire est publiée, elle est opposable aux tiers. Mais quelle conséquence doit-on en tirer quant au sort du bien aliéné au tiers, lequel, en dépit de l’opposabilité de la qualité du fiduciaire à son égard, n’en a pas moins acquis, certes de mauvaise foi[219], un droit de propriété. Fera-t-il retour au constituant ? Admettre cette solution, c’est faire triompher le droit personnel du constituant sur le droit réel du tiers acquéreur.

On peut raisonnablement penser que le juge sera prêt à adopter cette solution en ce qu’il l’a déjà admise en matière de promesse unilatérale de vente. Or, on l’a vu le problème se pose dans des termes très proches en cette matière.

Le juge a eu l’occasion de statuer en faveur d’un bénéficiaire d’une promesse unilatérale de vente et aux dépens d’un tiers acquéreur de mauvaise foi[220]: avant que le bénéficiaire ne lève l’option dont il dispose de voir conclure la vente à son avantage, le promettant décide de vendre le bien à un tiers et donc en violation de la promesse; avant la levée de l’option, le bénéficiaire d’une promesse unilatérale de vente n’est titulaire que d’un droit de créance; le promettant demeure titulaire du droit de propriété, il est toujours en mesure, mais non en droit[221] de l’aliéner à un tiers à condition de supporter les conséquences de la violation de la promesse; le tiers acquéreur, non soumis à la loi du contrat, a pu valablement acquérir le droit de propriété.

En dépit du fait que le bénéficiaire est simplement titulaire d’un droit de créance, le juge va statuer en sa faveur et faire triompher ce simple droit de créance sur le droit réel du bénéficiaire en ce que ce bénéficiaire était de mauvaise foi (ce dernier avait connaissance de la promesse).

Cette solution est transposable à notre hypothèse et sera d’autant plus facile à mettre en œuvre que le tiers acquéreur en « violation » du contrat de fiducie sera toujours présumé de mauvaise foi.

Surtout, cette solution semble à même d’assurer l’efficacité du contrat de fiducie-sûreté à l’égard des tiers. Mais on peut adresser une critique à cette solution, critique qui nous amène à opter pour une autre solution.

 

Une solution incohérente au regard de la nature du droit de propriété

Dire à notre tiers acquéreur qu’il bien devenu propriétaire d’un bien, mais que son droit n’est pas opposable au constituant qui n’a pourtant aucun droit direct sur ce bien, procède d’une analyse artificielle, sinon même d’une contradiction dans les termes. N’est-ce pas le propre du droit de propriété d’être opposable à tous ?

Cette opposabilité erga omnes est ce qui fonde le caractère absolu du droit de propriété. La jurisprudence n’hésite donc pas à porter atteinte au caractère absolu du droit de propriété, l’exemple le prouve, quand les intérêts en cause le justifie. Il faut aller plus loin, éviter tout artifice juridique[222] et tirer les conséquences théoriques de la situation à laquelle mène cette solution. C’est ce que nous nous proposons de faire à présent.

 

Proposition de qualifications pour renouer avec la cohérence

Pour légitimer notre démarche, partons de la solution à laquelle aboutit la position de la jurisprudence. Elle consiste à attribuer le bien au bénéficiaire alors qu’une autre personne, le tiers acquéreur, est détentrice du droit de propriété de ce bien. Loin de nier au tiers acquéreur son droit sur la chose, elle reconnaît au bénéficiaire un droit sur la chose encore plus fort puisqu’elle va jusqu’à le préférer à celui du tiers acquéreur. Maintenir que le bénéficiaire n’est titulaire que d’un droit de créance, c’est confiner à un paradoxe digne de Zénon d’Elée !

 

Il est temps de reconnaître que le bénéficiaire de la fiducie-sûreté est titulaire d’un droit relatif à la chose en ce qu’il confère à son titulaire un véritable pouvoir sur la chose. Son droit fonde l’obligation du fiduciaire qui n’existe qu’à cause de la chose. C’est une obligation propter rem et son corollaire est le droit du bénéficiaire, droit à exiger l’inaliénabilité de la chose, droit à exiger le transfert de la chose à son unique profit. Ce droit que l’on a pu qualifier, sans doute par prudence ou timidité, « droit personnel d’affectation »[223], est un droit réel d’un genre particulier. Nous le qualifierons de ius ad rem, qualification certes peu parlante - qui le deviendra avec l’étude de son régime[224] -  mais dont le choix, loin d’être anodin, se justifie, en autres, par le fait qu’elle est utilisée, par certains auteurs anglais[225],  pour qualifier le droit du beneficiary d’un trust.

Certes, pourriez-vous objecter, le droit de notre bénéficiaire ressemble bien à celui du beneficiary lorsque tout va bien, mais commence à se dissembler nettement dès qu’il s’agit de le mettre en œuvre. Cela est vrai, et nous le verrons bientôt[226]. Mais nous verrons aussi que derrière cette vérité se cachent nombre d’illogismes et paradoxes, lesquels s’extériorisent à travers les règles du régime de la fiducie-sûreté. C’est précisément pour cette raison que nous choisissons de qualifier le droit du bénéficiaire de ius ad rem, car comme tout un chacun sait, de la qualification d’une opération va dépendre le régime juridique.

Qualifier le droit du bénéficiaire de ius ad rem, c’est s’engager à en tirer les conséquences juridiques. Le projet ne l’a pas fait. Nous devrons respecter ce choix lors de l’étude du régime de la fiducie-sûreté. Mais devant  les solutions absurdes auxquelles l’application de ce régime risque d’aboutir, nous nous efforcerons de proposer des solutions auxquelles les qualifications de ius ad rem, quant au droit du bénéficiaire, d’ obligation propter rem quant à l’obligation fiduciaire nous permettent d’aboutir.

 

Avant de conclure notre premier titre et nous intéresser au régime de la fiducie-sûreté, nous devons faire état d’un dernier phénomène susceptible de mettre à mal l’efficacité de la fiducie-sûreté, en dépit de l’accomplissement de toutes les précautions susmentionnées.

 

La question de la licéité de la fiducie-sûreté

Il subsiste un moyen de canaliser le contrat. Il consiste à faire preuve de sévérité dans l’examen de sa licéité au regard, selon les termes mêmes de l’article 2062 alinéa 2, « des dispositions d’ordre public propres à la matière concernée » par la fiducie, en d’autres termes, au regard des règles impératives du droit des sûretés.

On songe à la prohibition du pacte commissoire[227] et de la clause de la voie parée.

 

Le pacte commissoire est celui qui permet au créancier de s’approprier le bien servant de garantie en cas de défaillance du débiteur, sans le faire auparavant attribuer par décision de justice.

Par la stipulation d’une clause de voie parée, le créancier peut vendre à l’amiable le bien objet de la garantie afin de se payer sur le prix obtenu[228]. En effet, le fiduciaire-propriétaire va pouvoir, si le débiteur ne paie pas sa dette, vendre le bien pour se désintéresser sur le prix obtenu, sous réserve que le contrat de fiducie n’en dispose pas autrement. Les rédacteurs du projet admettent implicitement la stipulation d’une telle clause dans une fiducie[229]. Toutefois, ils prennent garde d’assurer un minimum de sécurité au débiteur contre un risque de spoliation en prévoyant une détermination de la valeur du bien à dire d’expert ou en fonction de leur côte sur un marché organisé s’il s’agit de contrats ou valeurs mobilières.

Ainsi, ces prohibitions ne devraient pas jouer lorsque la fiducie porte sur des biens dont l’évaluation ne pose pas de difficulté. Tel n’est pas le cas, en revanche, des meubles corporels du type biens d’équipement.

 

Relativement à l’interdiction du pacte commissoire, il semble que l’on a prêté à cette règle une portée qu’elle n’a pas: on sait que la prohibition ne joue pas si le pacte intervient après la constitution du nantissement; c’est le cas dans notre espèce puisque le contrat de fiducie-sûreté prévoit la rétrocession du bien, c’est même une obligation; ce n’est que dans une circonstance non prévue au contrat (défaillance du débiteur), que sera mis en œuvre, comme mode de résolution du conflit que créée la circonstance, un mécanisme équivalent au pacte commissoire.

En outre, ces prohibitions ne sont pas posées par la loi de manière générale, elles le sont uniquement dans le cadre de sûretés nommées (gage et antichrèse). En résulte d’ailleurs un certain embarras en jurisprudence. D’une part, les juges n’hésitent pas, en présence de ventes à des fins de garantie, à qualifier ces contrats de prêts avec pacte commissoire prohibé et ce, pour annuler l’ensemble de l’opération. Mais d’autre part, ces pactes n’étant pas prohibés pour toutes les sûretés, la Cour de Cassation en a tiré la conséquence suivante en matière d’hypothèque: la prohibition du pacte commissoire ne joue pas pour cette sûreté[230].

Enfin, force est de constater qu’aujourd’hui, la jurisprudence a considérablement entamé la prohibition du pacte commissoire, comme en atteste la lecture d’arrêts récents de la Cour de Cassation, et dont l’intérêt pour notre étude, justifie que l’on s’y attarde.

 

Par un arrêt du 17 mai 1994[231], la Cour de Cassation écartait implicitement le reproche de pacte commissoire prohibé en confirmant l’arrêt d’appel qui a recouru à la compensation de plein droit qui s’opère entre créances réciproques non sujettes à discussion quant à leur exigibilité et à leur montant. La Cour de Cassation précise dans sa motivation « dès l’instant de leur remise, les sommes déposées à titre de garantie de l’exécution de ses obligations, par le locataire gérant, sont devenues, en raison de leur nature fongible la propriété (du bailleur) ».

En effet, lorsque le bien remis en garantie est constitué d’espèces, on comprend que les procédures d’évaluation soient inutiles puisque la valeur de ce bien ne s’exprime que dans la quantité dont il est la référence.

 

Dans une seconde affaire où il y avait eu remise de sommes d’argent entre les mains de la banque, sur un compte bloqué, et pacte commissoire, la Cour de Cassation, dans un arrêt du 9 avril 1996[232], l’analyse de la cour d’appel selon laquelle « n’est pas prohibée par l’article 2078 du Code Civil la stipulation d’attribution d’un gage, constitué en espèces, par le créancier à due concurrence du défaut de paiement à échéances ».

 

Depuis l’arrêt du 17 mai 1994 qu’il commentait, le Professeur Larroumet[233] critiquait la terminologie de « gage-espèces », car il n’y a, dans l’opération de remise des fonds, aucun caractère du gage. Il fallait donc parler de fiducie ou de fiducie sûreté et il répétait cette critique dans son commentaire de l’arrêt du 9 avril 1996[234] en disant que si la solution devait être approuvée, la motivation en était critiquable parce qu’il s’agit, finalement de toute « fiducie-sûreté ». Il ajoutait : « même si celle-ci a pour objet un corps certain ».

 

Loin de se contenter du mécanisme de la compensation ou de l’inadaptation de la prohibition de l’article 2078 du Code civil, la Cour de Cassation a manifestement voulu encore innover : dans un arrêt du 3 juin 1997[235], la Cour de Cassation confirme que la créance d’une banque qui avait reçu un « gage-espèces » s’est éteinte par compensation avec l’obligation qu’elle aurait eu de restituer les fonds dont la propriété lui avait été transférée en garantie. Ainsi la Cour de Cassation confirme-t-elle que les sommes remises à la banque étaient devenues sa propriété dès la remise, et la compensation qu’elle admet est celle de la créance certaine et exigible de la banque avec non pas une dette de somme d’argent mais une obligation de restituer le gage.

Selon la Cour de Cassation, la banque peut compenser sa dette de restitution des sommes données en gage, avec sa créance exigible. Or, force est de constater que la banque n’avait pas l’obligation exigible de restituer (ou du moins pas encore, car, si on est bien dans le régime classique du gage, elle continuait d’exercer le droit de rétention aussi longtemps qu’elle n’était pas payée).

La Cour de Cassation ne fait plus aucune référence à la fongibilité ou à la consomptibilité pour rappeler que les sommes transférées l’ont été en pleine propriété à titre de garantie.

Ainsi, la propriété du bien remis est acquise ab initio au créancier, elle est assortie d’une obligation de restituer si tout se passe bien entre le débiteur et le créancier, et elle est pérenne et acquise pour toujours si le débiteur ne s’exécute pas.

La Cour de Cassation estime donc que, sur le principe, le pacte commissoire n’est pas prohibé. En voulant passer par le raisonnement du transfert de propriété initial, la Cour de Cassation instaure la légitimité prétorienne de la fiducie-sûreté.

 

La Cour de Cassation, à son tour, semble prête à accueillir l’institution de la fiducie-sûreté, attitude qui vient conforter l’intérêt actuel que présente l’étude de cette institution. Dès lors ne saurait-on s’arrêter à l’étude statique de la fiducie-sûreté.

Militant pour la renaissance de la fiducie-sûreté, nous nous devons de l’étudier à présent sous son angle dynamique, alors que, une fois constituée, ’il s’agit de l’exécuter.

Or, exécuter la fiducie-sûreté, c’est appeler à contribution les règles qui régissent son fonctionnement, c’est s’intéresser à son régime. Tel est l’objet du second titre de notre étude.


TITRE II - LE REGIME DE LA FIDUCIE-SURETE

 

 

 

 

Exposer le régime juridique d’une institution, c’est s’inspirer de la qualification de celle-ci. De cette qualification en découle le régime. Cela paraît simple. Pourtant, deux travers existent. Attribuer à une opération une qualification erronée dans le seul but de lui en appliquer le régime. C’est le premier travers[236]. Le second travers, et c’est celui du projet, consiste à ne pas tirer les conséquences des qualifications retenues, ou simplement à ne pas en tirer du tout. Il en résulte un régime incohérent et incomplet. Nous refusons de nous y soumettre. Aussi, nous choisissons de présenter un régime juridique de la fiducie-sûreté en retenant ce qu’il y a de bon dans le projet, et en complétant, dans la mesure du possible[237], avec des solutions empruntées à d’autres régimes juridiques, principalement au trust.

 

 

Le régime de la fiducie-sûreté vient régler deux phases importantes de la vie de celle-ci: son exécution lors de son existence, son dénouement à son extinction. Dès lors, il nous appartiendra de présenter successivement les règles régissant l’exécution de la fiducie-sûreté, puis les règles régissant son dénouement. Mais avant toute chose, nous devrons préciser comment la fiducie-sûreté, dès l’instant où elle devient effective,  passe d’une phase à l’autre, ie de l’exécution au dénouement. Le chapitre préliminaire s’y consacre.

 

La vie de la fiducie-sûreté intéresse au premier abord ses géniteurs, à savoir les participants à sa conception - nous avons nommé « les parties ». Son entrée dans la société va nécessairement impliquer sa confrontation à des étrangers - nous avons nommé « les tiers » - lesquels pourront, de près ou de loin, s’y intéresser. Les rapports que la fiducie-sûreté liera avec ces deux groupes d’individus seront naturellement différents - ses géniteurs l’ont voulu alors qu’elle s’impose à la société.

 

Ce constat justifie que l’on choisisse de s’intéresser en premier lieu aux effets de la fiducie-sûreté entre les parties, ce sera l’objet d’un premier chapitre et un second chapitre sera, sans surprise, consacré aux effets de celle-ci à l’égard des tiers.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

CHAPITRE PRELIMINAIRE - DE L’EXECUTION AU DENOUEMENT DE LA FIDUCIE-SURETE

 

 

S’intéresser à l’exécution de la fiducie-sûreté, c’est se situer dans la phase de son existence. Considérer le dénouement de la fiducie-sûreté, c’est se placer dans la phase qui débute avec son extinction.

 

 

SECTION I   L’EXISTENCE DE LA FIDUCIE-SURETE

 

L’exécution de la fiducie-sûreté

Dès lors que la fiducie-sûreté a valablement été créée, elle existe. Il s’ensuit que chacune des parties va pouvoir exiger de son cocontractant le respect des obligations auxquelles il s’est engagé en entrant dans les liens du contrat.

L’exécution du contrat de fiducie-sûreté tendra à ce que le bien qui a été transféré au fiduciaire, à titre de garantie du paiement de la dette par le constituant, son débiteur, soit affecté à cette utilisation.

Il en découle des obligations à charge du fiduciaire car c’est à lui que le constituant a confié ses biens afin qu’il les conserve à titre de garantie et les lui rétrocède quand ce dernier aura payé sa dette.

 

Le « propriétaire »-fiduciaire est tenu d’«obligations » corrélatives à ses « pouvoirs » sur le bien qu’il tient en propriété

Voilà une belle combinaison atypique digne d’un trust ! Il peut paraître paradoxal de parler d’ « obligation » alors que les deux parties sont, par définition, liées par un rapport de confiance. C’est peut-être la raison qui préside, dans le projet, le choix du terme « mission » pour parler des obligations du fiduciaire[238]. Ou peut-être que les rédacteurs éprouvent une gêne à imposer des « obligations » relatives à un bien dont il est pourtant propriétaire. Il faut donc voir ici une volonté des rédacteurs de privilégier la qualité de propriétaire (sous-entendu « absolu ») du bien[239]. Mais la suite de la disposition ne peut que nous ravir en ce qu’elle exige que le contrat définisse « l’étendue de ses pouvoirs d’administration et de disposition; ».

 

N’y a-t-il pas, en droit français, redondance, si ce n’est pléonasme, à attribuer à une personne la qualité de propriétaire d’un bien et à lui conférer parallèlement des pouvoirs d’administration et de disposition sur ce même bien, pouvoirs que sa qualité de propriétaire lui confère déjà[240]. Faut-il dès lors comprendre que le droit de propriété qu’on a voulu attribuer au fiduciaire n’est pas absolu , ou bien même qu’on ne souhaitait lui conférer qu’un droit réel résiduel[241]. Nous n’irons pas jusque là afin de préserver le sens de la définition de la fiducie adoptée par le projet.

 

A tout le moins peut-on déceler, à travers cette disposition, la manifestation de l’idée selon laquelle le fiduciaire se voit conférer, par sa qualité de propriétaire, plus de pouvoirs que n’en nécessite la constitution d’une sûreté.

 

On peut néanmoins considérer avec intérêt l’utilisation par le projet du terme « pouvoir ». Le pouvoir est « une prérogative permettant à une personne (...) de gérer les biens d’une autre personne pour le compte de celle-ci »[242].

 

 Le mandataire en est l’exemple même: il détient le  « pouvoir de faire quelque chose pour le mandant et en son nom »[243]. Le pouvoir est comme le droit subjectif une prérogative mais à la différence essentielle que le pouvoir permet à celui qui le détient d’exprimer un intérêt au moins partiellement distinct du sien, au moyen d’actes juridiques ayant pour effet d’engager autrui.

 

En outre, admettre que le fiduciaire exerce une mission pour laquelle il dispose non pas de droits mais de pouvoirs, c’est se rapprocher de la conception anglaise du « droit » de propriété : le common law associe titre et pouvoir et non titre et droit subjectif. Nous nous sommes déjà expliqués sur ce point, nous n’y revenons pas.

 

Le fiduciaire n’a pas à rendre compte de l’exercice de son droit subjectif

Admettre que le fiduciaire détient un pouvoir et non un droit aurait l’avantage de permettre un contrôle par le juge ou une autre instance formée à cet effet,  lesquels joueraient pour la fiducie le rôle que le juge anglais joue pour le trust.

 

En effet, le projet ne prévoit aucune sorte de contrôle sur l’exercice de ses « pouvoirs » par le fiduciaire, la seule intervention judiciaire prévue se situant à un stade où il est déjà trop tard[244]. La raison en est que le projet opte délibérément pour la qualité de propriétaire du fiduciaire. Or, le contrôle de l’exercice d’un droit subjectif tel que le droit de propriété n’est pas concevable en droit français.

 

En revanche, admettre que le fiduciaire, à l’image du trustee, ne dispose que de pouvoirs pour l’accomplissement de sa mission, c’est ouvrir la possibilité d’une sanction du fiduciaire lequel utiliserait à mauvais escient les pouvoirs qui lui ont été conférés, sanction qui pourrait être celle du détournement de pouvoirs[245] telle qu’on la connaît en droit public.

 

Enfin pourrait-on lui imposer de rendre des comptes au constituant comme on l’exige au mandataire à l’égard du mandant, solution qui rapprocherait encore la fiducie du trust. En effet, le law of trusts impose au trustee de tenir des comptes de sa gestion et d’informer régulièrement les bénéficiaires (duty to account); certes une telle obligation présente moins d’intérêt en matière de fiducie-sûreté qu’en matière de fiducie-gestion.

 

En effet, le fiduciaire-propriétaire n’a pas la possession du bien, il n’a donc pas à s’occuper de sa maintenance par exemple, mais n’oublions pas que sa qualité de propriétaire va faire peser les risques de la propriété sur ses épaules[246].

 

Dès lors, il devra assumer les conséquences de la perte de la chose avant la rétrocession de la propriété au constituant, à condition bien sûr que la perte de la chose ne soit pas imputable à son possesseur le constituant.

 

Ainsi, un fiduciaire prévenant pourrait vouloir s ’assurer contre les conséquences de la perte de la chose; à cet effet, il conclura un contrat d’assurance relatif à la chose dont il pourra se rembourser les frais en se payant sur le patrimoine fiduciaire. Une telle possibilité n’est envisageable qu’à condition que ce dernier fasse une reddition des comptes au constituant. Le projet n’impose pas une telle obligation au fiduciaire car il le traite avant tout en sa qualité de propriétaire. 

 

L’obligation de loyauté du fiduciaire

La principale obligation qui pèse sur le fiduciaire est d’ «exercer sa mission dans le respect de la confiance du constituant. »[247] . Elle est la résurrection de l’uberrima fides dont les juristes romains avaient exprimé le devoir de respect dans un certain nombre d’opérations où les contractants sont captifs l’un de l’autre. Cette obligation de loyauté met en valeur le caractère fortement intuitu personae de ce contrat dont le projet a fait une pétition de principe.

 

La question qui se pose ici est relative au contenu de cette obligation. Le projet est muet sur ce point. La solution se trouve peut-être dans la suite de la disposition qui envisage l’hypothèse de la responsabilité du fiduciaire si ce dernier « manque gravement à ses devoirs ou met en péril les intérêts qui lui sont confiés ». En effet, la mise en péril des intérêts confiés ne résultera pas forcément d’un manquement à ses devoirs, elle pourrait résulter de l’utilisation conforme de ses pouvoirs mais de manière à en retirer un profit personnel. Dès lors que le fiduciaire a en vue un intérêt personnel lorsqu’il exerce ses pouvoirs, il n’agit plus totalement dans le but de la fiducie, il met en péril les intérêts confiés. La difficulté sera, pour le praticien, de tracer les contours de cette obligation dont le projet ne donne qu’un cadre général.

 

Une obligation floue, instrument potentiel de protection du débiteur-constituant

 Le caractère flou de cette obligation risque d’en faire une sorte d’obligation - «fourre-tout » laquelle pourrait être utilisée comme moyen de protection du débiteur-constituant contre le fiduciaire défaillant. Par son biais, le juge désireux, de protéger un constituant manifestement lésé mais impuissant à reprocher un manquement du fiduciaire à ses devoirs tels qu’expressément déterminés au contrat,  se prêterait à des interprétations divinatoires de la volonté des parties afin de gonfler le contenu de cette obligation[248].

On peut raisonnablement prévoir une telle pente en raison de l’attitude contemporaine du juge qui tend à protéger certaines parties mises en position de faiblesse car dominées économiquement par leurs cocontractants au sein d’opérations pour elles indispensables[249].

Or, dans l’opération de fiducie-sûreté, le constituant-débiteur en besoin imminent de crédit sera souvent conciliant avec son créancier lequel pourra imposer ses conditions sine qua non, au point qu’il deviendra difficile de considérer le contrat comme un contrat de négocié.

Ce constat pourrait mener le juge à y voir un contrat d’adhésion, aussi pourrait-il être amené à y déceler une clause abusive[250]. Bref, la fiducie-sûreté se placerait à côté de nombreux autres contrats sous la coupelle du droit de la consommation. Nous n’en sommes pas là.

Si le projet reporte manifestement sur le juge la tâche de préciser le contenu de cette obligation, on ne saurait qu’inviter ce dernier à s’inspirer des fiduciary duties dégagés par le juge anglais de cette exigence de loyauté.

 

Une obligation dont le contenu pourrait s’inspirer des fiduciary duties imposés au trustee

La principale obligation qui pèse sur le trustee lui impose de remplir avec diligence les buts du trust[251].

Si la jurisprudence française retient ce degré d’exigence relativement au résultat à atteindre quant à exécution de l’obligation de loyauté qui incombe au fiduciaire, on pourrait raisonnablement  en conclure qu’il s’agit là d’une obligation de moyens.

Il en résulterait, pour le constituant qui invoque une violation de cette obligation par le fiduciaire, la charge de prouver que ce fiduciaire n’a pas agi avec diligence dans l’accomplissement de sa mission. La solution serait bonne car elle s’inscrirait dans la lignée du régime de l’obligation de bonne foi[252]; or cela semble logique que l’obligation particulière de loyauté qui peut s’entendre comme l’obligation d’observer sur sa foi la loi du contrat, suive le régime de l’obligation générale de bonne foi, de laquelle elle découlerait en quelque sorte.

 

De cette obligation, il découle que le trustee, s’il entre en spéculation dans l’intérêt du trust[253], doit s’en tenir à des actes de spéculation raisonnables.

En matière de fiducie-sûreté, on pourrait ainsi imaginer la situation suivante: une personne devient fiduciaire et du même coup propriétaire d’un local commercial cédé en garantie du remboursement par le constituant, son débiteur, de sa dette; le fiduciaire et le constituant décident de louer ce local[254] afin d’en tirer profit, sachant que l’attribution du profit a été convenue entre les parties[255]; il serait déloyal de la part du fiduciaire de louer ce local à un ami et de convenir d’un loyer de faveur. De plus, cela ne profiterait en rien au constituant.

Or, ce profit pour le constituant est la condition d’une autre obligation du fiduciaire, corollaire de la précédente, on le voit, ce est parfaitement logique puisqu’elles découlent de la même obligation principale, l’obligation de loyauté.

 

Le trustee a le devoir de protéger l’intérêt du bénéficiaire[256] auquel profite le trust. Toute l’action du trustee est régie par l ’acte de trust et doit être inspirée par lui.

Ainsi notre fiduciaire aurait le devoir d’agir dans l’intérêt du constituant . Cela vient encore prêcher en faveur de l’idée selon laquelle le fiduciaire ne dispose pas d’un droit mais de pouvoirs en ce qu’il utilise sa prérogative dans l’intérêt d’autrui.

 

En matière de sûreté, ce devoir se traduira par l’ obligation de ne pas aliéner le bien cédé à titre de garantie.

 

En effet, aliéner le bien en dehors du cas où le contrat le prévoit, consistera à agir dans un intérêt personnel ou dans l’intérêt de tiers et non dans celui du constituant. Cette obligation qui pèse sur le trustee pèse de la même manière sur le fiduciaire. Aussi, il est intéressant de s’arrêter sur le devoir de ne retirer aucun profit personnel de la conservation du bien dont cette obligation découle directement.

 

Cette obligation qui pesait déjà sur le fiduciaire de la ficucia cum creditore justifiait qu’il ne perçoive aucune rémunération. Mais nous savons qu’à l’heure actuelle, tout service se paie. ainsi, si Pothier voyait dans le mandat « un pur office d’amitié »[257], la professionnalisation des affaires a vu naître le mandat salarié. De la même manière, on a pu admettre progressivement une rémunération du trustee mais le montant de celle-ci est réglementé avec précision. Il faut noter que les common lawyers apprécient plus sévèrement les obligations du trustee rémunéré que s’il ne l’était point. Cette solution est facilement transposable en droit français d’autant plus qu’elle est retenue en matière de mandat[258].

 

Nous devons néanmoins émettre une réserve quant à l’utilité de cette solution en matière de fiducie. La renaissance tardive de la fiducie ne permettra sans doute pas d’en retrouver son caractère originellement gratuit. aussi peut-on prévoir que la rémunération du fiduciaire sera le principe et la gratuité l’exception. Pour adapter utilement la solution ci-dessus exposée en matière de fiducie, on pourrait renverser la proposition et poser que les obligations du fiduciaire seront appréciées plus souplement lorsque la fiducie est gratuite.

Du devoir de ne retirer aucun profit personnel, il découle que le trustee doit éviter tout conflit d’intérêts entre ses intérêts propres et le but du trust. Il est intéressant de noter à cet égard que les devoirs du trustee commencent avant même qu’il ait accepté ses fonctions puisque, s’il découvre dans celles-ci une cause de conflit avec ses propres intérêts, il doit y renoncer[259].

Cette solution est bonne car elle évite dès le début que la constitution d’un trust fondé sur un rapport de confiance illusoire. On devrait transposer cette solution en matière de fiducie-sûreté.

Il en découlerait par exemple qu’une personne ne saurait se porter fiduciaire d’un bien alors qu’elle avait, préalablement à la constitution de la fiducie, manifesté l’intention de l’acquérir. On pourrait alors suspecter cette personne d’avoir conclu ce contrat comme moyen d’acquérir indirectement un bien qu’elle ne pouvait directement acquérir faute d’intention de son propriétaire d’en transférer définitivement la propriété.

Or la fiducie revient à opérer un transfert temporaire de la propriété.

D’une part, le contrat serait nul pour absence de cause[260] ou cause illicite[261] ou tout simplement absence de consentement[262].

D’autre part, il y aurait violation de l’obligation de loyauté avant même que le respect de celle-ci soit exigible[263] !

 

Aussi, le fiduciaire qui retire un profit personnel de ses fonctions, autre que sa rémunération, devrait restituer ce qu’elle a reçu, tout profit devant retomber dans le patrimoine fiduciaire. Si la solution semble aller de soi, des difficultés quant à sa mise en œuvre vont se poser en droit français, nous y reviendrons lors de l’examen des effets de la fiducie entre les parties.

 

La loyauté se délègue !?

Cette remarque peut sembler paradoxale dès lors qu’on se souvient que cette obligation de loyauté répond à la confiance que le constituant a placée dans une personne, laquelle en acceptant la qualité de fiduciaire se soumet du même coup à cette obligation.

Dès lors, il paraît difficilement concevable que le fiduciaire, choisi intuitu personae, puisse déléguer ses fonctions. L’equity prît acte de cette considération en posant la règle delegatus non potest delegare. Il en résultait que le trustee ne pouvait pas transférer ses devoirs ou ses obligations à d’autres personnes.

Mais une réalité est peu à peu devenue évidence: le fiduciaire, lequel avait accepté une mission très générale, laquelle impliquait parfois de passer des actes, de prendre des décisions dans les domaines les plus variés, ne se révélait pas toujours à la hauteur; il était dès lors dans intérêt du trust que le trustee, s’estimant d’une compétence insuffisante pour mesurer l’intérêt d’un acte relativement au trust,  délègue certains de ses pouvoirs.

Au regard de cette seconde considération, le judge-made law, suivi par le lawmaker[264], ont admis de « véritables » exceptions au principe de l’interdiction de la délégation de pouvoirs du trustee. Ces exceptions sont venues assouplir d’avantage une institution déjà souple en soi. Nous insistons sur le caractère véritable de ces exceptions afin de mettre en exergue que celle qui semble avoir été admise par le projet concernant la fiducie n’est qu’apparente.

 

Ainsi est-il admis que le trustee délègue l’ensemble de ses pouvoirs pour une durée maximale de douze mois mais il sera plus fréquent que le trustee recourt à un mandataire pour accomplir un acte déterminé. Seule la dernière possibilité est admise par le projet. Nous considérons de telles possibilités comme de véritables exceptions au principe sus-énoncé en ce que, dès lors que le trustee aura choisi son « représentant » de bonne foi, le trustee ne sera pas responsable des dommages dus à la faute ou à la négligence de celui-ci[265]. La délégation est véritable puisque, dans le cadre de sa délégation, le représentant agit aux lieu et place du trustee, la responsabilité du trustee n’est pas substituée à celle du représentant.

Il en va différemment en matière de fiducie puisque l’article 2067 futur du code civil pose que « le fiduciaire doit exécuter personnellement sa mission. Toutefois, il peut déléguer l’accomplissement de certains actes à une personne restant sous son contrôle et sa responsabilité ».

Ainsi, le projet, par le premier segment de la disposition, vient consacrer le principe de l’interdiction de la délégation les pouvoirs du fiduciaire.

Dans le second segment, il prend acte des dérogations qui seront apportées à ce principe par la pratique et en prévoit les conséquences en cas de difficultés, mais il n’en consacre nullement une véritable exception.

Cette disposition a le mérite de reprendre la solution adoptée en matière de mandat, attitude qu’on ne peut qu’avaliser étant donnée la similitude des situations du fiduciaire et du mandataire, lesquels ont l’un et l’autre été choisi intuitu personae pour l’exercice de leur mission.

En revanche, nous manifestons une préférence pour la solution retenue en common law en ce qu’elle nous paraît mieux correspondre à la réalité : certes la solution française a le mérite de se conformer au principe posé « le fiduciaire doit exécuter personnellement sa mission »; mais c’est encore au dessus qu’il faut se placer pour identifier le travers de la solution. Ce principe découle du caractère intuitu personae de la fiducie, c’est à ce niveau que se situe le problème.

Force est de reconnaître qu’aujourd’hui, il est assez illusoire de parler  de contrat intuitu personae, s’agissant de la fiducie-sûreté, quand on se doute que le choix du fiduciaire sera en réalité guidé par des considérations souvent étrangères à sa personne. Le débiteur n’aura en réalité pas le choix puisque son fiduciaire s’impose de lui-même, il s’agira de son créancier.

Or il n’aura pas non plus véritablement choisi son créancier intuitu personae mais, par exemple, en considération des conditions que ce dernier proposait quant à l’échelonnement des versements relatif au remboursement de la somme créditée. Faute d’être véritablement  un contrat intuitu personae, le principe ci-dessus exposé et qui en découle ne devrait pas avoir à s’appliquer en matière de fiducie-sûreté. Il le sera en application de l’article 2067 futur du code civil.

Faudra-t-il pour autant se résigner devant une application sans fondement pertinent de cet article ? Nous ne le pensons pas car, rappelons-le, le régime tel qu’exposé par le projet est applicable à la fiducie quelle qu’en soit son utilisation, il est un régime général qui ne prend pas en considération les particularités de chaque utilisation particulière du contrat.

Ainsi, cette absence d’intuitu personae est particulière à la fiducie-sûreté, elle le sera dans certains cas de fiducie-gestion mais elle ne se retrouve pas dans la fiducie-libéralité.

Cette remarque nous conduit à espérer que la jurisprudence, au cours d’un litige soulevant la question de l’application de l’article 2067, tirera les conséquences des particularités propres à chaque utilisation de la fiducie, particularités qui justifieront une application différenciée des règles de la fiducie en fonction de son utilisation[266].

 

Aussi, pour conclure sur ce point, on peut espérer que le juge, en présence d’une fiducie-sûreté, n’hésitera pas à écarter l’application de cet article afin de retenir la responsabilité du représentant du fiduciaire, lorsque certaines conditions seront remplies.

Cette question nous a amené à évoquer les pouvoirs du trustee et du fiduciaire. C’est sur ces derniers que se fixe notre attention à présent.

 

Le fiduciaire dispose de pouvoirs pour l’accomplissement de sa mission

Le fiduciaire dispose des pouvoirs d’administration et de disposition dont l’étendue doit être déterminée par le contrat de fiducie. Ces pouvoirs ne sont pas la contrepartie de ses obligations. Ce sont des prérogatives qui lui permettent de réaliser les buts de la fiducie. Ils découlent du fait que le fiduciaire est le propriétaire des biens du trust. Il est assez étonnant de remarquer que ce que nous venons de dire jusque là est parfaitement transposable au trust. C’est mettre en relief la similitude de leur situation.

En effet, comme nous l’avons mentionné précédemment, outre la seule mention de la qualité de propriétaire dans la définition de la fiducie, le reste du projet se réfère à un fiduciaire titulaire de pouvoirs plutôt que de droits sur les biens placés en fiducie, ou à tout le moins, semble lui accorder un droit réel résiduel sur ces biens, droit qui ne lui permet pas d’aliéner librement ces biens à autrui.

Cette interdiction va permettre la rétrocession des biens lors du dénouement de la fiducie.

Avant d’en arriver à cette phase qui est celle de l’extinction de la fiducie-sûreté, voyons comment l’exécution de la fiducie se déroule du côté du constituant.

 

Le constituant n’est pas obligé par la fiducie-sûreté

Durant l’exécution de la fiducie-sûreté, le constituant est tenu au paiement de sa dette mais cette obligation ne résulte pas du contrat de fiducie-sûreté mais du contrat de base auquel il vient se greffer. Il s’agit là de la seule action positive qui sera exigée du constituant au cours de l’exécution de la fiducie-sûreté.

Si le constituant transfère la propriété d’un bien à titre de garantie, il ne s’agit pas d’une obligation de donner qui pèserait sur le constituant mais d’un effet automatique du contrat qui aura lieu concomitamment à la conclusion du contrat et non lors de son exécution. Nous avons déjà eu l’occasion de le montrer, nous n’y revenons pas.

Il peut paraître étrange de mentionner, dans le cadre de l’étude du régime d’un contrat, une obligation à laquelle est certes tenu une partie à ce contrat mais laquelle obligation est née d’un autre contrat. C’est que ce remboursement aura une incidence lors du dénouement de la fiducie.

La fiducie-sûreté prendra acte de l’action positive du constituant pour entrer dans la seconde phase de son existence et s’éteindre.

 

 

 

SECTION II   L’EXTINCTION DE LA FIDUCIE-SURETE

 

 

Le régime de la fiducie-sûreté s’étend au delà de son extinction puisqu’il va régler, comme le ferait un testament d’une personne,  les conséquences de son extinction. Poursuivons la métaphore.

De la même manière que le décès d’une personne provoque la dissolution de son patrimoine, l’extinction de la fiducie-sûreté va provoquer la « dissolution »  du patrimoine fiduciaire; cette phase est celle du dénouement de la fiducie-sûreté. Nous y consacrerons quelques développements au cours de l’examen des effets de la fiducie-sûreté mais avant de s’y plonger, il convient d’exposer une fois pour toutes les causes d’extinction de la fiducie-sûreté.

 

La garantie s’éteint lorsque son existence n’a plus d’intérêt

Tel est le triste sort de notre fiducie-sûreté. Mais il faut se rendre à l’évidence: elle a été conçue à dessein. Et c’est justement ce dessein qui justifie son sort.

Soyons plus concrets. La fiducie-sûreté a été conclue afin de garantir le remboursement d’une dette. Une fois cette dette remboursée, la garantie n’a plus lieu de jouer, elle s’éteint naturellement. En termes plus juridiques, la fiducie-sûreté est venu se greffer à un contrat principal duquel elle est l’accessoire; or, le remboursement de la dette met fin au contrat principal, et donc, par voie de conséquence, au contrat accessoire, la fiducie-sûreté. Cette conséquence est une application de la règle Accessorium sequitur principale, l’accessoire suit le principal.

L’idée qui devrait présider à la détermination des causes d’extinction de la fiducie-sûreté se résume en quelques mots: la garantie s’éteint lorsqu’elle n’a plus lieu de jouer. Ainsi, et d’une manière générale, les circonstances personnelles propres au fiduciaire ne devraient avoir aucune incidence sur l’existence de la fiducie.

Si telle est la situation dans le law of trusts, le projet de loi concernant la fiducie ne l’entend pas de la sorte. Voyons plus précisément ce qu’il en est de part et d’autre de la Manche.

Le futur article 2070-10 du code civil énumère les divers événements qui mettent fin à la fiducie. On peut distinguer deux catégories événements, les uns entraînant l’extinction naturelle de la fiducie, les autres permettant une extinction judiciaire de la fiducie.

 

La survenance du terme ou la réalisation du but poursuivi mettent naturellement fin à la fiducie comme au trust[267]

En matière de fiducie-sûreté, ces deux événements seront souvent concomitants. En effet, le terme de la fiducie sera souvent celui du contrat de base. Or, le but poursuivi par la fiducie est de garantir le remboursement de la dette née de ce contrat de base. En réalité, les parties au contrat de fiducie souhaitent ne pas avoir à mettre en œuvre la garantie; cela signifierait, pour le constituant la perte de son bien et pour le fiduciaire, la charge de mettre le bien en vente et de se rembourser dessus. Bref, le but de la fiducie est en définitive d’assurer le remboursement de la dette et on peut considérer ce but réalisé une fois la dette remboursée. Ainsi, la réalisation du but de la fiducie sera concomitante au terme convenu.

La fiducie prendra fin naturellement, automatiquement, sans que l’intervention du juge soit nécessaire. Cette fin naturelle met en exergue le fait que cet événement est la cause naturelle d’extinction de la fiducie car, répétons-le, il est logique que la garantie s’éteigne lorsqu’elle n’a plus lieu de jouer, ie une fois la dette remboursée.

Il faut noter qu’elle peut prendre fin avant terme dès lors que le but poursuivi a été réalisé. Le terme vient refléter le laps de temps estimé par les parties comme nécessaire pour la réalisation du but de la fiducie, à savoir le remboursement de la dette. Si le but est poursuivi avant terme, la période restante ne présente plus aucun intérêt pour les parties, il semble donc conforme à la volonté implicite des parties de ne pas en tenir compte et de mettre fin à la fiducie.

Le law of trusts retient également cet événement comme mettant fin au trust. En revanche, dans les cas où le projet prévoit le prononcé judiciaire de la fin de la fiducie, le law of trusts envisage un remplacement du trustee.

 

La fiducie est « euthanasiée » quand le trust voit juste son trustee se « réincarner »

La métaphore vous semblera peut-être de mauvais goût, elle a au moins le mérite d’être parlante. En présence de certaines circonstances, il pourra être demandé au juge de mettre un terme à l’existence de la fiducie. Dans d’autres, le juge le fera automatiquement sauf si les parties manifestent leur intention de voir se poursuivre le contrat au cas de telles circonstances. Leur intention en ce sens s’extériorisera soit par des stipulations dans le contrat prévoyant les conditions dans lesquelles le contrat se poursuivra[268], soit au moment où événement fatal se produit en demandant au juge de prendre toutes les mesures permettant la poursuite du contrat[269]. Considérons les circonstances qui conduisent à l’extinction de la fiducie-sûreté:

La fiducie-sûreté prend fin lorsque se produisent des circonstances qui affectent la situation personnelle du fiduciaire: l’article 2070-10 mentionne les cas de disparition du fiduciaire, tantôt physique[270], tantôt juridique lorsque le fiduciaire est une personne morale[271], et de mise en liquidation judiciaire. S’il est vrai que, dans ces situations, on peut douter de la capacité du fiduciaire à poursuivre sa mission, soit parce qu’il a disparu, soit parce que sa situation financière laisse planer un doute quant à ses compétences à exercer une fonction[272], on ne voit pas en quoi ces circonstances devraient influer sur l’existence de la fiducie-sûreté.

Relativement aux cas de disparition du fiduciaire, personne physique, la solution s’explique par sa qualité de partie au contrat. En effet, le droit commun des contrats pose comme règle que la mort d’une des parties n’a pas en principe pour effet de faire disparaître le contrat, mais il en va différemment dans le cas où le contrat a été conclu intuitu personae. Or, on peut admettre, sous réserves des remarques précédentes, que le contrat de fiducie-sûreté est conclu intuitu personae. Cela est en revanche plus difficile à admettre s’agissant de contrat conclu avec une personne morale. Le cas de liquidation judiciaire reste, à notre avis, sans fondement valable au regard du but de la fiducie-sûreté.

Le law of trusts préconise de remplacer le trustee dans de telles circonstances[273]. La solution est bonne car elle tend à mettre en avant le but du trust qui ne saurait souffrir d’un événement ne regardant que le trustee. La règle s’exprime ainsi: A trust will not fail for want of a trustee, un trust ne tombe pas à la volonté d’un trustee. Si la solution devrait être retenue lorsque la fiducie est utilisée à fin de gestion ou de libéralité, elle est difficilement envisageable en matière de fiducie-sûreté car le fiduciaire est également le créancier, or, remplacer le fiduciaire, c’est devoir contracter un nouveau contrat de crédit et, bien souvent, modifier le contenu du contrat de fiducie. N’est-il pas plus simple de mettre fin à ce contrat et d’en conclure un nouveau ? La solution du remplacement n’est cependant pas à exclure, aussi peut-on l’envisager.

On peut à cet égard mentionner la disposition contenue à l’article 2070-1 alinéa 2 lequel prévoit que « si le fiduciaire manque gravement à ses devoirs ou met en péril les intérêts qui lui sont confiés, le constituant ou les bénéficiaires peuvent demander (...) qu’il soit mis fin à la fiducie »; rien de particulier jusque là puisqu’il s’agit d’un autre cas d’extinction de la fiducie lié au comportement du fiduciaire. Force est de constater cependant que l’extinction est dans ce cas une simple possibilité à la portée des parties, lesquels peuvent lui préférer « la nomination d’un administrateur provisoire ou le remplacement du fiduciaire ». Cette faculté permet de se rapprocher de la solution anglaise qui est la bonne, à notre avis. Partant de cette considération,  et on pourrait espérer que le juge, prenant conscience de l’intérêt, pour l’opération, que cette dernière se poursuive en dépit des événements n’affectant que la situation personnelle du fiduciaire, fasse une interprétation large de cet article permettant d’étendre son champ d’application au cas provoquant une extinction « artificielle » de la fiducie-sûreté.

Quittons cette phase un peu noire dans laquelle la fiducie-sûreté se soumet à son sort, pour retrouver le dynamisme actif de la fiducie-sûreté à travers l’étude de ses effets.

 


CHAPITRE I - LES EFFETS  DE  LA  FIDUCIE-SURETE ENTRE  LES  PARTIES

 

 

 

Les parties à la fiducie-sûreté ont conclu ce contrat afin que se produisent les effets attachés à son régime, et notamment pour que le transfert de propriété des biens au fiduciaire soit assorti d’obligations mises à sa charge. Le précédent chapitre a été pour nous l’occasion de présenter ces obligations. Nous n’y reviendrons pas. Nous devrons néanmoins nous y référer brièvement lorsqu’il s’agira, dans le cadre d’une première section, d’apprécier les infidélités commises par le fiduciaire au regard de celles-ci, au cours de l’exécution de la fiducie-sûreté. La commission de telles infidélités pourront dans certains cas se mesurer lors du dénouement de la fiducie-sûreté, une seconde section permettra de s’en rendre compte.

 

 

SECTION I     LES PARTIES ET LE CONTRAT LORS DE SON EXECUTION

 

Le fiduciaire et le contrat, ce sont des obligations que le dernier met à la charge du premier, ce sont les infidélités (§1) que le premier commet en violation du dernier.

Le constituant et le contrat, ce sont les droits que ce dernier fait naître au profit du premier, ce sont les actions (§2) que mettra en œuvre le premier afin de voir sanctionnée la violation du dernier.

 

 

§ 1   Les infidélités commises par le fiduciaire en violation du contrat

 

 

Etant donné les diverses obligations qui pèsent sur le fiduciaire lors de l’exécution de la fiducie-sûreté, les infidélités de ce dernier seront de diverse nature mais on peut identifier deux sortes d’infidélités: les infidélités commises en violation de ses obligations « personnelles » (A) et celles commises en violation de son obligation propter rem (B).

 

A  La violation des obligations « personnelles »

 

L’obligation est un lien de droit entre personnes, elle a donc, par nature, un caractère personnel. Nous nous permettons néanmoins de parler d’obligations « personnelles » afin de les distinguer d’obligations d’une nature particulière auxquelles le fiduciaire est tenu et que l’on appellera obligations propter rem.

Les obligations personnelles auxquelles le fiduciaire est tenu sont celles qui découlent principalement de son obligation de loyauté: il s’agit, en gros, du devoir d’agir dans l’intérêt du constituant et de remplir avec diligence les buts de la fiducie.

A titre d’exemples de violation de ces obligations personnelles, nous nous permettons d’emprunter à la jurisprudence du common law laquelle nous a inspirée quant aux obligations concrètes découlant du devoir de loyauté.

Il y a violation ou manquement à l’obligation d’accomplir avec diligence les buts du trust; et de la fiducie, lorsqu’un trustee, et partant un fiduciaire, a réalisé un investissement non permis lequel a résulté en une perte. Il y a violation de son devoir d’agir dans l’intérêt du constituant lorsque le trustee ou le fiduciaire utilise à titre personnel une information que sa position de trustee lui a permis d’acquérir.

On peut noter qu’il n’y a rien de particulier qui différencie la violation de ces obligations fiduciaires de celles qui résulteraient d’un autre contrat. En revanche, il en va différemment pour ce qui concerne la violation de l’obligation propter rem.

 

 

B   La violation des obligations propter rem

 

Justification du choix de la qualification

Nous qualifions propter rem les obligations qui n’existent qu’ « à cause de la chose », ces obligations du fiduciaire relatives au bien mis en fiducie et qui ont pour effet de détruire les conséquences normalement attachées au droit de propriété sur ce bien, ie les obligations qui ont pour effet de restreindre le droit du fiduciaire de disposer librement de son bien[274], droit qui est une composante du droit de propriété dont il est titulaire sur ce même bien.  Certes, ce type d’obligations « hybrides » est inconnu de nos classifications juridiques mais nous pensons qu’admettre cette catégorie, c’est apporter une solution aux incohérences qui se poseront irrémédiablement si on veut assurer une efficacité de la fiducie en ne recourant qu’aux seuls outils dont dispose le droit français.

D’ailleurs avons-nous pu remarquer, à travers la rédaction de certains articles, l’embarras des rédacteurs du projet devant ces incohérences[275]. Ils sont partagés entre le choix d’attribuer au fiduciaire la qualité de propriétaire[276] et celui de ne lui conférer que des pouvoirs[277] lui permettant d’exercer les attributs de la propriété. Faute de trouver un juste milieu, que permet justement la notion d’obligation propter rem, ils ont combiné leurs choix dans un ensemble, le projet, qui ne pouvait être qu’incohérent[278]. On peut néanmoins noter avec intérêt la rédaction d’un article qui témoigne de la prise de conscience, par les rédacteurs, du fait que la solution ne peut pas efficacement se trouver dans l’une ou l’autre qualification, mais qu’elle se trouve peut-être à mi-chemin entre les deux.

L’article 2068 futur du code civil dispose : «Dans ses rapports avec les tiers, le fiduciaire est réputé disposer des pouvoirs les plus étendus sur les biens et droits objet du contrat, à moins qu’il ne soit démontré que les tiers avaient connaissance de la limitation de ses pouvoirs. » Il découle de cet article que le fiduciaire sera réputé  propriétaire absolu à l’égard des tiers. Or, la « réputation » se forge à partir d’éléments apparents et non nécessairement réels. Interprété a contrario, il en résulte que le fiduciaire ne dispose pas des pouvoirs absolus sur le bien, c’est admettre que son droit de propriétaire est limité, non seulement dans ses effets, mais également dans son contenu. Cette limite est précisément apportée par son obligation, que l’on peut, par voie de conséquence qualifier d’obligation propter rem. Nous verrons qu’adopter cette qualification, c’est reconnaître au constituant un droit de nature particulière car corollaire de cette obligation.

Adopter une telle catégorie présente l’intérêt de se rapprocher du degré d’efficacité du trust, lequel doit surtout cette efficacité au droit de suite accordé au bénéficiaire, droit dont ne dispose pas le constituant de la fiducie-sûreté telle qu’elle découle du projet. Cette lacune dans le régime de la fiducie-sûreté est responsable du vice qui lui est reproché, le manque de protection du constituant.

Enfin, l’adoption de cette nouvelle catégorie de droit «hybride»,  se situant entre les droits réels et les droits personnels permettrait d’éviter le recours trop fréquent que fait la jurisprudence à des artifices juridiques. Elle en abuse même, afin de primer les titulaires de créances relatives à l’acquisition d’une chose sur les titulaires de droit de propriété sur cette même chose, lequel droit a été transféré après l’attribution de ces créances et en connaissance de l’existence de celles-ci.

 

L’idée d’affectation fonde ces obligations

Ces obligations ont été mises à la charge du fiduciaire afin d’assurer que les biens sur lesquels il exerce des prérogatives soient affectés au but poursuivi par les parties en concluant le contrat.

En matière de fiducie-sûreté, il s’agit de s’assurer que le fiduciaire conserve bien la propriété du bien et ne le mêle pas avec ses biens personnels.

Deux obligations principales reflètent ces préoccupations, ce sont l’obligation de conserver le bien et l’obligation de ne pas confondre les biens de la fiducie avec ses biens personnels. Nous nous sommes déjà intéressés à la première. Arrêtons-nous sur la seconde.

 

Cette obligation découle directement du fait que le fiduciaire va tenir les biens de la fiducie séparés de son patrimoine personnel. Elle va permettre d’assurer l’efficacité de cette précaution. Il ne servirait à rien en effet de créer cette masse séparée du patrimoine personnel du fiduciaire si ce dernier pouvait placer les biens mis en fiducie dans son patrimoine personnel.

Cette obligation est la condition sine qua non de l’efficacité de l’affectation des biens au but de garantie. A tel point que les rédacteurs du projet y ont consacré un article 2069 « Le fiduciaire doit prendre toutes les mesures propres à éviter la confusion des biens et droits transférés ainsi que des dettes s’y rapportant, soit avec ses biens personnels, soit avec d’autres biens fiduciaires »[279].

A la différence de l’obligation de loyauté que nous avons pu classer dans les obligations de moyens, nous pensons que ces obligations sont de résultat en ce que le fiduciaire est tenu à un résultat précis et la simple constatation que ce résultat n’a pas été atteint conduit à la conclusion du manquement à ses obligations.

 

Le non-respect de l’affectation des biens ou le manquement aux obligations propter rem

Le fiduciaire aura manqué à son obligation de conserver le bien lorsqu’il aura aliéné ce bien à un tiers. Si on admet que le fiduciaire est titulaire de pouvoirs et non de droits pour l ’accomplissement de sa mission, on pourra alors parler de « détournement  de pouvoir » en ce qu’il aura utilisé le pouvoir de disposition qui lui était conféré sur le bien dans un but détourné de celui pour lequel ce pouvoir lui a été confié. Ouvrons une parenthèse à ce propos. L’idée de recourir à la notion de pouvoirs plutôt que de droit pour justifier que le fiduciaire soit tenu d’exercer les prérogatives de la propriété dans un intérêt autre que le sien est certes séduisante mais nous devons la rejeter. D’une part car, comme nous l’avons dit, les rédacteurs du projet ont réellement tenu à attribuer au fiduciaire la qualité de propriétaire, comme en témoigne la définition qu’ils ont retenue de la fiducie.

D’autre part car cette solution priverait de la fiducie-sûreté de l’efficacité recherchée par le transfert de propriété: que les biens mis en fiducie échappent à l’assiette du droit de gage général des créanciers du constituant-débiteur. Enfin et surtout, ce serait faire un pas en arrière par rapport à la reconnaissance de droits subjectifs grevés d’une affectation tel que le droit de propriété du fiduciaire.

Certes le projet ne consacre pas un tel droit, mais son embarras devant la nature juridique des prérogatives du fiduciaire (droit ou pouvoir) est révélateur de la prise de conscience, par les rédacteurs, de la réalité d’une telle catégorie de droits. C’est encore la nécessité de respecter l’affectation de la propriété des biens affidés qui justifie le devoir du fiduciaire d’isoler ces biens de ses autres biens personnels dans son patrimoine.

Il manque à cette obligation lorsqu’il en vient à confondre ces deux masses de biens: il en sera ainsi lorsqu’il aura mêlé les fonds du patrimoine fiduciaire avec ceux de son patrimoine personnel dans un compte bancaire commun.

La violation de cette obligation ne se révélera qu’au dénouement de la fiducie, lorsqu’il s’agira de rétrocéder les biens au constituant. En effet bien souvent, le fiduciaire aura, le cas échéant, utilisé indifféremment ses fonds personnels et les fonds fiduciaires. La question qui se pose est de savoir si le constituant pourra réclamer des biens du patrimoine personnel du fiduciaire en cas de dilapidation du patrimoine fiduciaire.

Cette question ne trouvera réponse que lorsque nous aurons déterminé les droits et actions du constituant de la fiducie-sûreté. Nous nous y prêtons à présent.

 

 

§ 2   Les droits et actions du constituant à l’égard du fiduciaire

 

 

Les droits du constituant reflètent ceux du fiduciaire. Les actions dont dispose le constituant sont la contrepartie des obligations du fiduciaire. Aussi, corrélativement aux obligations de nature strictement personnelle du fiduciaire, le constituant sera titulaire de créances et d’actions personnelles pour les sanctionner (A).

Surtout, le caractère particulier que nous décidons d’attribuer au droit de propriété du fiduciaire se retrouvera logiquement dans le droit du constituant en vertu duquel il sera en droit d’exiger le respect de l’obligation propter rem, laquelle, rappelons, permet d’assurer le respect de l’affectation de la propriété du fiduciaire. Le caractère hybride de cette obligation déteindra logiquement sur l’action du constituant par le biais de laquelle ce dernier sera en mesure d’en exiger l’exécution. Plus concrètement, le constituant sera titulaire d’action de nature hybride pour sanctionner son « droit à la chose » (B).

 

 

A  Les actions personnelles du constituant, sanctions de son droit de créance

 

Le régime des actions personnelles du constituant obéit au droit commun des contrats. En vertu de quoi, il pourra engager la responsabilité contractuelle du fiduciaire pour manquement à ses obligations et obtenir réparation des dommages qui en sont résulté, sur le fondement des articles 1146 et 1147 du code civil.

Le constituant désireux d’agir en responsabilité contractuelle contre le fiduciaire pour manquement à son obligation de loyauté et/ ou aux obligations qui en découlent, devra rapporter la preuve d’une négligence fautive, source de dommages. En effet, cette obligation n’est que de moyens.

Ainsi, un fiduciaire aura fait preuve de négligence fautive lorsqu’il aura utilisé une information pour son profit personnel que seule sa qualité de fiduciaire lui permettait d’obtenir, plutôt que de l’utiliser au profit du patrimoine fiduciaire[280].

En revanche, s’agissant d’une violation à l’obligation de se conformer aux termes du contrat, la simple constatation d’une non-conformité suffira à justifier la condamnation du fiduciaire à réparation des dommages qui en sont résulté.

En effet, il n’y a aucun aléa dans l’exécution de cette obligation, il s’agit d’une obligation de résultat.

Le fiduciaire sera également condamné à réparation des dommages conséquents à la violation de son obligation propter rem en ce qu’il aurait aliéné le bien à tiers acquéreur ou affecté le bien à une autre utilisation que celle prévue au contrat.

Le cas échéant, on pourrait imaginer une application de la sanction d’abus de confiance telle que définie à l’article 408 du code pénal lequel ajoute le contrat de fiducie aux contrats de remise de biens qui y sont énumérés. Ainsi le détournement de biens donnés en fiducie sera pénalement sanctionné.

Ces sanctions nous semblent insuffisantes et impuissantes à protéger efficacement l’affectation du bien. Il faut trouver la solution dans le droit particulier du constituant et dans l’action qui le sanctionne.

 

 

B  L’action « hybride » du constituant, sanction de son ius ad rem

 

Justification du choix de la qualification

Nous considérons que le droit du constituant, à exiger l’affectation du bien au but de la fiducie, but qui, une fois accompli, implique la rétrocession du bien à son avantage, est plus qu’un simple droit de créance.

Nous avons déjà longuement démontré en quoi ce droit personnel a un véritable effet de nature « réelle » en ce qu’il confère à son titulaire une maîtrise faible mais réelle sur le bien: d’une part l’idée d’affectation,  d’autre part, la nécessaire rétrocession rendent ce bien indisponible.

Le droit du constituant est un droit à l’affectation de la chose et qui devient un droit à l’acquisition de la chose au terme de la fiducie. Ce droit est le pendant, du côté du constituant, de l’obligation propter rem du fiduciaire. Nous avons choisi de qualifier ce droit  « ius ad rem » ie droit à la chose, droit à l’affectation de la chose et droit à la rétrocession de la chose. Nous avons emprunté cette qualification à celle parfois donné au droit de suite du beneficiary du trust. On pourrait certes rétorquer qu’il n’y a pas ni de greffe ni de comparaison possible entre les droits de ces deux personnes étant donné la division du droit de propriété auquel aboutit le trust et que permet la dualité common law/equity.  Expliquons les raisons de notre choix.

Nous refusons de tirer les conséquences scientifiques classiques d’obstacles devenus, par l’effet du temps, juridiques. Ces obstacles ne doivent leur raison d’être qu’à des considérations d’ordre politique et philosophique ou liées à l’intérêt pratique des divisions et classifications.

Ainsi nous dénonçons le concept de droit de propriété absolu et la summa diviso entre les droits réels et les droits personnels. Nous avons déjà expliqué les raisons de notre rejet du concept civiliste de la propriété. Quant à la summa diviso entre les droits réels et les droits personnels, qui n’existe pas en common law[281], il est temps d’admettre que cette distinction ne présente qu’un intérêt lié à la clarté juridique des opérations et qu’en réalité, elle n’intéresse que la question de la relativité des droits. Nous ne devrions pas tirer de cette distinction des conséquences autres que celles qui lui étaient attribuées par ses « concepteurs ». Ici, nous pensons à Gaius qui, s’il concevait la distinction, n’en classait pas néanmoins les obligations, y compris la dette, dans la catégorie des biens[282].

Voici exposées les raisons qui président à notre choix de rejeter le caractère normatif de cette summa diviso et nous conduit à admettre l’existence de droits tenant, pour partie des droits réels et pour l’autre des droits personnels, droit tel que celui du constituant de la fiducie-sûreté ou du bénéficiaire d’une promesse unilatérale de vente. En outre, nous nous appuyons sur la prise de conscience manifeste des rédacteurs du projet du fait que le droit du fiduciaire se trouve en réalité quelque part entre un droit de propriété et la simple disposition de pouvoirs sur la chose.

La solution réside dans un droit de nature « hybride ». Le caractère hybride de ce droit va naturellement se répercuter sur la nature de l’action qui permettra de le faire valoir. Elle tiendra de l’action personnelle en ce qu’elle viendra sanctionner la créance corollaire à l’obligation propter rem imposée au fiduciaire. Elle tiendra de l’action réelle en ce qu’elle aura pour objet la reconnaissance d’un droit, certes non pas sur la chose (ius in rem) mais d’un droit à la chose (ius ad rem). Intéressons-nous au résultat de son exercice.

 

Exercice de l’action

Ni le projet, ni la doctrine relative à la fiducie ne conçoivent de la sorte le droit du constituant et l’action qui s’y rattache. Aussi, nous restons conscients de ce que l’évolution que nous préconisons dans le sens de la reconnaissance du caractère particulier du droit du constituant de la fiducie-sûreté ou du droit du bénéficiaire d’une promesse unilatérale de vente, n’est pas prêt de voir le jour. Les blocages tiennent de la politique et de la science juridiques. De plus, la question d’une évolution en ce sens n’est pas d’actualité, sans doute parce que la greffe d’un organe étranger (un droit de nature hybride) dans l’organisme (notre droit civil) fait souvent, en biologie comme en droit, l’objet d’un rejet. Ces considérations nous amènent à appréhender en premier lieu le droit du constituant et son exercice tel qu’il est envisagé dans le projet. Ce n’est qu’en second lieu que nous envisagerons la situation du constituant à partir des qualifications que nous avons retenues. 

 

L’  « impotence » du constituant simplement titulaire d’une créance

L’impuissance du constituant[283] à obliger le fiduciaire au respect de ses obligations, notamment l’obligation de conserver le bien et l’affecter au but de garantir le remboursement de la dette va se mesurer lorsque le fiduciaire manque à ses obligations. En effet, outre la réparation du dommage causé par ce manquement, le constituant ne va pas pouvoir exiger le retour des biens dans le patrimoine fiduciaire lorsque le fiduciaire l’aura dilapidé. La raison en est simple: faute d’être titulaire d’un droit réel sur ces biens, il n’aura aucun pouvoir de suivre les biens sortis du patrimoine fiduciaire en quelque main qu’ils se trouvent. La solution sera d’autant plus vraie que ces biens seront passés entre les mains de tiers acquéreur de bonne foi, nous y reviendrons lors de l’étude de l’effet du contrat à l’égard des tiers. Limitons-nous pour l’instant aux rapports entre le constituant et le fiduciaire. Simple titulaire d’une créance, le constituant devra se résoudre à l’octroi d’une réparation accordée sur le fondement de la responsabilité contractuelle du fiduciaire. S’agissant d’une obligation de ne pas faire, obligation de ne pas aliéner le bien en sorte d’en préserver l’affectation, le juge tendra à opter pour un mode de réparation par équivalent sur le fondement de l’article 1142 du code civil[284], fondement qui peut d’ailleurs être critiqué en ce que l’article 1142 ne vient prohiber que la contrainte physique, que n’implique certainement pas l’idée de réparation en nature de cette obligation. La réparation par équivalent devra néanmoins être retenue s’agissant d’une obligation de ne pas faire dont la violation ne peut être effacée. Il pourrait en aller différemment s’agissant de l’obligation de rétrocéder le bien, ce que nous verrons lors du dénouement de la fiducie. Mais nous en sommes encore à son exécution. Notre constituant n’obtiendra donc à titre de réparation, qu’une créance mobilière sous forme de dommages-intérêts et, lors de son exigibilité, il se retrouvera en concurrence avec les autres créanciers chirographaires. Il se rangera pari passu avec ces derniers et se retrouvera même dépassé par les créanciers privilégiés.

 

Une solution « accessoire » à cette impotence

Une solution serait de lui reconnaître un droit de suite né d’une hypothèque ou autre sûreté réelle que le contrat de fiducie aurait pour effet automatique d’accorder au constituant sur les biens fiduciaires. Pour le cas où le bien affidé est un immeuble[285], cas qui retient notre attention[286], il pourrait s’agir d’une hypothèque légale imposée par la loi sur les biens fiduciaires, à l’image de celle dont bénéficie l’époux sur les biens de l’autre ou le légataire sur les biens de la succession[287]. En effet, le législateur a su reconnaître qu’un époux pouvait avoir un intérêt particulier, souvent affectif, à acquérir le bien, dont souhaite se débarrasser son époux, et a fait en sorte de protéger cet intérêt par préférence aux potentiels acquéreurs. De même, il a reconnu qu’un légataire devait être privilégié sur le bien légué lors de la liquidation de la succession. De la même manière, le législateur pourrait reconnaître que le constituant a un intérêt particulier à l’acquisition de ce bien par préférence à d’autres potentiels acquéreurs, pour la simple raison que ce bien lui appartenait et qu’il avait la ferme intention d’en récupérer la propriété au terme de la fiducie. Fort de cette constatation, il pourrait tirer des conséquences identiques à celles qu’il a tirées pour le cas de l’époux, celui du légataire et d’autres encore, à savoir attribuer au constituant une hypothèque sur les biens fiduciaires. Le constituant serait ainsi titulaire d’un droit de suite et d’un droit de préférence en vertu desquels, il pourra saisir le bien en quelque main qu’il se trouve ou, dans le cas où le bien aurait été vendu ou dilapidé, d’obtenir, par le jeu d’une subrogation réelle, paiement de la valeur du bien par préférence aux créanciers chirographaires.

Certes se retrouverait-il encore concurrencé par les autres créanciers hypothécaires. Mais il faut admettre que le constituant titulaire d’une telle hypothèque se retrouverait dans une situation proche de celle du beneficiary du trust. Faut-il encore que le législateur veuille bien attribuer cette hypothèque au constituant. En attendant, on ne saurait que conseiller au constituant d’une fiducie de constituer conventionnellement une hypothèque pour garantir l’affectation du bien. Mais, admettons-le, tout cela devient compliqué, car il s’agirait de greffer un accessoire à un contrat qui est lui-même accessoire d’un autre contrat !

Force est de constater en outre que le droit de suite du beneficiary tendra à restituer les biens, non pas dans le patrimoine personnel de ce dernier mais dans le trust fund. Ainsi on le voit, attribuer une hypothèque au constituant ne reflète pas totalement la situation du bénéficiaire, du moins durant l’exécution du trust et de la fiducie. L’idée de l’hypothèque ne saurait prétendre  rapprocher le constituant de la situation du beneficiary que si on reconnaissait que le patrimoine fiduciaire est doté de la personnalité juridique; l’hypothèque serait alors attribuée à ce patrimoine, personne morale et l’exercice de son droit de suite aurait pour effet de voir les biens, aliénés en dépit de leur affectation, retourner dans le patrimoine fiduciaire. Telle est la solution à laquelle abouti l’exercice, par le beneficiary, de son droit de suite (tracing trust property). Mais le projet n’accorde pas la personnalité juridique à la masse constituée par les biens mis en fiducie, il en fait juste une masse séparée dans le patrimoine personnel du fiduciaire.

La solution consiste à se rapprocher encore plus du trust et à admettre que le constituant est titulaire d’un droit à la chose, similaire à celui du beneficiary, droit qu’il tiendrait en vertu du contrat de fiducie-sûreté et non en vertu d’une hypothèque. C’est ce que nous nous proposons de faire à présent.

 

Le « potentiel » du constituant titulaire d’un ius ad rem ...

Reconnaître à un constituant la titularité d’un droit à la chose, c’est lui accorder un droit de suite sur cette chose afin de voir replacer le bien dans le patrimoine fiduciaire, afin de lui restituer son affectation. Ainsi on le voit, il s’agit d’un droit très proche de celui du beneficiary, droit de suite qu’il tient de son « droit équitable de propriété » (equitable interest). Par l’exercice de son droit de suite, droit que lui confère son ius ad rem (qui est un droit à l’affectation de la chose durant l’exécution de la fiducie), le constituant, à l’image du beneficiary, va pouvoir revendiquer le bien et obtenir son retour dans le patrimoine fiduciaire[288], sous réserve, bien entendu, de l’acquisition de bonne foi par un tiers. De même, le droit de suite du beneficiary ne peut pas s’exercer contre un tiers acquéreur de bonne foi[289].

 

... face à un fiduciaire qui a aliéné le bien affidé à un tiers acquéreur de bonne foi

Le cas échéant, il est admis dans le law of trusts que le droit du beneficiary se reporte sur la somme obtenue de l’aliénation du bien; cette sanction du fiduciaire est celle du constructive trust. Le trust se reporte sur cette somme et le trustee est considéré comme constructive trustee de cette somme qu’il doit donc conserver et affecter au but du trust. S’il le trust property a permis l’acquisition d’autres biens, le trust se reporte sur ces biens. Pour être concrets, reprenons l’exemple d’un auteur anglais[290]: « si le trustee malhonnête s’est approprié les fonds du trust pour acheter un Picasso pour lui-même, les bénéficiaires peuvent alors réclamer le Picasso comme étant leur bien. S’il l’a vendu et a acheté un appartement avec le produit de la vente et utilise régulièrement les loyers pour financer l’achat à tempérament d’une Porsche, les bénéficiaires peuvent alors réclamer l’appartement et la Porsche... ».

Il s’agit donc d’un trust crée implicitement à titre de sanction de la violation, par le trustee, de son devoir de ne retirer aucun profit personnel de sa mission. On sait que la fiducie ne se présume pas. Une telle sanction n’est donc pas envisageable en matière de fiducie. Comment aboutir à une solution équivalente ?

On devrait pouvoir atteindre une telle solution par le jeu de la subrogation réelle. Il suffit d’admettre que la somme que le fiduciaire a retirée de la vente du bien affidé a été subrogée à ce même bien dans le patrimoine fiduciaire.

 

... et face à un fiduciaire qui a dilapidé les biens du patrimoine fiduciaire

Dans le cas d’une fiducie-sûreté, la dilapidation des biens pourrait consister dans la destruction de l’objet corporel cédé à titre de garantie, la dissipation de l’argent, profit de la vente de ce bien corporel. Il s’agira rarement d’une simple dissipation d’argent lorsque la fiducie-sûreté est accessoire à un prêt pour la simple raison que le constituant ne saurait céder un capital monétaire à titre de garantie, la disposition d’un tel capital ne justifiant plus le recours au prêt. Néanmoins, dans le but de simplifier la démonstration, nous considérerons que le patrimoine fiduciaire consiste dans un capital monétaire. 

Deux cas de situations peuvent se présenter dépendant du fait de savoir si le fiduciaire avait ou non pris les mesures propres à éviter la confusion des biens fiduciaires avec ses biens personnels, ce qui lui incombe à titre d’obligation[291].

Si le fiduciaire avait pris ces mesures et qu’il a néanmoins dilapidé les fonds du patrimoine fiduciaire, il n’y a plus de subrogation possible puisque le bien sur lequel portait le droit de suite n’a pas été remplacé, il ne saurait y avoir de subrogation avec les fonds de son patrimoine personnel. Le cas échéant, le bénéficiaire s’aligne pari passu avec les créanciers chirographaires du fiduciaire car il devient titulaire d’une simple créance de dommages-intérêts du montant de la somme dilapidée. Cette solution, inspirée de la jurisprudence anglaise[292] et des règles du law of trusts, est parfaitement transposable pour la fiducie, comme on le voit, en utilisant le mécanisme de la subrogation réelle. Il en va de même s’agissant du second cas.

Le fiduciaire n’a pas pris ces mesures et a mêlé les fonds du patrimoine fiduciaire avec ceux de son patrimoine personnel, puis a dilapidé une somme correspondant à la valeur du patrimoine fiduciaire; le cas échéant, le droit anglais présume que le trustee a sans doute eu l’intention de dilapider en premier lieu les fonds de son patrimoine personnel. Il en résulte que si le patrimoine personnel contient une somme équivalent à celles du trust property, le trust va se reporter sur cette somme[293]. Les créanciers chirographaires devront se partager les fonds du patrimoine personnel, diminués de ceux reportés dans le trust fund. Si cette solution parait injuste pour les créanciers personnels du trustee, elle est de bonne politique jurisprudentielle puisqu’elle suppose que le trustee est honnête: ie en disposant de fonds tirés de l’ensemble des deux patrimoines confondus, il a certainement eu l’intention d’utiliser en premier lieu ses fonds propres. Aussi pourrait-on transposer la solution en matière de fiducie en admettant que la confusion des fonds rend opératoire le mécanisme de la subrogation réelle. Par ce biais, les biens fiduciaires dilapidés seraient subrogés par les biens personnels du fiduciaire dans le patrimoine fiduciaire. Cette solution aurait d’une part le mérite de protéger le patrimoine fiduciaire, et partant le droit du constituant, et serait d’autre part, une sanction efficace à la violation par le fiduciaire de son obligation de prendre les mesures propres à éviter la confusion des biens fiduciaires avec ses biens personnels. On pourrait y voir un mode de réparation en nature du manquement à cette obligation ; or la meilleure réparation en nature consiste à mettre les parties dans la situation où elles se seraient trouvées s’il y avait eu exécution conforme des obligations du contrat. Or, le cas échéant, les fonds du patrimoine fiduciaire seraient restés intacts puisque, conformément à son intention (présumant qu’il est honnête), il aurait utilisé ses fonds personnels en premier lieu.

Le recours au mécanisme de la subrogation réelle ne présente d’intérêt que si le constituant est titulaire d’un droit de suite qui lui permette d’exiger le retour des biens fiduciaires ou subrogés dans le patrimoine fiduciaire afin d’en assurer l’affectation prévue mais également afin d’en retrouver la propriété lors du dénouement de la fiducie.

               

 

 

 

SECTION II   LES PARTIES ET LE CONTRAT LORS DE SON DENOUEMENT

 

 

 

« Lorsque la fiducie prend fin, (...), les biens et droits subsistants font retour au constituant ou à ses ayants causes. » (art. 2070-11 futur c.civ.).

« ...la valeur du bien transféré au fiduciaire doit, en cas de défaillance du débiteur, être déterminée à dire d’expert... » (art. 2065 futur c.civ.).

Voici énoncées, en deux dispositions, les règles régissant la fiducie-sûreté lors de son extinction.

La première régit le dénouement de la fiducie-sûreté au cas de remboursement de sa dette par le débiteur: c’est le dénouement « naturel » de la fiducie-sûreté (§1).

La seconde prévoit les suites du dénouement de la fiducie-sûreté au cas de défaillance du débiteur: c’est le dénouement « exceptionnel » de la fiducie-sûreté (§2).

 

 

 

§ 1   Le dénouement « naturel » de la fiducie-sûreté

 

 

La fiducie-sûreté prend « naturellement » fin lorsque la dette qu’elle avait pour objet de garantir s’éteint. A partir de là, le bien mis en garantie sera rétrocédé au constituant-débiteur lequel a remboursé sa dette. La rétrocession du droit de propriété au propriétaire initial soulève la question du mécanisme qui saura l’opérer (A). L’intérêt de la question réside dans le choix que les parties devront faire quant aux conditions de la rétrocession, conditions qui, en outre, devront être stipulées au contrat[294]. Une fois le mécanisme retenu, sa mise en œuvre pourra se trouver confrontée à des difficultés (B).

 

 

A  Le mécanisme mis en œuvre pour opérer la rétrocession du bien

 

 Cette rétrocession est-elle le résultat de la mise en œuvre d’une condition résolutoire à laquelle était assorti le transfert initial de propriété ? Ou bien cette rétrocession ne résulte-t-elle que de l’exécution de l’obligation propter rem du fiduciaire ?

 

Le jeu de la condition résolutoire du transfert initial de propriété

Dans cette hypothèse, on admet que le transfert initial de la propriété est assorti d’une condition résolutoire, le remboursement de la dette par le constituant tenant lieu de condition.

 

Le remboursement de la dette par le constituant son débiteur, tient lieu de condition

Cet événement peut-il valablement constituer une condition ? Nous répondons par l’affirmative car cet événement répond aux caractères requis par l’article 1168 du code civil.

Cet événement est futur: une échéance est prévue. Il est incertain, en témoigne les précautions prises par le créancier incertain d’être payé de constituer une sûreté. Cet événement peut donc tenir lieu de condition.

Sa réalisation dépend du constituant, son débiteur. N’y a-t-il pas là une condition potestative ?

Non car sa réalisation ne dépend pas de la volonté arbitraire de son débiteur, le constituant, mais dépend de la réalisation d’un acte déterminé dont il a des raisons sérieuses d’accomplir, à savoir retrouver la propriété de son bien et dont la réalisation dépend d’une circonstance indépendante de sa volonté, ce qui justifie, là encore, les précautions dont s’entoure son créancier. Il s’agit d’une condition simplement potestative et donc valable.

Plusieurs raisons nous conduisent à repousser ce mécanisme.

 

Ce mécanisme occulte les effets naturels de la fiducie-sûreté

Considérer que la rétrocession s’opère par le jeu de l’accomplissement de la condition résolutoire affectant le transfert initial de propriété, c’est nier que le fiduciaire soit tenu d’une obligation restreignant son droit de disposer, obligation propter rem qui se concrétise, au dénouement du contrat, par une obligation de donner. C’est en réalité nier que le droit de propriété du fiduciaire soit restreint par une quelconque obligation affectant son pouvoir de disposer de la chose, et notamment de l’aliéner. C’est enfin nier que le constituant soit titulaire d’un quelconque droit à la rétrocession de la chose à son avantage puisque le bien lui sera rétrocédé, non en vertu de l’exécution par le fiduciaire de son obligation de donner, corollaire du droit à la chose du constituant, mais par le jeu de la réalisation de la condition résolutoire.

Bref, c’est encore nier les effets réels du contrat de fiducie-sûreté et essayer de les aménager par des mécanismes dont disposent le droit français.

Si on peut, par le truchement du mécanisme de la condition résolutoire, retrouver les effets naturellement attachés à la fiducie-sûreté, on ne peut, en revanche, éviter les inconvénients d’un tel mécanisme.

 

Les inconvénients du mécanisme liés à la rétroactivité de la condition

Lorsque la condition se réalise, il se produit une rétroactivité des effets du droit affecté par la condition, à savoir les effets du droit de propriété du fiduciaire. Tout va se passer comme s’il ne l’avait jamais été. Il y a retour au statu quo ante. Il doit restituer le bien qu’il n’avait eu que sous condition résolutoire. Mais les inconvénients se mesurent surtout à l’égard des tiers qui ont traité avec lui car on sait que la résolution entraîne une cascade de résolutions. Resoluto jure dantis resolvitur jus accipientis. Ainsi, si le fiduciaire, propriétaire sous condition résolutoire, avait grevé le bien d’hypothèque, avait contracté une assurance dessus, tous ces actes sont à leur tour annulés. Certes l’on sait aussi que cette règle de la rétroactivité des conditions est purement supplétive et qu’il suffit, aux parties, pour y déroger, d’insérer une clause dans le contrat qui écarte le caractère rétroactif de la condition. Mais n’est-il pas plus simple de laisser la fiducie-sûreté produire ses effets naturels, effets qui équivalent à ceux du mécanisme sus-exposé mais en évitent les inconvénients. Aussi, n’est-il pas artificiel de poser que les parties ont voulu le transfert définitif de la propriété du bien au fiduciaire que seul un événement serait susceptible de remettre en cause alors qu’il est de l’essence de la fiducie-sûreté que ce transfert de la propriété soit voulu temporaire.

Nous préférons un autre mécanisme lequel a l’avantage de prendre en considération les effets naturels de la fiducie-sûreté.

 

 

Exécution de l’obligation propter rem du fiduciaire

Nous avons eu l’occasion de montrer, outre la réalité de cette obligation, le contenu de celle-ci. Lors du dénouement de la fiducie-sûreté, cette obligation consiste à rétrocéder le bien mis en fiducie au terme du contrat. Cette obligation reflète bien le but du contrat qui n’était d’accorder la propriété du bien au fiduciaire que pendant le temps où cette propriété servirait de garantie. Lorsqu’il n’y a plus lieu à garantie, le fiduciaire ne saurait conserver plus longtemps cette propriété. Il doit naturellement rétrocéder cette propriété.

 

 

 

B  Les difficultés rencontrées lors de la mise en œuvre du mécanisme

 

Ces difficultés seront principalement liées à l’impossibilité de rétrocéder le bien en ce que ce dernier n’est plus dans le patrimoine fiduciaire. Soit le fiduciaire a aliéné le bien à un tiers acquéreur, soit le fiduciaire a dilapidé ce bien.

 

Si on considère que la rétrocession s’opère par la réalisation de la condition résolutoire auquel était assorti le transfert initial de propriété, le constituant ayant remboursé sa dette devient automatiquement propriétaire. Par l’effet de la rétroactivité de la condition, son droit de propriété est considéré comme existant au jour du transfert initial. Il en résulte que les tiers acquéreur n’ont pu valablement acquérir la propriété du fiduciaire lequel est considéré comme n’ayant jamais été propriétaire. Or, nemo dat quod non habet. Ce mécanisme semble conférer une grande protection au constituant mais on sait que la jurisprudence tend à neutraliser les effets de cette rétroactivité pour des raisons qui tiennent, parfois, à l’existence d’une obligation de garantie[295], le plus souvent, à des impératifs de sécurité[296]. Par un mécanisme de subrogation réelle, le droit de propriété du constituant se reportera sur le profit que le fiduciaire aura retiré de la vente. En cas de dilapidation, il sera simplement titulaire d’une créance de dommages-intérêts[297].

 

Si on admet que la rétrocession s’opère par exécution de l’obligation propter rem du fiduciaire, le fiduciaire va pouvoir exercer son droit de suite assorti à son droit à la chose et revendiquer le retour du bien initialement cédé ou subrogé, mais cette fois, non pas dans le patrimoine fiduciaire mais dans son propre patrimoine. Excepté cette différence, les solutions sont identiques à celles exposées supra relatives à l’exercice du droit de suite lors de l’exécution du contrat. De la même manière, le constituant ne pourra plus exercer son droit de suite lorsque les biens ont été dilapidés et il sera titulaire d’une simple créance de dommages-intérêts.

Nous éviterons les redits en clôturant ici ce point.

 

Pourrait-on imaginer que le législateur désireux d’agir dans le sens d’une meilleure protection du constituant, lui accorderait le bénéficie d’un privilège spécial de même qu’il a pu l’accorder au « vendeur, sur l’immeuble vendu, pour le payement du prix »[298]. On peut admettre que le vendeur est titulaire d’un véritable droit de propriété sur la créance de somme d’argent consistant dans le prix de la vente, de même que le constituant retrouve son droit de propriété sur le bien.

Mais ce ne sont qu’hypothèses et incertitudes. Le projet apporte-t-il plus de certitudes ? La question du dénouement exceptionnel de la fiducie-sûreté ne permet pas de s’en convaincre.

 

 

 

§ 2  Le dénouement « exceptionnel » de la fiducie-sûreté

 

 

Le remboursement de la dette entraîne naturellement la rétrocession du bien mis en fiducie. Exceptionnellement, le bien ne sera pas rétrocédé. Il en sera ainsi en cas de défaillance du constituant lorsqu’il n’aura pas remboursé à terme la dette dont il est débiteur. La solution est classique[299]. Elle est implicite dans le projet. Ce dernier fait indirectement référence au devenir du bien lorsqu’il prévoit que « la valeur du bien transféré au fiduciaire doit, en cas de défaillance du débiteur être déterminée à dire d’expert... ». Il en résulte qu’au cas exceptionnel de non-remboursement de la dette, la fiducie-sûreté se dénoue par la non-rétrocession du bien au constituant (A) et le désintéressement du fiduciaire (B).

 

 

A  La non-rétrocession du bien au constituant

 

L’événement tenant lieu de condition ne s’est pas produit

Telle est la justification de la non-rétrocession du bien si on considère que le transfert initial de la propriété était assorti d’une condition résolutoire. La condition ne s’étant pas réalisé à terme, elle est considérée comme défaillie en application de l’article 1176 du code civil[300].

Il en résulte logiquement que le fiduciaire devient propriétaire définitif du bien cédé à titre de garantie. Le second mécanisme donne le même résultat.

 

Le fiduciaire n’est pas tenu d’exécuter son obligation de rétrocéder le bien

Le non-remboursement de la dette par son débiteur, le constituant, suspend le fiduciaire de son obligation de rétrocéder le bien qui lui a été transféré à titre de garantie. Faut-il en conclure que l’obligation de rétrocéder le bien a été conclue sous condition suspensive du remboursement de la dette par le constituant ? De même que pour le mécanisme de la condition résolutoire affectant le transfert initial de propriété, le remboursement de la dette peut valablement tenir lieu de condition. Là encore nous déplorons un tel mécanisme.

En effet, il est traditionnellement admis que la condition suspensive est celle qui affecte la naissance de l’obligation. Ce serait alors admettre que l’obligation du fiduciaire ne naît, certes rétroactivement, que lorsque l’événement se produit. Ce serait donc nier que le fiduciaire est tenu d’une obligation de rétrocéder le bien au terme du contrat et corrélativement nier que le constituant serait titulaire d’un droit à la chose. Or, cette obligation propter rem et ce ius ad rem sont, à notre avis, de l’essence de la fiducie. Ce n’est pas parce qu’on utilise la fiducie à fin de sûreté que les éléments essentiels de ce contrat doivent s’en trouver modifiés. En effet, en matière de fiducie-gestion ou de fiducie-libéralité, il n’est pas question de remettre en cause l’obligation du fiduciaire de transférer la propriété au bénéficiaire au terme du contrat. Pourquoi en serait-il ainsi en matière de fiducie-sûreté ? Sans doute parce qu’on raisonne à partir des conséquences traditionnelles de la défaillance du débiteur dans les cas où son créancier aura constitué une sûreté. En effet, on sait que dans ce cas, il y aura en principe réalisation de la garantie et donc paiement sur le bien donné en garantie.

Il serait plus conforme à l’essence de la fiducie-sûreté d’insérer dans le contrat une stipulation selon laquelle, en cas de défaillance du débiteur, le fiduciaire ne sera pas tenu de son obligation de rétrocéder le bien et qu’il pourra le réaliser. Certes le résultat est le même mais cette dernière proposition nous semble plus respectueuse des effets de la fiducie-sûreté. En outre, cette stipulation viendrait en quelque sorte « consacrer » l’interdépendance des deux contrats: elle vient instaurer une sorte d’ « exception d’inexécution » liant les deux contrats; on permet au fiduciaire, en cas de non exécution par le débiteur de son obligation née du contrat principal, d’invoquer l’exception d’inexécution afin de se décharger de l’exécution de son obligation née du contrat accessoire.

Quel que soit le mécanisme retenu par les parties, le fiduciaire ne va pas rétrocéder la propriété du bien.

 

 

 

 

 

 

 

B  Le désintéressement du créancier- fiduciaire

 

La conservation du bien

Le fiduciaire, resté propriétaire, pourra en rester là et se désintéresser par la conservation de la propriété.

On voit déjà les travers de ce mode de désintéressement, travers contre lesquels la prohibition du pacte commissoire a été dressée. La plupart du temps en effet, le bien cédé à titre de garantie excédera le montant de la dette à rembourser. 

Or, la situation du fiduciaire conservant le bien à titre de réalisation de la sûreté est très proche de celle d’une mise en œuvre d’un pacte commissoire. Le pacte commissoire est celui qui permet au créancier de s’approprier le bien servant de garantie en cas de défaillance du débiteur, sans le faire auparavant attribuer par décision de justice. La similitude est manifeste.

Si on admet que le fiduciaire puisse garder la propriété du bien à titre de paiement, le risque est celui d’une spoliation du constituant-débiteur. En outre, admettre un tel mécanisme reviendrait à légitimer un pacte commissoire, par le biais d’un contrat non visé par cette prohibition et donc non concerné[301].

Le danger d’une telle fraude déguisée n’est pas écartée par la disposition du projet lequel réserve l’hypothèse d’un choix par les parties du mécanisme permettant le désintéressement du créancier-fiduciaire.

Ce dernier pourra également réaliser le bien et se payer sur le prix de vente du bien.

 

La réalisation privée du bien

Les parties peuvent décider conventionnellement que le créancier vendra le bien à l’amiable et se paiera sur le prix obtenu. Si le produit de la réalisation excède le montant de la dette à payer, le créancier devra restituer le surplus au débiteur. Là encore le mécanisme retenu n’est pas à l’abri de toute critique. En effet, le risque est que le créancier impose au débiteur une estimation de prix mais en demande un prix plus élevé à la vente, afin de récupérer, outre le montant de sa créance, la somme correspondant à la différence entre le prix annoncé au débiteur et le prix réellement obtenu. Le débiteur se retrouverait encore spolié par son créancier. Ce mode de réalisation du bien n’est autre que la mise en œuvre d’une clause de voie parée, laquelle est également prohibée. Mais de même que pour le cas précédent, la prohibition ne joue que pour le gage et l’antichrèse. La fiducie-sûreté est à l’abri d’une sanction pour contravention à l’interdiction de la clause de voie parée.

 

Bien que non prohibés, une suspicion d’illiceité va peser sur ces modes de dénouement « exceptionnel » de la fiducie-sûreté. On ne saurait, dès lors, se satisfaire de la situation. Partant de cette considération, il faut accueillir la disposition du projet[302] comme une solution potentielle à cette situation regrettable.

 

La réalisation du bien évalué à dire d’expert

Les rédacteurs du projet prennent conscience de ce qu’une vente amiable est généralement plus fructueuse qu’une vente aux enchères. Aussi prennent-ils soin d’entourer la vente du bien de précautions pour limiter le risque d’une spoliation du débiteur. Ils prévoient une détermination de la valeur du bien à dire d’expert ou en fonction de leur côte sur un marché organisé s’il s’agit de contrats ou valeurs mobilières.

Ce système est bon mais son efficacité ne saurait véritablement être assuré que si les parties n’étaient pas autorisées à s’en écarter. Or, c’est précisément le cas puisqu’il ne sera fait recours à ce mécanisme que par défaut, ie « si le contrat de fiducie conclu à des fins de garantie n’en a pas disposé autrement ». Cela nous semble regrettable car la spoliation du débiteur doit être un souci majeur s’agissant de la réalisation des sûretés. La solution du projet a le mérite d’apporter un minimum de sécurité au débiteur et elle nous semble peut contraignante pour le vendeur. Pourquoi ne pas l’imposer ? Les rédacteurs du projet priment-ils la liberté contractuelle ?

Y a-t-il vraiment lieu de privilégier la volonté des parties sur des préoccupations liées à des impératifs de sécurité lorsque l’on sait que la jurisprudence n’hésite pas à faire triompher ces impératifs de sécurité lorsqu’il s’agit de protéger des tiers aux dépens de la volonté exprimée des parties.


CHAPITRE II - LES EFFETS DE LA FIDUCIE -SURETE A L’EGARD DES TIERS

 

 

 

« Les tiers ont le droit d’être laissés tranquilles ». Ainsi Carbonnier exprimait le principe de la relativité des conventions auquel le contrat de fiducie-sûreté est naturellement soumis[303]. Mais il est traditionnellement entendu que ce principe ne s’applique qu’aux tiers absolus, les penitus extranei. La formule de l’article 1165 du code civil selon laquelle le contrat ne nuit, ni ne profite aux tiers, ne saurait s’appliquer aux ayants causes et créanciers des parties (Section I), lesquels vont « souffrir » ou profiter de l’existence du contrat de fiducie. Il en va différemment pour le tiers acquéreur d’un bien affidé (Section II), entièrement étranger au contrat, et aux cocontractants.

 

 

 

SECTION  I    LES AYANTS CAUSES ET CREANCIERS DES PARTIES ET LE CONTRAT

 

 

 

Les ayants causes des parties, à titre universel ou à titre particulier, tiennent leur droit de l’une ou l’autre des parties, leur auteur. Les créanciers sont titulaires d’un droit de créances à l’encontre de l’une ou l’autre partie, leur débiteur. Analysons successivement les situations de ces deux catégories lorsqu’elles se retrouvent confrontées à la fiducie-sûreté contractée par leurs auteur et débiteur.

 

 

§ 1  Situation des ayants causes des parties à la fiducie-sûreté

 

 

Le bien servant à garantie sort du patrimoine du constituant

La fiducie-sûreté réalise le transfert de propriété d’un bien, du patrimoine du constituant, vers le patrimoine fiduciaire, masse séparée dans le patrimoine personnel du fiduciaire. Le bien sort du patrimoine personnel du constituant, on comprend dès lors l’intérêt de ses ayants causes à une telle transaction. En effet, ces ayants causes bénéficient d’une fraction du patrimoine, ou d’un droit sur le patrimoine de leur auteur, le constituant. Le bien mis en fiducie sortant du patrimoine du constituant, le droit d’un ayant cause à titre particulier ne s’exercera pas sur ce bien, et ce bien ne sera pas compris dans la fraction du patrimoine dont bénéficie un ayant cause à titre universel. Il en résulte qu’« en cas de décès du fiduciaire, les biens et droits objet de la fiducie ne font pas partie de sa succession »[304].

 

La protection des héritiers réservataires du constituant

On sait qu’une personne peut disposer à sa guise de son patrimoine dans la seule limite de la quotité disponible en présence d’héritiers réservataires. Ces derniers ont en effet droit à une portion du patrimoine de leur auteur, dont il ne saurait les priver. Cette portion est la réserve héréditaire, le respect de laquelle justifiant que ses bénéficiaires puisse agir en réduction des libéralités et donations consenties par leur auteur au-delà de la quotité disponible.

Forts de cette préoccupation, les rédacteurs de projet ont adopté des dispositions[305] afin que la constitution d’une fiducie, dont les biens qui en font l’objet sont exclus de la succession du constituant, ne porte pas atteinte aux droits des héritiers réservataires. Ils en font un principe: « La fiducie ne peut porter atteint aux droits des héritiers réservataires », et en tirent les conséquences: « Si, lors du décès du constituant, la valeur des biens et droits transférés au fiduciaire excède la quotité disponible, la fiducie est réductible ». Nous ne rentrerons pas dans les détails de ces dispositions lesquels intéressent une autre matière et nous semblent superflus au regard des buts de la présent étude.

Il nous semble néanmoins intéressant de voir brièvement ce qu’il en est outre-Manche

 

Le trust est « mis de côté » afin de protéger le conjoint et membres de la famille du constituant

Le conjoint marié est protégé par le Matrimonial Causes Act 1973 contre les dissipations de l’autre. Il pourra demander que le trust soit mis de côté (set aside) à son égard lorsqu’il porte par exemple sur la maison familiale. Cette sanction équivaut à notre sanction d’inopposabilité. Un sanction plus efficace consistera à conférer un  equitable interest  au conjoint en vertu d’un  resulting trust[306] . La loi présume que la contribution financière du conjoint à l’achat de la maison familial, ou le simple entretien de la famille correspond en réalité à un intention implicite d’acquérir un intérêt équitable (presumption of advancement), même si l’autre conjoint a acquis le bien en nom propre. La loi impose un trust en conférant au conjoint acquéreur le legal estate et l’equitable interest à l’autre conjoint. L’idée est d’imposer à une personne mariée le devoir moral de subsister aux besoins de son conjoint[307]. La jurisprudence a étendu cette solution aux couples non mariés et ... homosexuels[308] !

En outre, la famille et les personnes à charge sont protégés par l’Inheritance Act 1975 contre les personnes qui, souhaitant déshériter leur famille[309], transfèrent leur biens en trust au bénéfice de personnes déterminées ou dans un but charitable. Ils pourront obtenir du juge une restitution du bien, en nature, ou en valeur en cas d’impossibilité de fait ou de droit de restituer la chose.

Le trust sera dans certains cas inopposables aux créanciers du settlor. N’allons pas plus loin, la question intéresse le second paragraphe.

 

 

§ 2  Situation des créanciers des parties à la fiducie-sûreté

 

 

La fiducie-sûreté nuit aux créanciers chirographaires du constituant en ce que le transfert de propriété qu’elle implique vient réduire l’assiette de leur droit de gage général. Mais il ne vient pas pour autant profiter aux créanciers personnels du fiduciaire puisque le bien cédé à titre de garantie ne fait pas partie de son patrimoine personnel mais d’une masse séparée affectée au but de la fiducie. Est-ce à dire que le bien ne va profiter à aucun créancier ?

 

Les droits des créanciers fraudés par le constituant

L’adage Fraus omnia corrumpit semble avoir fait écho de part et d’autre de la Manche.

Le projet prévoit que « ...hors le cas de fraude aux droits des créanciers du constituant, les biens transférés au fiduciaire ne peuvent être saisis... »[310]. La lecture a contrario de l’article rend applicable en matière de fiducie l’article 1167 du code civil qui consacre l’action paulienne en vertu de laquelle les créanciers peuvent, « en leur nom personnel, attaquer les actes faits par leur débiteur en fraude de leur droits ». Devant la preuve que la fiducie-sûreté aura été constituée en fraude des droits des créanciers, le juge pourra déclarer la fiducie inopposable au créancier demandeur à l’action et les biens mis en fiducie réintégreront le patrimoine du constituant. Ils réintégreront du même coup l’assiette du droit de gage général des créanciers qui pourront alors les saisir.

De la même manière, le Law of Property Act 1925 et l’Insolvency Act 1986 sanctionnent toute transmission de biens faite en fraude des droits des créanciers[311], et l’equity refuse de régir un trust frauduleux[312].

Intéressons-nous à un cas particulier de fraude.

 

La fraude du constituant d’une fiducie en période suspecte

Le projet ajoute un 8é alinéa à l’article 107 de la loi du 25 janvier 1985[313], lequel prévoit que tout acte de fiducie sera annulé s’il est effectué après la cessation de paiements. Il s’agirait d’une nullité obligatoire qui anéantit rétroactivement l’acte. Si la fiducie a été constituée dans les six mois précédant la date de cessation des paiements, elle pourra être annulée mais il s’agit là d’une nullité facultative, la fraude du constituant devant être prouvée. Ce cas de fraude à l’égard des créanciers a son équivalent anglais.

L’Insolvency Act autorise le juge dans un délai de deux ans entre le transfert des biens et la faillite du constituant, à prononcer l’inopposabilité de l’acte aux créanciers. La différence est qu’en l’espèce, le juge peut prendre cette décision, même si le constituant était solvable au moment du transfert, tandis que le juge français ne peut remonter qu’à six mois avant la date de cessation de paiement.

Certes d’autres différences, manifestes, existent, mais nous écourtons la question qui n’est traitée qu’à titre d’exemple, elle a déjà pris trop de place dans le développement.

 

Le droit de suite des créanciers du constituant munis de sûreté

L’article 2069 alinéa 2 futur du code civil pose que « les biens transférés ne peuvent être saisis (...) hors préjudice des droits des créanciers du constituant titulaires d’un droit de suite attaché à une sûreté publiée antérieurement au contrat de fiducie ». Cela signifie par exemple que le titulaire d’une hypothèque inscrite antérieurement au contrat de fiducie-sûreté conservera son droit de suite au cas de transfert ultérieur de l’immeuble à titre de garantie.

Cette solution est liée à l’opposabilité erga omnes des droits réels. Elle est similaire en droit anglais s’agissant des charges (easements[314]) qui peuvent grever les biens mis en trust. Ces charges sont opposables au trustee et aux bénéficiaires du trust.

 

L’action oblique des créanciers du constituant à l’extinction de la fiducie-sûreté

Il faut se souvenir que la fiducie-sûreté s’éteint naturellement par le remboursement de la dette par le constituant et il en résulte la rétrocession du bien au constituant. A ce moment, le bien réintègre normalement le patrimoine du constituant et du même coup l’assiette du droit de gage général des créanciers chirographaires. Mais on a vu qu’il pouvait y avoir des difficultés à cette rétrocession liées au refus du fiduciaire ou à l’impossibilité de restituer le bien. A ce stade, nous avons considéré que le constituant était titulaire d’un droit de suite découlant de son droit à la chose[315]. Il peut arriver cependant que notre constituant, pour diverses raisons, renonce délibérément à exercer son droit de suite pour récupérer soit la propriété du bien initialement cédé, soit un bien qui lui serait subrogé. L’article 1166 du code civil permet aux créanciers du constituant négligent, par le jeu de l’action oblique, d’ »exercer tous les droits et actions de leur débiteur  ». Ils pourront également exercer l’action personnelle du constituant afin de faire sanctionner la manquement à ses obligations du fiduciaire. Les dommages-intérêts qui seront alloués à ce titre intégreront l’assiette de leur droit de gage général.

 

Le droit de gage général des « créanciers de la fiducie »

L’article 2069 alinéa 2 futur du code civil dispose que, hors les exceptions ci-dessus exposées, « les biens transférés au fiduciaire ne peuvent être saisis que par les titulaires de créances nées de la conservation ou de la gestion de ces biens par le fiduciaire ». Le droit de ces créanciers ne constitue pas une exception à l’interdiction de la saisie par les créanciers personnels du fiduciaire puisque leur créance est née dans le patrimoine fiduciaire. Ces créanciers sont ceux qui vont profiter le plus directement du bien affidé puisque leur droit de gage général va porter sur le patrimoine fiduciaire constitué par le contrat de fiducie-sûreté.

 

De ces remarques, il ressort que les parties, pour prolonger la formule de Carbonnier, « ont le droit d’être dérangés » par des tiers au contrat de fiducie-sûreté. Ces tiers ne sont pas les penitus extranei visés par l’article 1165 mais plutôt des tiers qui ont une situation intermédiaire entre celle des parties et celle des « véritables » tiers. Mais on va pouvoir constater que même de véritables tiers pourront perturber la vie du contrat.

 

 

 

 

 

 

SECTION  II  LE TIERS ACQUEREUR D’UN BIEN AFFIDE ET LE CONTRAT

 

 

 

Voici un tiers qui acquiert un bien appartenant au patrimoine de la fiducie, compromettant du même coup l’affectation de ce bien durant l’exécution de la fiducie-sûreté, et empêchant sa restitution au constituant au terme de celle-ci. Le constituant se trouve indéniablement dérangé par cette acquisition et nous avons vu qu’il va pouvoir agir en responsabilité contre le fiduciaire et en restitution du bien[316]. Le tiers acquéreur va se trouver menacé par le second type d’action laquelle tend à lui retirer la propriété du bien acquis. Déjà, nous avions signalé que le succès de cette action dépendra du point de savoir si le tiers a pu valablement acquérir le bien. Le traitement de cette question nous conduit à dresser une distinction entre deux cas de situations que nous étudierons successivement. Le tiers a acquis le bien de bonne foi (§1) ou le tiers a acquis le bien de mauvaise foi (§2).

Avant d’entrer dans le développement, ouvrons une brève parenthèse. Dans l’analyse qui suit, nous traitons du problème en matière immobilière car le problème se posera plus rarement en matière mobilière. En effet, le constituant conserve la possession du bien[317], il sera dès lors plus difficile pour un fiduciaire de prétendre transférer la propriété d’un meuble sans pouvoir livrer le bien au terme de la négociation, ou sans même pouvoir présenter ce bien. Au demeurant, si l’hypothèse se présente, le tiers entré en possession du bien sera protégé par la formule de l’article 2279 du code civil, « En fait de meubles, la possession vaut titre ».

 

 

 

§ 1   Le tiers a acquis le bien affidé de bonne foi

 

 

 

Si le fiduciaire, propriétaire ès-qualité, transfère à un tiers la propriété d’un bien affidé, l’aliénation est valable s’il a ignoré la limitation des pouvoirs du fiduciaire. ces éléments suffiront à constituer la bonne foi de l’acquéreur (A). Dès lors, en vertu de l’effet normatif de la bonne foi fondée sur l’apparence(B), il sera admis que le tiers acquéreur est plein titulaire de la propriété du bien.

 

 

A  Les éléments constitutifs de la bonne foi de l’acquéreur d’un bien affidé

 

Le tiers sera constitué de bonne foi dès lors qu’il n’aura pas eu connaissance de la qualité de fiduciaire de son auteur, qualité qui venait précisément interdire à ce dernier d’aliéner le bien affidé à un tiers au contrat, et obliger ce tiers à respecter cette situation de fait créée par le contrat. Si la bonne foi est présumée de principe[318], un tiers acquéreur doit en outre prouver que des circonstances ont pu raisonnablement le conduire à croire en la qualité apparente que son auteur revêtait d’un propriétaire absolu du bien. C’est la preuve de l’ «erreur commune » pour que joue l’adage Error communis facit jus. Le projet vient faciliter le travail de la preuve du tiers en consacrant cette apparence mais il faudra prendre acte, dans certains cas, de l’incidence des règles de la publicité foncière.

 

Le fiduciaire est présumé propriétaire apparent

Le projet consacre l’apparence de propriétaire que revêt le fiduciaire en posant que « dans ses rapports avec les tiers, le fiduciaire est réputé disposé des pouvoirs les plus étendus sur les biens et droits objet du contrat »; il s’agit là d’une présomption simple donc susceptible de preuve contraire car le projet ajoute « à moins qu’il ne soit démontré que les tiers avaient connaissance de la limitation de pouvoirs ». Le projet fait un pas considérable dans l’évolution de la théorie de l’apparence puisqu’il vient dispenser celui qui invoque l’apparence de rapporter des éléments de circonstances tendant à prouver l’apparence. Certes, nous savons que la sécurité juridique est un des soucis majeurs du droit contemporain. Mais il y a là un risque que des tiers trop crédules, négligents ou même de mauvaise foi profitent de cette présomption, ce qui serait regrettable. On risquerait de perdre une composante fondamentale de l’apparence créatrice de droit, l’exigence du caractère légitime de l’erreur, ou de la croyance[319]. Or, comme l’exprimait Pierre Voirin, « la théorie de l’apparence n’est pas une planche de salut à l’usage des négligents et des étourdis, mais une protection réservée aux victime d’une croyance légitime ».

Fort heureusement en matière immobilière, domaine où les conséquences d’une apparence pourraient être graves pour le constituant, il faudra prendre acte des règles de la publicité foncière.

Mais avant de considérer l’incidence de ces règles, voyons comment le common law appréhende une telle situation en matière de trusts.

 

Equitable interests bind the whole world except Equity’s Darling (le droit du beneficiary est opposable erga omnes sauf à l’égard du protégé de l’equity)

Il résulte de cette formule que le bénéficiaire du trust, à qui le bien sera transféré ou rétrocédé, (s’il est également le settlor, à l’image de notre constituant de la fiducie-sûreté), pourra opposer son equitable interest à tout tiers acquéreur du bien. Il opposera son droit au tiers en exerçant son droit de suite sur le bien mais, comme nous le verrons au paragraphe suivant, ce tiers supportera de plus lourdes conséquences que notre acquéreur d’un bien affidé de mauvaise foi. La formule considérée pose une exception à l’opposabilité erga omnes du droit du bénéficiaire du trust. Il s’agit du cas de l’Equity’s darling. Une question se pose: qui est l’Equity’s darling, ce « protégé » des règles d’equity qui va échapper aux conséquences de l’opposabilité de l’equitable interest du bénéficiaire ? La réponse est sans surprise: il s’agit de l’équivalent de notre acquéreur de bonne foi, the bona fide purchaser for value of the legal estate[320] without notice. La dénomination est longue, mais elle est celle qui figure dans les décisions. Elle est surtout très explicite quant aux conditions que doit remplir une personne pour échapper à l’opposabilité du droit du bénéficiaire et du même coup, prétendre avoir acquis absolument le bien. Il doit être bona fide, ie de bonne foi. La bona fide se caractérise de manière similaire à celle requise pour que joue la théorie de l’apparence: l’equity requiert non seulement l’ignorance de l’existence de ce droit sur le bien (without notice[321]) mais encore que cette ignorance soit légitime (genuine) et honnête (honest)[322]. L’equity requiert en outre que l’acquéreur (purchaser) ait acquis le bien en fournissant une contrepartie (for value[323]) car l’equity ne protège pas les ~donataires, Equity will not protect a volunteer.

L’acquéreur qui remplit ces conditions aura pu acquérir le bien « absolument », ie libéré du droit du bénéficiaire sur ce bien. Cette solution à laquelle aboutit l’application de la doctrine of notice, qui remplit le rôle de notre théorie de l’apparence, sera également neutralisée par le système anglais de la publicité foncière.

 

Incidence des règles de la publicité foncière

Le tiers acquéreur ne pourra plus se prévaloir de l’apparence de véritable propriétaire que revêt le fiduciaire, ie de sa qualité réelle de fiduciaire dès lors que la fiducie-sûreté porte sur des droits et biens dont la mutation est soumise à publicité. En effet dans ce cas, le projet prévoit que le nom du fiduciaire ès-qualité doit être mentionné. Il s’agit d’une mesure de publicité obligatoire[324] qui est donc sanctionnée par l’opposabilité de l’information publiée. La présomption posée par le projet ne joue plus puisque dans ce cas, la publicité est constitutive de la preuve contraire. Le tiers aura alors acquis le bien de mauvaise foi, nous y reviendrons dans le paragraphe suivant.

De la même manière, le système anglais de la publicité foncière rend inopérante la doctrine of notice s’agissant des titres publiés puisqu’il est considéré que la publication d’un titre équivaut à la connaissance véritable[325]

Poursuivons avec l’hypothèse d’un acquéreur de bonne foi et voyons les effets de sa bonne foi.

 

 

 

 

 

B  L’effet normatif de la bonne foi de l’acquéreur d’un bien affidé

 

La bonne foi de l’acquéreur (il croyait le fiduciaire propriétaire) fondée sur l’apparence (il ignorait la qualité de fiduciaire) va être source de droit car Error communis facit jus.

Dès lors, l’acquéreur aura valablement acquis un droit de propriété créé par l’apparence. Le constituant ne pourra plus prétendre récupérer du patrimoine fiduciaire la propriété d’un bien qu’il n’avait plus et qui est désormais entre les mains d’un tiers. En effet car nul ne peut aliéner la propriété d’autrui[326] et car prior tempore, potior jure, le droit le premier dans le temps l’emporte en droit. Le tiers devra néanmoins être vigilant et publier son titre, s’agissant d’un bien immobilier. Car si le constituant, alors que la propriété du bien lui est restitué, cette fois en fraude du droit du tiers, publie son droit en premier, il l’emporte en fait car dans ce cas, ce n’est pas le premier droit qui l’emporte mais le premier publié.

On parvient à une solution identique avec la doctrine of notice puisqu’on déclare inopposable à l’acquéreur de bonne foi le titre équitable du bénéficiaire. Il en ressort que l’acquéreur est titulaire d’un titre « absolu » de propriété et non fragmenté.

 

 

 

§ 2   Le tiers a acquis le bien affidé de mauvaise foi

 

 

 

Le tiers sera considéré acquéreur de mauvaise foi dès lors qu’il aura acquis le bien des mains du fiduciaire en ayant connaissance de sa qualité de fiduciaire, ie en ayant connaissance de la limitation de pouvoirs sur la chose aliénée qu’entraîne cette qualité. Précisément, le tiers aura eu connaissance du fait que le fiduciaire ne pouvait lui aliéner ce bien sans violer ses obligations.

 

La preuve de la mauvaise foi du tiers acquéreur

Il incombe au constituant, ou à ses ayants causes s’il est décédé, de prouver la mauvaise foi du tiers et sa connaissance de l’existence du contrat de fiducie-sûreté car ces éléments sont présumés.

Il n’en va différemment que lorsque les biens et droits aliénés sont soumis à publicité car on sait que dans ce cas, le nom du fiduciaire sera mentionné ès-qualités. Dès lors, la qualité de fiduciaire sera opposable aux tiers lesquels ne pourront plus se prévaloir de leur ignorance qui fondait leur bonne foi et justifiait qu’ils bénéficient de la théorie de l’apparence.

Le law of trusts adopte une solution équivalente puisque le système de publication de tous les estates et interests existant sur une chose a pour effet de rendre opposable l’existence des droits des bénéficiaires de trusts. Les tiers acquéreurs ne peuvent plus prétendre bénéficier de la doctrine of notice.   

 

Les conséquences de la mauvaise foi du tiers acquéreur

Le tiers acquéreur ne pourra pas se prévaloir d’un titre de propriété valable, il devra restituer le bien en conséquences de l’exercice, par le constituant de son droit de suite attaché à son droit à la chose, ou par l’effet d’une condamnation à réparer en nature le dommage subi. En effet, sa responsabilité délictuelle pourra être engagée sur le fondement de l’article 1382 dès lors que les éléments requis sont réunis. Sa faute consistera en la violation d’une situation de fait qui lui était opposable, situation de fait créé par le contrat.

S’agissant de l’acquéreur d’un bien mis en trust, en conséquence de sa mauvaise foi, l’equity ne lui accordera aucune protection et le juge va juger en droit[327] , ie il analyse objectivement la situation juridique des parties et suit les règles de common law[328]. Il en résultera que le tiers sera tenu de restituer le bien au bénéficiaire ainsi que les profits qu’il en aura retirés. En effet, à titre de sanction, le juge va présumer un trust implicite (constructive trust) et déclarer le tiers constructive trustee du bien; or on sait que le trustee ne devant retirer aucun profit personnel de sa mission, il est tenu de restituer au bénéficiaire l’enrichissement que lui aurait apporté, par exemple, la conservation du bien.

Là encore, on ne pourra que regretter le recours à la responsabilité délictuelle pour aboutir à un résultat, la rétrocession du bien au constituant, résultat qu’on pourrait naturellement déduire d’un régime de la fiducie-sûreté reflétant réellement les rapports qu’elle fait naître entre les parties. Mais notre droit commun, ses auteurs, ses acteurs, refusent de faire preuve de réalisme.

Dès lors, pour combler les interstices du régime de la fiducie-sûreté, nous pouvons raisonnablement craindre que l’action délictuelle serve, pour quelque temps encore, « de bouche-trou universel »[329] !


Projet de loi du 19 février 1992

 

 

Le Premier Ministre,

 

Sur le rapport du garde des sceaux, ministre de la justice,

Vu l’article 39 de la Constitution,

 

Décrète :

 

Le présent projet de loi instituant la fiducie, délibéré en Conseil des ministres après avis du Conseil d’Etat, sera présenté à L’assemblée nationale par le garde des sceaux, ministre de la justice, qui est chargé d’en exposer les motifs et d’en soutenir la discussion.

 

 

Chapitre premier

 

Dispositions générales

 

Article premier

 

Il est inséré dans le livre troisième du code civil un titre seizième bis intitulé « De la fiducie » et comprenant les articles 2062 à 2070-11 rédigés ainsi qu’il suit:

 

« TITRE XVI BIS

 

« DE LA FIDUCIE

 

« Art. 2062. - La fiducie est un contrat par lequel un constituant transfère tout ou partie de ses biens et droits à un fiduciaire qui, tenant ces biens et droits séparés de son patrimoine personnel, agit dans un but déterminé au profit d’un ou plusieurs bénéficiaires conformément aux stipulations du contrat.

 

« Le constituant peut-être bénéficiaire

 

« Lorsque la fiducie est conclue à des fins de garantie, le fiduciaire peut être le bénéficiaire dans les conditions fixées au contrat.

 

« La fiducie est soumise aux règles ci-après énoncées sans préjudice des dispositions particulières d’ordre public propres à la matière concernée.

 

« Art. 2063. - Le contrat de fiducie doit comporter à peine de nullité les stipulations suivantes:

 

« 1° il détermine les biens et droits qui en sont l’objet;

 

« 2° il définit la mission du fiduciaire, ainsi que l’étendue de ses pouvoirs d’administration et de disposition;

 

« 3° il désigne les bénéficiaires ou fixe les règles de leur désignation;

 

« 4° il indique les conditions dans lesquelles les biens et droits doivent être représentés ou transmis aux bénéficiaires;

 

« 5° il détermine la durée de la fiducie, qui ne peut excéder quatre-vingt-dix-neuf ans à compter de la date du contrat.

 

« Le contrat de fiducie est passé par écrit. Lorsqu’il est conclu à des fins de transmission à titre gratuit il est, à peine de nullité, passé devant notaire.

 

« La fiducie doit être expresse.

 

« Art. 2064. - Lorsque le contrat de fiducie a pour objet la transmission de biens et droits à un ou des bénéficiaires autres que le  constituant, la désignation de ce ou ces bénéficiaires ne peut être modifiée.

 

« Art. 2065. - Si le contrat de fiducie conclu à des fins de garantie n’en a pas disposé autrement, la valeur du biens transféré au fiduciaire doit, en cas de défaillance du débiteur, être déterminée à dire d’expert, sauf s’il s’agit de sommes d’argent, de créances, de valeurs mobilières ou de contrats cotés sur un marché organisé.

 

« Art. 2066. - Nul ne peut être fiduciaire ou dirigeant d’une personne morale fiduciaire, s’il a été l’objet d’une mesure d’interdiction de diriger, gérer ou contrôler une entreprise ou d’une mesure de faillite personnelle, ou s’il a subi une condamnation pénale ou une sanction professionnelle pour des faits contraires à l’honneur, à la probité ou aux bonnes mœurs.

 

« Art. 2067. - Le fiduciaire doit exécuter personnellement sa mission. Toutefois, il peut déléguer l’accomplissement de certains actes à une personne restant sous son contrôle et sa responsabilité.

 

« Art. 2068. - Dans ses rapports avec les tiers, le fiduciaire est réputé disposer des pouvoirs les plus étendus sur les biens et droits objet du contrat, à moins qu’il ne soit démontré que les tiers avaient connaissance de la limitation de ses pouvoirs.

 

« Art. 2069. - Le fiduciaire doit prendre toutes les mesures propres à éviter la confusion des biens et droits transférés ainsi que des dettes s’y rapportant, soit avec ses biens personnels, soit avec d’autres biens fiduciaires.

 

« Sans préjudice des droits des créanciers du constituant titulaires d’un droit de suite attaché à une sûreté publiée antérieurement au contrat de fiducie et hors le cas de fraude aux droits des créanciers du constituant, les biens transférés au fiduciaire ne peuvent être saisis que par les titulaires de créances nées de la conservation ou de la gestion de ces biens par le fiduciaire.

 

« Art. 2070. - Lorsque la fiducie porte sur des droits et biens dont la mutation est soumises à publicité, celle-ci doit mentionner le nom du fiduciaire ès-qualités.

 

« Art. 2070-1. - Le fiduciaire exerce sa mission dans le respect de la confiance du constituant.

 

« Si le fiduciaire manque gravement à ses devoirs ou met en péril les intérêts qui lui sont confiés, le constituant ou les bénéficiaires peuvent demander en justice la nomination d’un administrateur provisoire ou le remplacement du fiduciaire. Ils peuvent également demander qu’il soit mis fin à la fiducie. La décision judiciaire faisant droit à la demande emporte de plein droit le dessaisissement du fiduciaire.

 

« Les dispositions de l’alinéa précédent sont applicables en cas de violation des dispositions de l’article 2066.

 

« Art. 2070-2. - En cas de décès du fiduciaire, les biens et droits objet de la fiducie ne font pas partie de sa succession. En cas de dissolution d’une personne morale fiduciaire, les biens et droits objet de la fiducie ne font pas partie de l’actif partageable ou transmissible à titre universel.

 

« Art. 2070-3. - La fiducie ne peut porter atteinte aux droits des héritiers réservataires. Si, lors du décès du constituant, la valeur des biens et droits transférés au fiduciaire excède la quotité disponible, la fiducie est réductible suivant les règles applicables aux donations entre vifs, sous les particularités prévues aux articles 2070-5, 2070-7 et 2070-8

 

« Art. 2070-4. - La valeur des biens et droits transférés au fiduciaire s’impute sur la réserve ou sur la quotité disponible de la succession  du constituant selon les distinctions opérées aux articles 864 et 865.

 

....

 

« Art. 2070-9 - Le fiduciaire peut demander la révocation ou la révision du contrat de fiducie dans les conditions des articles 900-1 à 900-8.

 

« Art 2070-10. - La fiducie prend fin par la survenance du terme fixé ou la réalisation du but poursuivi, quand celle-ci a lieu avant ce terme.

 

« La fiducie prend également fin par une décision de justice, lorsque en l’absence de stipulations prévoyant les conditions dans lesquelles le contrat se poursuivra, se produit l’un des événements ci-après :

 

« 1° la renonciation de la totalité des bénéficiaires ;

 

« 2° le décès du fiduciaire ;

 

« 3° la liquidation judiciaire du fiduciaire ;

 

« 4° la dissolution de la personne morale fiduciaire, le contrat pouvant cependant se poursuivre jusqu’à la clôture des opérations de liquidation ;

 

« 5° la disparition de la personne morale fiduciaire, par suite d’une absorption ou d’une cession prononcée dans le cadre d’un redressement ou d’une liquidation judiciaire.

 

« Toutefois dans le cas prévus à l’alinéa précédent, le juge peut à la demande du constituant ou du bénéficiaire, prendre toutes mesures permettant la poursuite du contrat.

 

« Art. 2070-11. - lorsque la fiducie prend fin, et en l’absence de bénéficiaires pour quelque cause que ce soit, les biens et droits subsistants font retour au constituant ou à ses ayants cause. »


BIBLIOGRAPHIE

 

Dossier étudié en Cabinet

 

Le dossier dont j’ai eu connaissance aux côtés d’un avocat a inspiré ces réflexions. Si j’ai pu en mentionner, c’est avec l’accord préalable de ce dernier à condition de conserver l’anonymat des personnes concernées dans ledit dossier.

 

Ouvrages et articles français

 

F.Terré, Introduction générale au droit, éd.1991, Dalloz.

J.Flour & J.L.Aubert, Les obligations (1. L’acte juridique), 5é éd.1991, Armand Colin.

B.Starck, Droit civil Obligations (2. Contrat), 3é éd.1989, Litec.

P.Malaurie & L.Aynès, Droit civil Les contrats spéciaux, éd.1994, Cujas.

 

C.Witz, Les opérations fiduciaires (Colloque de Luxembourg des 20 et 21 sept. 1984), éd.1985 Feduci.

C.Witz, La fiducie en droit privé français, Thèse Strasbourg, Economica 1981.

J.P.Beraudo, Les trusts anglo-saxons et le droit français, éd.1992, LGDJ.

D.Legeais, Sûretés et garanties du crédit, éd.1996, LGDJ.

F.Collart-Dutilleul, Les contrats préparatoires à la vente d’immeubles, Sirey 1948.

R.David, Traité élémentaire de droit civil comparé, Paris 1950, LGDJ.

 

Lexique de termes juridiques, 8é éd.1990, Dalloz.

 

C.Larroumet, « La fiducie inspirée du trust », Dalloz 1990 Chronique p.119.

M.Cantin Cumyn, « L’avant-projet de loi relatif à la fiducie, un point de vue civiliste d’outre atlantique », Dalloz 1992, Chronique p.117.

P.Gulphe, « Quelques réflexions sur l’institution d’un trust à la française », Mélanges Breton-Derrida.

J. de Guillenchmidt, « La fiducie, pour quoi faire ? Présentation de l’avant-projet de loi relatif à la fiducie », Revue droit bancaire et de la bourse, Mai-Juin 1990 n°19 p.105.

A.Pezard, « Les diverses applications de la fiducie dans la vie des affaires » même revue p.108.

A. de Foucaud, « Le point de vue du chef d’entreprise sur la fiducie » même revue p.114.

A. Cerles, « Le point de vue du banquier sur la fiducie », même revue p.117.

 

Ouvrages et articles anglais

 

Maitland’s Lectures on Equity (revised by John Brunyate), ed.1949, Cambridge University Press.

D.Chappelle, Land Law, 2nd ed. 1995, Pitman.

J.G.Ridall, The law of trusts, 4th ed.1992, Butterworths.

C.de Wulf, The trust and the corresponding institutions in the civil law, 1965, Bruxelles.

H.G.Hanbury, Essays in equity (reprint of the edition Oxford 1934), Scientia Verlag Aalen 1977.

 

Blackstone’s Statutes on Property Law, 1989, Meryl Thomas.

Mozley & Whiteley’s Law Dictionary, 10th ed., Butterworths.

 

International Encyclopedia of Comparative Law (vol. VI).

V.Bolgar, « Why no trusts in the civil law », The American Journal of Comparative Law, 1953 p.204.

F.H.Lawson, « Non-roman elements in the civil law », A common lawyer looks at the civil law (Lectures delivered by), 1977, Greenwood Press.

 

Jurisprudence

 

S’en référer aux nombreux arrêts et décisions cités dans le développement.

http://corinne.leblanc.free.fr

 

 



[1]  Elle permet des opérations juridiques triangulaires entre vifs ou à cause de mort grâce auxquelles l’épouse pouvait transférer un domaine agricole à son mari, à charge pour celui-ci de le remettre à une certaine date à leur fils commun ; elle permet à un testateur de transmettre sa fortune à un légataire à charge pour celui-ci de la conserver et de la transmettre à son tour.

[2]  Elle est née avec le développement du commerce pour satisfaire les besoins du crédit: à la vente était adjoint un pacte fiduciaire par lequel le prêteur s’engageait à restituer le bien une fois la dette éteinte.

[3]  Que fallait-il changer ? La fiducie romaine, certes d’une grande efficacité, présentait de nombreux inconvénients: elle était lourde à mettre en place et était particulièrement défavorable au débiteur, parfois même économiquement désastreuse; elle le privait de l’usage d’un bien qui pouvait être indispensable à l’exercice de son activité professionnelle; en outre, elle conduisait à un gaspillage du crédit pour le débiteur en ce que, en raison du caractère exclusif conféré par le droit de propriété, il n’était pas possible de constituer une deuxième sûreté sur le bien objet de la fiducie, alors même qu’il avait une valeur supérieure au nominal de la créance ainsi garantie; enfin, elle s’accompagnait d’un risque latent de spoliation du débiteur puisqu’il transférait la propriété d’un bien qui pouvait avoir une plus grande valeur que la dette qu’il avait contractée et ne pas être indemniser en conséquence.

[4]  En revanche, tel ne devait pas être le cas du fidéicommis qui a bénéficié d’une réglementation et de la protection  des prêteurs fidéicommissaires. Le fidéicommis n’a lieu qu’à cause de mort: il permet des substitutions en vue de gratifier des personnes incapables de recevoir des legs d’un Romain. Le fidéicommis a survécu, réduit à une sorte d’ombre, dans les substitutions que l’art. 896 c.civ n’interdit pas. Mais quels qu’ont pu être les termes employés par la doctrine et la jurisprudence du début du XIXe siècle, il n’a plus rien de commun avec la fiducie.

[5]  Plus précisément, les Compilations justiniennes attestent que la fiducia est une institution morte.

[6]  Du reste, l’idée qui sous-tend la fiducia cum creditore - ériger la propriété en sûreté - n’a jamais totalement disparue au cours des siècles ultérieurs. C’est elle qui permet de comprendre certaines institutions telles que le contrat pignoratif de l’ancien droit français qui n’est autre qu’une vente accompagnée d’un contrat de location et d’un pacte de rachat, L’ensemble contractuel combinant opération de crédit et sûreté.

[7]  Elle peut néanmoins être à trois personnes dans des hypothèses où des sûretés sont constituées au nom du fiduciaire chargé de les gérer pour un ou plusieurs créanciers. L’opération est alors triangulaire et réunit le constituant, le fiduciaire qui gérera la sûreté au profit de tiers bénéficiaires. Ces hypothèses étant plus rares, nous n’y reviendrons pas.

[8]  Si bien que les personnes réticentes ou hostiles à une telle utilisation ont pu objecter que le texte est avant tout conçu pour la fiducie-gestion.

[9]  Jacqueline de Guillenchmidt, in « Présentation de l’avant-projet de loi relatif à la fiducie », Revue de droit bancaire et de la bourse n°19, Mai Juin 1990 p.105.

[10]  Ainsi en est-il exprimé dans l’exposé des motifs: « le projet ne précise que les particularités propres de ce contrat. », Chap. premier, Dispositions générales p.4.

[11]  Le choix du terme « fiducie » pour définir ce nouveau contrat permet de renouer avec la fiducia romaine et de rester fidèle à la notion de fiducie qui a perduré en doctrine dans certains ouvrages de droit civil et dans la jurisprudence, et ce, en dépit du silence du code civil. Force est de constater, en outre, que « fiducie » et « trust » ont en commun leur source étymologique: dans le terme fiducia on retrouve la forme verbale Fido qui signifie « j’ai confiance », or le terme trust, nom ou verbe, revêt le même sens.

[12]  A titre de comparaison, l’Angleterre, pays de naissance de l’institution et mère d’une juridiction spécialisée en la matière et de l’immense jurisprudence qui s’y rapporte, a vu depuis un siècle son lawmaker contraint d’élaborer plus d’une dizaine de textes, souvent très longs et complexes, dont l’objet est essentiellement d’introduire une plus grande certitude dans l’usage du trust.

[13]  « Le trust vit à l’ombre du Palais de Justice qui lui apporte à la fois le conseil et le contrôle ». Ainsi, le Chancellor  est pour le trust « un guide, un mentor, un ami » (Hayton, The law of trusts, p.138). En effet, le juge anglais peut non seulement donner des directives à des trustees quant aux placements à effectuer, mais aussi les autoriser dans certains cas, à réaliser des opérations qui ne respectent pas les termes initiaux du trust. Cette intervention est particulièrement utile dans les trusts de famille.

[14]  Les français ont un attachement affectif à leur Code, sans doute attribuable au langage simple dans lequel il est exprimé; en effet, nos esprits sont accoutumés à des concepts clairs. Aussi, les français aiment à penser qu’ils sont encore gouvernés par l’originel Code Napoléon. Mais si Napoléon nous a bloqué dans un étatisme juridique, n’avons-nous pas connu des siècles de libéralisme juridique durant lesquels la coutume enfantait le droit ?

[15]  Notamment en droit des obligations, le juge est parvenu avec succès à adapter les dispositions générales du code civil aux nouvelles données sociales, économiques, culturelles: à titre d’illustration pouvons nous mentionner les constructions jurisprudentielles autour de l’article 1384 c.civ.

[16]  Cf. l’art. 2070-1 al.2 futur c.civ.

[17]  Ce ne pourrait vraisemblablement pas être le cas des solutions qui tirent leur fondement dans la division originale du droit de propriété que permet le trust.

[18]  Les art. 2062 al.3 et 2065 futurs c.civ.

[19]  Aucune jurisprudence ne s’y rapporte pour la simple raison que le projet n’a jamais été voté. Les raisons sont d’ordre fiscal mais le cadre restreint de notre étude ne permet pas de nous y attarder; très vaguement craignait-on le coût fiscal prohibitif que risque d’entraîner le recours à la fiducie.

[20]  Cette attitude est souhaitée par les rédacteurs du projet. Ils ont exprimé ce souhait dans l’exposé des motifs: « ce contrat (...) sera (...) soumis aux principes généraux du droit des obligations. La fiducie doit en effet s’intégrer dans l’ordre juridique préexistant, dont elle ne saurait bouleverser la cohérence. » (Chap. premier - Dispositions générales). Ce souhait est reformulé à l’art.2062 al.4 futur c.civ. qui dispose: « La fiducie est soumise aux règles ci-après énoncées sans préjudice des dispositions particulières d’ordre public propres à la matière concernée. ».

[21]  Voir Titre I, Chap..I, Section II, §1, A.

[22]  Par exemple un droit de relief à l’occasion d’une succession; un droit de tutelle quand l’héritier était mineur; un droit de mariage lorsqu’il se mariait; diverses aides pour la mariage de la fille du suzerain ou lorsque son fils aîné était adoubé chevalier ou encore si une rançon devait être payée pour sa libération.

[23]  Car les contributions reposant sur la possession ou la saisine de la terre, toute terre devait être l’objet d’une possession. La saisine ne pouvait pas être laissée en suspens.

[24]  Ce phénomène des Croisades, jugé digne socialement, procura aux uses la protection juridique dont ils étaient auparavant privés: le feoffor qui agissait à ses risques et périls en face d’un feoffee peut-être malhonnête fût admis à formuler une requête auprès du Chancellor (Chancelier), confesseur et secrétaire du Roi pour certaines activités judiciaires. Ce dernier s’occupait de la délivrance des writs, sortes d’assignations à comparaître devant une juridiction royale, et fît comparaître devant lui les feoffees to use qui lui étaient dénoncés.

[25]  C’est la diminution des ressources du Trésor royal et des revenus de la noblesse, face à la montée des ordres religieux, qui entraîna la promulgation en 1535 du Statute of Uses à cette fin.

[26]  Justice Mayo in Re Scott, 1948, S.A.S.R. 193.

[27]  Ces derniers occultent, dans les définitions qu’ils proposent du trust, la présence du settlor; la raison tient au fait que, une fois crée, le trust échappe en principe au constituant en tant que tel (voir développement infra).

[28]  René David, Les grands systèmes de droit contemporains, n° 309.

[29]  Scott, Trusts, p.3.

[30]  Pierre Lepaulle, Traité théorique et pratique des trusts, p.113.

[31]  La juridiction spécialisée pour appliquer le droit de l’Equity est la Chancery Court, devenue au XIXe siècle la Chancery Division de la High Court. Le droit de l’Equity est né au sein du Conseil du Roi. Quiconque se plaignait d’une « injustice », soit au cours d’une instance devant un tribunal de common law, soit à raison le l’insuffisance ou de l’inefficacité de celui-ci, pouvait recourir au Roi et le prier d’exercer sa prérogative personnelle de justice. Le Roi délégua au Chancellor, qui présidait le Conseil, la tâche de sonder les reins et les cœurs afin de déterminer pour chaque cas la solution la plus juste, la plus équitable. Il devînt le « Gardien de la Conscience du Roi ». La systématisation des solutions dégagées au sein de ces juridictions et la formalisation des procédures du Chancelier donna naissance à un corps de règles, l’ Equity qui est, depuis 1875, administré conjointement avec le common law au sein d’une juridiction unique.

[32]  Le bénéficiaire n’est pas partie à l’engagement de confiance (non contractuel) qui lie le settlor au trustee.

[33]  Cette règle a été posée dans un cas Earl of Oxford’s case 1615 (1 Rep. Ch.1) afin d’éliminer la possibilité de contrariété de jugements.

[34]  Nous sommes donc loin de la simple division civiliste entre nue-propriété et usufruit à laquelle chaque titulaire peut mettre fin.

[35]  Un trust est privé quand il n’est pas charitable (pas de critères positifs de définition).

[36]  Un trust est charitable lorsqu’il a été crée pour soulager la pauvreté, pour le progrès de l’éducation, pour le progrès de la religion ou pour tout autre but bénéficiant à la communauté. En dehors de cette liste, simplifiée, établie par le Statute of Charitable Uses de 1601, le trust est qualifié de privé. L’enjeu de la qualification est important car outre leur dérogation au régime juridique du trust (principalement aux conditions de validité), les activités charitables sont exonérées d’impôts.

[37]  La fiducie offre un nouveau cadre juridique pour le développement du mécénat et des fondations; en effet, la fiducie est plus adaptée que le régime des fondations pour des opérations de petite importance de par la souplesse de son fonctionnement.

[38]  Ils sont généralement crées par écrit mais ils peuvent l’être aussi oralement car en principe, aucune formalité n’est requise. Simplement, pour des raisons de publicité, la preuve d’un trust portant sur des immeubles doit être rapportée par écrit. Précisons que ce régime formel libéral ne s’applique qu’au trust et non pas à l’acte préalable par lequel les biens ont été transférés au trustee, un testament par exemple.

[39]  Les trusts implicites sont également appelés des trusts d’interprétation (constructive trusts). Dans cette catégorie, on doit distinguer les implied trusts, ie les trusts implicites proprement dit, les resulting trusts qui naissent d’une présomption à effet automatique (un tel trust est présumé lorsque par exemple une personne achète un bien au nom d’une autre) et les constructive trusts, ie les trusts d’interprétation au sens strict (il peut-être un remède mais parfois une sanction: voici un trustee qui a réalisé des profits personnels avec des biens du trust, il sera privé des bénéfices ainsi réalisés en ce sens que l’on interprétera qu’il les a faits pour le trust).

[40]  Notre droit en effet ne connaît aucune catégorie juridique susceptible d’accueillir le trust dans son ensemble. C’est d’ailleurs ce qui fait l’originalité du trust par rapport à d’autres institutions inconnues du droit français. Ainsi le mariage religieux à effets civils ou la répudiation, deux institutions que nous ne connaissons pas, peuvent néanmoins être valablement classées dans les catégories du mariage ou du divorce. Les notions de trust et de trustee sont à même de désorienter les juristes français pour qui la summa diviso entre droits réels et droits personnels tient de la nature des choses. Or les obligations du trustee et les droits  du bénéficiaire se situent en dehors de cette classification (voir infra).

[41]  A titre d’illustration, la loi du 13 juillet 1979 relative aux fonds communs de placement prévoit que les épargnants qui confient leurs disponibilités au gérant du fonds, sont propriétaires indivis des valeurs mobilières acquises et gérées par ce dernier; bien que celui-ci ait des pouvoirs de gestion l’apparentant à un propriétaire, bien que les copropriétaires soient privés de tout pouvoir d’immixtion et même d’influence dans la gestion, la loi française régit leurs rapports sur la base d’un mandat donné par les copropriétaires au gérant. On a pu démontrer que la qualification légale de l’opération était totalement désaxée par rapport à son sens et son fondement économiques, lesquels postulent la reconnaissance d’une propriété fiduciaire au profit du gérant, lui-même débiteur des titulaires de parts du fonds (Cf. Cl. Witz, La fiducie en droit privé français p.123 n°133). Sans doute le législateur a-t-il pensé que, pour assurer le succès financier de la formule des fonds communs de placement, il était prudent de présenter l’opération sous le masque rassurant de la copropriété et du mandat, plutôt que sous le visage réel de la fiducie-gestion.

[42]  Le juge français s’est prononcé à plusieurs occasions sur des aliénations de biens corporels à titre de garantie: des sûretés constituées sous l’empire du droit allemand sur des biens ultérieurement introduits en France ont été qualifiées, à tort (voir note infra), de conventions de gage contrevenant à la prohibition du pacte commissoire ou à l’exigence d’une dépossession du constituant (Cass. Req. 24 mai 1933, S. 1933, I, 257; Cass. Civ. 8 juill. 1969, JCP 1970 II, 16182; 3 mai 1973, Clunet 1975 p. 74).

[43]  Ainsi est fréquemment invoquée, à tort, la prohibition du pacte commissoire. Or cette prohibition suppose nécessairement, pour être appliquée, que l’on soit en présence de l’un des contrats à propos desquels elle est formulée par la loi (gage, antichrèse). L’aliénation fiduciaire de meubles corporels ne saurait en aucun cas être réduite à un gage (c’est précisément parce que le gage est une sûreté insuffisante que les parties s’en détournent et recourent à une sûreté différente, la fiducie). De même, la règle exigeant la dépossession du constituant ne saurait être étendue à la fiducie (de surcroît, l’une des raisons d’être de cette règle - que soit assurée par ce biais la publicité - apparaît archaïque et imparfait; en consacrant la pleine opposabilité de la réserve de propriété, le législateur français a résolument abandonné ce type de préoccupation). Cette attitude tendra à disparaître si l’on s’en réfère à l’attitude récente de la Cour de Cassation face à la prohibition du pacte commissoire (cf. infra La question de la liceité de la fiducie-sûreté Titre I Chap 2 Section2)

[44]  Est considérée comme frauduleuse la souscription par un prête-nom pour le compte d’une personne à laquelle la loi interdit de participer à la société (exemple de souscription par un Français pour le compte d’un étranger, afin de permettre la constitution de la société sans attendre l’octroi de l’autorisation de l’Office des changes, Trib. Com. Seine, 3 jan. 1951, JCP 1951 II 6846).

[45] Doc. Sénat, session 1995-1996, n° 157, p. 28, art. 29 devenu art. 49 de la loi.

[46] JOAN CR, 18 avr. 1996, p. 2300.

[47] Entré en vigueur le 1er janvier 1994.

[48]Le droit réel porte sur un «bien», non plus sur une «chose»,le bien étant entendu comme une «valeur».

[49]  Cf. Chap. premier, Dispositions générales p.4.

[50]  Le problème conserve un certain intérêt dès lors qu’on garde à l’esprit que le projet de loi n’est jamais parvenu aux débats de l’Assemblée Nationale; ainsi, on a pu dire qu’aucun principe du droit français n’interdit de transférer la propriété par un contrat innommé, les dispositions du code civil étant suffisamment extensives pour atteindre les résultats souhaités (cf. art. 711 CC, art. 1101 CC).

[51]  Ce principe ne recueille aucune unanimité en doctrine et la Chambre des Requêtes de la Cour de Cassation a, dans un arrêt de principe rendu en date du 13 Février 1834, considéré que les droits réels n’avaient pas un caractère limitatif: « les articles 544, 546 et 552 du code civil sont déclaratifs du droit commun relativement à la nature et aux effets de la propriété mais ne sont pas prohibitifs. Ni ces articles, ni aucune autre loi n’excluent les diverses modifications et décompositions dont le droit ordinaire est susceptible. » (arrêt Caquelard contre Lemoine cité dans Les grands arrêts de la jurisprudence civile, Henri Capitant, 9° édition, F.Terré et Y.Lequette, Dalloz n°58 p.253 et s.).

[52] La charge d’administrer et de rendre que comporte l’obligation fiduciaire n’est qu’une obligation personnelle sanctionnable par des dommages et intérêts.

[53] A tout le moins le caractère exclusif de la propriété en ce qu’il permet au propriétaire d’exercer son titre de propriété à son unique avantage est atteint, mais il n’y a pas, a priori, d’obstacles majeurs à affecter les caractères du droit de propriété dès lors qu’il s’agit d’adapter ce concept aux nouvelles données économiques, sociales ou culturelles; au demeurant, cette attitude fût celle du juge qui développa la théorie de l’abus de droit et, partant, vînt limiter le caractère absolu du droit de propriété.

[54] Le droit subjectif désigne la prérogative qui est exercée pour le compte de l’auteur de l’acte juridique alors que le pouvoir indique l’exercice d’une prérogative pour le compte d’autrui; cette distinction explique que le projet soit silencieux sur un contrôle judiciaire de l’exercice de la mission du fiduciaire comme le juge anglais contrôle le trustee; c’est qu’en effet, à la différence du mandataire titulaire de pouvoirs, le fiduciaire est titulaire du droit de propriété.

[55]  Dans l’Ancien droit, le propriétaire réel n’est pas entièrement maître de son bien; il n’en a que le domaine utile et le domaine éminent demeure au seigneur et au Roi. Le code civil, inspiré des revendications de cette révolution bourgeoise et terrienne que fût la Révolution française, débarrasse le droit de propriété de toute sorte d’obligations l’affectant qui ne serait pas dans intérêt du fonds lui-même, afin d’écarter toute prestation personnelle qui rappellerait la féodalité.

[56]  Ainsi subsiste encore une fragmentation de la propriété sur le modèle de la tenure tel qu’instauré en 1066; à cette date, Guillaume, vainqueur de la bataille de Hastings, se déclare propriétaire de toutes les terres et aujourd’hui encore, toutes les terres appartiennent finalement à la Couronne; tout ce que les britanniques peuvent « avoir » sont des estates et des interests: l’estate donne à son titulaire « droit » à la disposition et à la jouissance du bien tandis que l’interest, « droit » réel en quelque sorte, donne à son titulaire un « droit » spécifique sur la terre de quelqu’un et susceptible de réduire la jouissance du bien pour le titulaire de l’estate.

[57] Ce principe, fondé sur les articles 2092,2093 et 2094 du code civil, a été définit par des auteurs de la doctrine (MM. Larroumet, Mazeaud, Chabas) mais contesté par d’autres en vertu du principe de l’autonomie de la volonté (MM. Malaurie, Aynes, Marty, Raynaud et Jestaz). En outre, il a été considéré que ce principe ne s’applique qu’aux sûretés réelles traditionnelles qui confèrent un droit réel préférentiel au créancier et non aux garanties fondées sur la propriété qui, elles, donnent un droit exclusif à leur titulaires évitant ainsi tout concours.

[58] Si on lie ce principe au caractère lui-même limitatif du nombre des droits réels, l’argument tombe en ce que, comme nous l’avons mentionné supra, la fiducie ne crée pas de droits réels autres que ceux contenus dans le numerus clausus des droits réels.

[59] On reste dans l’hypothèse où le projet aurait reçu le sceau législatif car, comme on le sait, le projet n’est jamais parvenu au stade des débats.

[60] A l’appui de cette affirmation, on peut également mentionner une référence à l’objet du contrat tel qu’énoncé dans l’exposé des motifs: « ce nouveau contrat peut-être conclu aux fins les plus diverses, regroupées généralement autour de trois fonctions, celles de gestion, de sûreté et de libéralités. » (Exposé des motifs, III L’objet du contrat, p.6).

[61] Si le tribunal arrête un plan de continuation à la fin de la période d’observation, les créanciers recouvrent leur droit d’agir et de poursuivre la réalisation de leurs sûretés mais ils doivent respecter les délais de paiement imposés.

[62] Outre la diminution proportionnelle de leurs créances due à la primauté des super-privilégiés, les créanciers peuvent consentir une remise de dette afin d’obtenir un paiement anticipé.

[63] Ainsi, d’une part la loi de 1985 pose le principe de la nullité des sûretés constituées en période suspecte (art. 107 et 108) et interdites inscriptions et publications des sûretés réelles traditionnelles à compter de la date du jugement d’ouverture du redressement judiciaire (art.57); d’autre part, lorsqu’il y a prononcé de la liquidation judiciaire et du jugement de clôture pour insuffisance d’actif, le droit de poursuite individuelle du créancier est en principe définitivement perdu et il ne retrouve pas son droit d’agir après la clôture de la procédure; le débiteur est libéré du passif non payé et toutes les dettes non remboursées sont éteintes.

[64] La loi de 1985, dans son article 40, procède à un nouveau classement des créanciers entre eux: sont prioritairement désintéressées les créances de salaires dues aux salariés eux-mêmes, ensuite viennent les créances liées au remboursement des prêts consentis par les établissements de crédit, puis les créances nées de la poursuite de contrats en cours lors de la procédure collective, l’AGS bénéficie du quatrième rang de paiement pour les créances de salaire dues qu’elle a avancées; enfin, sur l’actif restant, on va désintéresser les autres créances en respectant leur rang de préférence: ainsi seront d’abord satisfaits le Trésor et la Sécurité Sociale. Les créanciers titulaires de sûretés réelles ne pourront envisager un quelconque paiement qu’à ce moment et selon leur rang.

[65] M.Martin in « Sûretés traquées, crédit détraqué », Banque 1975 p.1133.

[66] La vente à réméré, encore appelée vente avec possibilité de rachat se définit, selon l’article 1659 du code civil comme « un pacte par lequel le vendeur se réserve de reprendre la chose vendue moyennant la restitution du prix principal et le remboursement » des frais occasionnés par la vent ainsi que le montant des réparations qui se sont avérées nécessaires. En pratique, la vente à réméré a été utilisée pour garantir des opérations de crédit et le prix de vente correspond en fait à la somme prêtée. Mais elle s’avère en réalité mal adaptée à cette fonction puisque, d’une part, l’article 1166 du code civil limite la durée de rachat à cinq ans et, d’autre part le montant du prêt accordé doit impérativement correspondre à la valeur du bien vendu.

[67] Dans ces deux hypothèses, il s’agit plus d’une propriété conservée ou réservée qui joue alors un rôle de garantie que d’un véritable transfert de propriété exercé uniquement à cette fin.

[68] L’article 2062 alinéa 3 futur du code civil dispose: « Lorsque la fiducie est conclue à des fins de garantie, le fiduciaire peut-être le bénéficiaire dans les conditions fixées au contrat. ».

[69] Par exemple, lorsqu’il n’y a pas de settlor, parce que le trust résulte de la loi (resulting trust) ou de la décision du juge (constructive trust), ou encore lorsque le settlor est en même temps soit trustee, soit bénéficiaire, ce qui est possible.

[70] Chancelier Kent in Davone v. Fanning, 2 Johns. Ch.252, 261.

[71] La raison en est que ce contrat est également, à l’origine, basé sur une relation de confiance entre le mandant et le mandataire.

[72] Du reste, l'avant-projet suggère indirectement cette solution lorsque, afin de donner ouverture à la sanction pénale pour abus de confiance, il assimile le fiduciaire aux détenteurs de biens d'autrui.

[73]  Le projet n’exclut pas néanmoins l’hypothèse d’une fiducie-sûreté conclue à trois personnes: l’opération sera alors triangulaire et réunira le constituant, le fiduciaire qui gérera la sûreté au profit de tiers-bénéficiaires (les créanciers). En effet, l’art.2062 al.3 c.civ. dispose: « Lorsque la fiducie est conclue à des fins de garantie, le bénéficiaire peut être le bénéficiaire... ».

[74] Ce sera le cas d'un trust révocable où le constituant s'est réservé le pouvoir de donner des instructions au trustee quant à la gestion des biens et à leur attribution aux bénéficiaires. Le trustee est alors un mandataire.

[75] Car le contrat suppose l’accord de deux volontés. Une exception est néanmoins admise lorsqu’une même personne agit en deux qualités distinctes (ainsi un mandataire chargé de vendre la maison de son client l’achète pour lui-même) mais on ne saurait étendre l’exception à notre hypothèse car naîtrait le danger qu’une personne contracte une fiducie dans le but unique de spolier ses débiteurs personnels.

[76] Une fois les biens transférés au trustee, qu'il soit lui-même constituant ou une autre personne, ils échappent au constituant. A leur égard, le constituant est placé dans une position comparable à celle du donateur par rapport au donataire: "donner et retenir ne vaut".

[77] Le constituant n'est donc tenu à aucune sorte d'obligations à l’égard de ces "parties" et relativement à l'accomplissement du trust et disparaît naturellement de la "scène" une fois transférés les biens constitués en trust.

[78] La relation fiduciaire-bénéficiaire n'est pas une relation "obligatoire" (i.e. fondée sur un rapport d'obligations) mais une relation "propriétaire" (proprietary relationship, i.e. fondée sur un rapport de propriété). Voir explication infra.

[79] Comme nous le verrons, cette sûreté est alors intéressante économiquement car le constituant débiteur peut toujours utiliser son bien et même le constituer de nouveau en garantie dès lors que cette garantie ne porte que sur la possession du bien (gage par exemple).

[80]  L’obligation de délivrance qui pèse sur le vendeur représente encore, dans certains esprit, l’expression concrète du transfert de propriété.

[81]  Le fiduciaire doit notamment rétrocéder le bien, quelle est la cause de cette obligation. on ne peut la trouver dans l’obligation réciproque du constituant son cocontractant pour la simple raison qu’il n’est tenu à aucune obligation, la fiducie étant un contrat unilatéral. Il faut admettre que l’obligation de rétrocession imposée au fiduciaire a pour cause le remboursement de la part de son débiteur, le constituant, de sa dette lié au contrat de crédit.

[82]  Cf. infra Titre I, Chap.2, Section I (l’exigence de mentions obligatoires).

[83]  Voir notamment infra Titre I, Chap.2, Section I (la question de la cause du contrat de fiducie).

[84]  Pour dire vrai, le projet ne prévoit que les modalités de réalisation du bien cédé en garantie en cas de défaillance. Il faut en induire que le projet admet implicitement que le fiduciaire conservera, le cas échéant, la propriété du bien et donc qu’il ne sera pas tenu de rétrocéder ce bien au constituant. Cf. art. 2065 futur c.civ.

[85]  En matière de trust comme en matière de fiducie, on a été amené à admettre la possibilité d’une rémunération du trustee et partant, du fiduciaire. On retrouve la même situation en matière de mandat dont le caractère initialement gratuit n’est juste là pour rappeler l’altruisme de nos ancêtres.

[86]  Cf. art.2070-1 futur c.civ.

[87]  Cf. art.1994 c.civ.

[88]  Cf. art.2067 futur c.civ. La solution est bonne et conforme aux buts de la fiducie: en effet, le fiduciaire aura intérêt à s’adresser à des personnes plus compétentes car qualifiées dans un domaine précis quand le but de la fiducie implique que ce dernier accomplisse des actes techniques et à risque ( par exemple un particulier-fiduciaire désireux de placer en bourse les titres qui lui ont été transférés à titre de garantie du remboursement par son débiteur de sa dette).

[89]   Voir art.2063 alinéa 1 et 2 futur c.civ.

[90] A moins de transmettre également sa qualité de fiduciaire et donc les obligations assorties à cette qualité et déterminées au contrat. Si cette possibilité est envisageable, elle devrait néanmoins rester  marginale car elle contrevient d'une part au principe de la relativité des conventions et d'autre part au caractère intuitu personae  de la fiducie; le cas échéant il conviendrait de subordonner une telle substitution à l'acceptation du constituant.

[91] On ressent, à la lecture du projet, le malaise des rédacteurs à associer l'idée d'obligation, droit personnel, à celle de propriété, droit personnel, en ce que, d'une part ils évitent à tout instant d'utiliser le terme "obligation" et lui préfère le terme plus vague de "mission" (cf. art.2063 2°, 20672070-1), et d'autre part, ils ont éludé l'obligation du fiduciaire à rendre compte des actes, pourtant présent dans l'avant-projet, que là encore, sa qualité l'autorise à passer.

[92] Cf. art. 2063, 2° et 5° futur c.civ.

[93] Cf. art. 2066 futur c.civ.

[94] Cf. art. 2070-2 futur c.civ. Mais si la valeur des biens et droits transférés au fiduciaire excède la quotité disponible, la fiducie est réductible (cf. art. 2070-3, 2070-4, 2070-5 futurs c.civ.).

[95] En effet, le fiduciaire tient les biens et droits transférés à titre de garantie séparés de son patrimoine personnel (cf. art. 2062 futur c.civ.) et ces biens ne peuvent  être saisis que pour les titulaires de créances nés de la conservation ou de la gestion de ces biens par le fiduciaire.

[96]  Voir les art.2070-1 alinéa 2 , 2070-10 2°, 3°, 4° futurs c.civ.

[97] L'article 2070-10 al.2 futur c.civ. prévoit la fin de la fiducie par une décision de justice  lorsque se produit "2° le décès du fiduciaire;".

[98] Cf. l'art.2070-1 al.2 futur c.civ. qui dispose que "si le fiduciaire manque gravement à ses devoirs ou met en péril les intérêts qui lui sont confiés, le constituant ou les bénéficiaires peuvent demander en justice (...) qu'il soit mis fin  à la fiducie.

[99] L'art. 2070-10 futur c.civ. dispose que "la fiducie prend fin (...) par une décision de justice (...) lorsque se produit la liquidation judiciaire du fiduciaire".

[100] Cette solution n'est elle pas suggérée par le projet lorsqu'à l'art.2063, 2° futur c.civ., il pose que le contrat de fiducie "définit la mission du fiduciaire, ainsi que l'étendue de ses pouvoirs d'administration et de disposition;" ? Le terme "mission" fait-il penser à la mission du mandataire, la référence expresse aux pouvoirs d'administration et de disposition  vient-elle nier au fiduciaire son droit de propriété . Il semble paradoxal que le contrat vienne définir l'étendue de pouvoirs, composantes d'un droit ( le droit de propriété inclue les pouvoirs d'administration et de disposition, i.e. l'abusus) lesquels pouvoirs seraient attribués à une personne déjà titulaire de ce droit !

[101] Rappelons que le trustee se voit transférer le titre légal de propriété (legal estate) lequel lui confère les pouvoirs d'administration du bien mis en trust , tandis que le bénéficiaire retient la propriété équitable (equitable interest) laquelle lui attribue la jouissance du bien. Le droit de suite du bénéficiaire (tracing) qu'il peut exercer sur les biens contre toute personne qui les détiendrait dans des conditions que la loi ne protège pas, est l'expression la plus tangible de son droit de propriété (voir Titre II).

[102] Le juge ou la loi imposent des obligations dans les cas de resulting trust et constructive trust (voir

introduction sur ce point).

[103] C'est d'ailleurs Gaius qui classa les obligationes dans le Livre II des Institutes comme un bien.

[104] Il serait en effet injuste (inequitable) que le trustee s'enrichisse de la gestion du trust du fait de sa position qua trustee alors que ce dernier s'est "loyalement" engagé auprès du settlor à en faire bénéficier une autre personne.

[105] Force est de constater en effet que le common law œuvre au niveau casuistique (ars judicandi),

tandis que notre droit intellectualise, travaille au niveau de la scientia iuris ( et prête notamment une

valeur scientifique à la distinction entre le droit des obligations et des personnes d'une part, et le

droit des biens d'autre part).

[106]  « Les conventions n’ont d’effet qu’entre les parties contractantes; elles ne nuisent point au tiers, et elles ne lui profitent que dans le cas prévu par l’article 1121. ». Voir pour plus de précision sur ce principe Flour & Aubert, Les obligations 1. L’acte juridique p. 342 (cf. biblio. pour les réf.).

[107]  Cela ne va pas de soi car on peut songer à ce que le propriétaire fiduciaire transfère la propriété du bien et sa qualité de fiduciaire. Dans ce cas, le but de la fiducie peut toujours être assuré.

[108]  L’absence de notice (i.e. connaissance de l’interest) fait présumer de la bonne foi de l’acquéreur et son « droit » acquis en méconnaissance du trust, et donc du « droit » du bénéficiaire va être protégé par l’equity.

[109] Institué par le Land Registration Act 1925, ce système ne concerne que les immeubles répertoriés à partir de cette date. Les immeubles non répertoriés sont donc sujet à la doctrine of notice. En effet, le but de ce système est de créer un registre qui agirait comme un miroir , capable de refléter fidèlement tous les interests (~ droits réels) existant sur un immeuble répertorié. Dès lors, un acquéreur ne peut plus valablement soutenir avoir acquis un bien sans avoir eu connaissance (without notice) des « droits réels » qui y était attachés, éventuellement le droit d’un bénéficiaire. La doctrine of notice ne joue plus dans ce cas.

[110]  Ce caractère a conduit à intégrer la réglementation de ce contrat au Livre III du code civil: « Des différentes manières dont on acquiert la propriété ».

[111]  L’art.1136 c.civ. dispose: « L’obligation de donner emporte celle de livrer la chose... ».

[112]  Cf. art.1583 c.civ. qui stipule que la vente « est parfaite entre les parties, et la propriété est acquise de droit à l’acheteur, dès qu’on est convenu de la chose et du prix, quoique la chose n’ait pas encore été livrée ni le prix payé. ».

[113]  Voir les art. 2063 al.2 et 2070 futurs c.civ.

[114] Un propriétaire peut décider de se décharger de la gestion d’un bien mais vouloir continuer à en jouir: il va pouvoir transférer son bien en trust à un trustee qui aura la charge de lé gérer au bénéfice du constituant qui est alors beneficiary; ainsi, il transfère le titre légal de propriété mais retient un intérêt équitable sur le bien.

[115]  Voir Harding v. Harding (1886) 17 QBD 442 (« The settlor must pass the whole interest he has in the chose in action to the trustees in order that it be absolute. »).

[116]  L’art. 2062 futur c.civ. prévoit le transfert, par le fiduciaire, de « ses biens et droits... ».

[117]  Voir infra Titre I, Chap.II, Section 1 (l’objet de la fiducie-sûreté).

[118]  C’est là une différence fondamentale avec la fiducia cum creditore puisque le constituant perdait l’usage du bien, lequel lui était souvent utile pour son activité professionnelle; c’était là un inconvénient majeur car la capacité du débiteur à rembourser sa dette s’en trouvait bien souvent diminué (car diminution de sa production); cet engrenage menait souvent à un désastre économique; c’est une raison de la disparition de cette institution.

[119]  Le droit de disposer, l’abusus, comprend le droit d’aliéner le bien et le droit de le conserver. Or, l’obligation d’affecter le bien à un but spécifique, la garantie de la dette, restreint le droit d’aliéner le bien. l’obligation, à la fin de la fiducie, et de rétrocéder le bien , et de le faire à une personne déterminée restreint le droit de conserver le bien.

[120]  A titre d’illustration pouvons-nous mentionner la remarque de M.C.Witz: « on oppose souvent en la matière propriété juridique et droits socio-économiques, voire propriété économique; nous voudrions rappeler que cela ne nous semble qu’être pure commodité temporaire de langage, car l’analyse juridique ne peut se faire qu’au niveau du droit, et entre concepts juridiques » in Les opérations fiduciaires p. 131 (cf. biblio pour ref.)

[121]  Il ressort des dispositions fiscales du projet de loi que le redevable de l’impôt est le propriétaire économique, i.e. celui qui utilise le bien, et non le propriétaire juridique, i.e. celui qui est titulaire du titre de propriété. A titre d’illustration, l’art.24 Section 2 relative aux impôts directs stipule que « lorsqu’un contrat de fiducie rend possible l’utilisation au profit du constituant (...)des biens ou droits en fiducie ou des résultats de la fiducie, ces résultats sont compris dans le revenu ou le résultat imposable du constituant pendant la durée de la fiducie. ». Cette solution est justifiée d’autant que les biens cédés au fiduciaire permettent de mesurer la capacité contributive du fiduciant et non celle du fiduciaire; l’impôt doit être calculé en fonction du revenu du propriétaire économique des biens et non en partant du revenu du propriétaire « apparent » » i.e. juridique.

[122]  La fiducie serait ainsi présentée comme une variété de simulation.  La référence à l’apparence a été supprimée dans la dernière édition du Vocabulaire juridique publié sous la direction du Doyen Cornu, P.U.F., 1987.

[123]  C.Witz, La fiducie en droit privé français  (cf. biblio.).

[124]  On peut les définir comme des « droits réels » qui sont fixés pour ne prendre effet qu’à une date future. (« Interests in land which are limitedor appointed to take effect in possession at some future time. », Mozley&Whiteley’s Law Dictionary, cf. biblio.).

[125]  Si bien que son titulaire peut en tirer profit dès ce moment. Ainsi, il a été admis que le titulaire d’un estate in expectancy pouvait le transférer par contrat (Re Burton’s Settlements [1955] Ch 82, [1954] All ER 193); cela est impossible lorsque le mode de transfert exige le transfert d’une chose actuelle.

[126]  C’est le droit d’option du bénéficiaire de la promesse. S’il lève l’option, le contrat de vente est formé. Cf. art.1589 c.civ. et Civ. 30 nov. 1988 (Bull. III n°173°).

[127]  Avant la levée de l’option, le bénéficiaire n’est titulaire que d’une créance, droit personnel, à l’encontre du promettant qui n’est alors tenu que d’une obligation de ne pas faire (obligation de ne pas conclure la vente avec une autre personne que le bénéficiaire durant le délai consenti).

[128] Il en résulte que la promesse de vente n’est sujette qu’à une publicité facultative en application de l’art. 37-1 du décret du 4 janvier 1955. C’est une publicité dénuée de la sanction de l’opposabilité.

[129]  Voir Civ.3è, 4 mars 1971 (D. 1971.358) et Civ.3è, 7 oct. 1980 (JCP 1982 p.115). Certes nous n’ignorons pas l’existence de l’arrêt du 16 mars 1994 (Civ.3è; Bull.civ.III n°58) lequel vient renverser la jurisprudence susmentionnée en posant nettement que « le pacte de préférence (...) ne constitue pas une restriction  au droit de disposer. Mais pour les besoins de la démonstration, nous nous permettons de nous appuyer sur la jurisprudence de 1971, d’autant que la position adoptée par la Cour de Cassation en 1994 est loin de faire l’unanimité en doctrine; il faut mentionner notamment l’opinion de M.Collart-Dutilleul lequel maintient que le pacte de préférence constitue bien une restriction au droit de disposer. Nous nous rallions à son opinion.

[130]  L’art. 28-2 du décret du 4 janvier 1955 prévoit la publicité obligatoire des actes qui constitue une restriction au droit de disposer. Cette publicité est sanctionnée de l’opposabilité des actes qui y sont soumis.

[131]  Le droit de la publicité foncière prend en compte cette spécificité en admettant des exceptions au principe selon lequel le droit de la publicité foncière ne s’intéresse qu’aux droits réels et parmi lesquelles figure les baux de plus de douze ans (elles rendent indisponibles l’immeuble pendant une durée telle qu’il y a restriction au droit de disposer). Dans ce cas, la publication de l’acte concerné s’intéresse moins au droit personnel né de cet acte qu’à son effet réel, la restriction au droit de disposer. S’agissant des baux de longue durée,  on peut considérer qu’ils constituent un démembrement de la propriété en ce qu’ils frappent la propriété d’une sorte d’indisponibilité et enlèvent au propriétaire la faculté de changer la destination de sa chose et ainsi influe sur la valeur vénale de l’immeuble.

[132]  Un exemple permet de s’en persuader: le bénéficiaire d’une promesse de vente (unilatérale ou synallagmatique) va pouvoir exercer des prérogatives de propriétaire sur l’immeuble avant même d’en avoir la qualité, telle que demander par avance un permis de construire.

[133]  Le cas échéant, il ne peut plus disposer librement de ce bien puisqu’il est obligé de le vendre au bénéficiaire du pacte.

[134]  M. Collart-Dutilleul in Les contrats préparatoires à la vente d’immeubles (cf. biblio.).

[135]  Il est à distinguer d’un droit réel « classique », qui confère un pouvoir direct sur la chose,  ius in rem.

[136]  S’agit-il là d’une contravention à la prohibition de la clause d’inaliénabilité, elle remplit néanmoins les conditions de l’exception admise à cette prohibition: elle est temporaire puisqu’elle s’éteint naturellement avec sa source le contrat de fiducie; elle est justifiée par un intérêt sérieux et légitime, celui de retransférer le bien au constituant lorsque la garantie n’a plus lieu de jouer.

[137]  La solution s’inspire manifestement de la Convention de la Haye du 1er juill. 1985 relative à la loi applicable au trust et à sa reconnaissance dont l’art. 11 dispose:  « les biens du trust constituent une masse distincte et ne font pas partie du patrimoine du trustee ».

[138]  Comparable mais non similaire car outre l’isolation des biens mis en trust, le trust va protéger ces derniers des créanciers personnels du trustee en attribuant au bénéficiaire l’equitable property. Or, un tel démembrement n’est pas concevable en droit français (voir introduction).

[139]  En outre peut-on citer d’autres cas d’atteinte à ce principe:  les biens des absents, les successions vacantes, la société de fait, la fondation.

[140]  Ainsi Henri Motulky affirme que « le patrimoine-propriété de personne est une institution totalement ignorée du droit positif en France, à telles enseigne que la fondation (...) ne peut vivre qu’à l’aide de l’institution de legs avec charge .» in  « De l’impossibilité de constituer un trust anglo-saxon sous l’empire de la loi française » (V. biblio. pour les ref.).

[141]  En somme, il s’agit de régler les difficultés liés au transfert de propriété tel que conçu en France: la logique du transfert de propriété voudrait que les biens cédés relèvent du même régime que l’ensemble du patrimoine du fiduciaire; ces biens devraient pouvoir être librement aliénables par le fiduciaire et saisissables par ces créanciers.

[142]  L’art.2070-10 al. 2 futur c.civ. prévoit cette hypothèse.

[143]  Sauf le cas de fraude, cf.; art.2069 al.2 futur c.civ.: « ...hors le cas de fraude aux droits des créanciers du constituant, les biens transférés au fiduciaire ne peuvent être saisis... ». Ces derniers pourront alors recourir à l’action paulienne consacrée en leur faveur à l’art.1167 c.civ.

[144]  Voir art.2069 al. 2 in fine futur c.civ.

[145]  Il peut notamment s’agir de contrat d’assurance conclus pour minimiser les risques liés à la qualité de propriétaire.

[146]  Cf. art.2069 al.2 futur c.civ. La solution est logique car on considère que les biens transférés étaient déjà grevés d’une charge au moment de la conclusion du contrat de fiducie. Admettre le contraire serait injuste car ce serait enrichir le patrimoine fiduciaire aux dépens de personnes étrangères à la fiducie. en outre, cela fragiliserait encore les sûretés qui, en plus d’être peu efficaces, verraient leurs effets (droit de suite) paralysés par le jeu de constitution de fiducie. On ouvrirai une brèche à l’utilisation abusive de la fiducie qui pourrait être conclue sur des biens d’un constituant désireux d’échapper à l’exercice, par ses créanciers hypothécaires, de leur droit de suite sur ces même biens.

[147]  in Traité théorique et pratique des trusts en droit interne, en droit fiscal et en droit international, p.31 (voir biblio pour les réf.).

[148]  A la différence d’une fondation, le trust ne peut pas être propriétaire de biens ni employer du personnel ni conclure des contrats. Seul le trustee, personne physique ou morale, est propriétaire des biens nécessaires à la vie du trust. Lui seul peut contracter en vue de remplir la mission confiée par l’acte constitutif du trust.

[149]  « Patrimoine » doit être ici entendu de manière très large comme représentant une masse de biens en dehors de tout titulaire. Il faut en effet prendre en considération le fait que les anglais ne connaissent pas la notion de patrimoine telle que reconnue en France.

[150]  in Maitland’s  Lectures on equity (cf. biblio.).

[151] C’est en réalité la division de la propriété et les règles qui en découlent qui mènent au constat que le trust property constitue un trust fund. Il n’y a pas de création volontaire d’une telle masse de biens comparable à la création du patrimoine d’affectation auquel aboutit la fiducie.

[152]  Rappelons que le juriste anglais se préoccupe plus de trouver des solutions concrètes aux problèmes qui se posent à lui que de s’assurer avant tout, comme le fait le juriste français, d’analyser la situation à l’aide des règles et principes connus du droit français, l’application logique desquels, seule, le guidera dans le choix de la solution.

[153]  C’est une application du principe Specialia generalibus derogant (quand un texte spécial déroge au texte général, il faut appliquer le texte spécial).

[154]  Celles-ci se regroupe autour de trois idées qualifiées de certitudes (certainties): la première est la certitude de créer un trust et non pas une institution voisine; la seconde est la certitude relative aux biens mis en trust, ceux-ci sont le sujets du trust; la troisième est la certitude concernant les bénéficiaires qui sont qualifiés d’objet du trust.

[155]  A titre d’illustration, on peut mentionner une affaire dans laquelle des valeurs mobilières avaient été mises au nom de la fille naturelle du donateur, de son mari et de ses deux enfants aînés. Par une déclaration orale, le donateur avait fait connaître que les biens devaient être utilisés pour le bénéfice de tous les enfants de sa fille. Cette déclaration avait été mentionnée par le donateur dans une sorte de journal. Ces circonstances ont permis à la Chancery Court de déduire du comportement du donateur qu’il n’avait pas entendu donner les valeurs mobilières en pleine propriété aux personnes au nom desquelles elles avaient été inscrites, mais constituer un trust dont les bénéficiaires seraient tous les enfants de sa fille  (Kilpin v. Kilpin, 1834, 1 Myl.& K. 520).

[156]  L’idée qui sous-tend l’exigence de l’écrit est sans doute liée au souci de mieux contrôler l’exécution par le fiduciaire de sa mission, comme en témoigne l’exigence corrélative de mentions obligatoires (lesquelles impliquent l’écrit). La non-exigence de l’écrit pour le trust est liée à la même idée de contrôle: pourquoi se prémunir d’un écrit alors que l ’ «equity looks at the intent, not at the form » (l’équité recherche avant tout l’intention et ne s’arrête pas à la forme). 

[157]  En vertu de ce principe, les modes d’extériorisation de la volonté sont libres.

[158]  Cf. art.2063 al.2 futur c.civ.

[159]  Cf. art. 2063al.3 futur c.civ.

[160]  Il sera déclarés constructive trustee des bénéficies ainsi réalisés, lesquels tomberont, par voie de conséquence, dans le trust fund. On dit qu’ils tient ces bénéfices « en trust pour » ( in trust for) les bénéficiaires du trust. Pour plus de précisions, voir infra Titre II, Chap.I.

[161]  En effet, l’art.931 c.civ. soumet les actes portant donation entre vifs à la passation devant notaire; en application du principe du parallélisme des formes, le projet soumet le contrat de fiducie conclu à fin de transmission à titre gratuit à la même formalité .

[162]  Par exemple elle permettrait d’effectuer une opération juridique sans formalités alors que la loi impose des formalités lorsque cette opération est accompli par le biais d’un certain acte, en dehors de tout cadre fiduciaire.

[163]  Or , nous savons que les exceptions doivent être interprétées restrictivement, et notamment a contrario. Elles ne sauraient être interprétées par analogie, d’autant plus qu’en l’espèce, il s’agit d’une exception à une liberté, la liberté d’extérioriser à son goût sa volonté.

[164]  A Rome, les ventes auxquelles les actes fiduciaires pouvaient être adjoints requéraient des formes solennelles: la mancipatio était un acte per aes et libram, par l’airain et la balance, qui se faisait en présence de quatre témoins et du libripens, le peseur.

[165]  Cf. Titre I, Chap.2, Section II (la solution de la publicité du contrat).

[166]  Voir ouvrages généraux de droit civil des obligations sur ce point.

[167]  Cf. art. 2066 futur c.civ.

[168]  On ne peut que rapprocher ces conditions à celle qui sont exigées d’un commerçant.

[169] Ainsi, la banque sera placé en position de supériorité par son pouvoir économique.

[170]  En bref, le constituant doit avoir la capacité de disposer du bien qui sera céder et la capacité d’accomplir l’acte juridique qui préside au transfert. Le trustee devra également avoir la capacité de disposer du bien lors du retransfert et la capacité d’accomplir les actes juridiques nécessaires à l’accomplissement du but de la fiducie. Le bénéficiaire devra avoir la capacité à recueillir un droit , i.e. devra tout simplement être vivant !

[171] Les conditions pour qu’il n’y ait pas à remplacer un trustee sont énoncées dans le Trustee Act (section 39). La plupart du temps, il sera remplacé.

[172]  En application de l’art.1129 c.civ.

[173]  En application de l’art.1128 c.civ.

[174]  Cf. art.2063 futur c.civ.

[175]  N’est-ce pas redondant avec la qualité de propriétaire qui lui est attribué ?(!).

[176]  Il faut remarquer ici que les biens du trust ne constitue pas l’objet du trust mais le sujet du trust. Cela dénote bien le caractère réel de l’opération qui, rappelons le, organise une fragmentation fonctionnelle du droit de propriété entre le management du bien, qui va au trustee, et l’enjoyment de ce même bien qui est attribué au bénéficiaire. C’est pour assurer l’exercice de ces deux prérogatives qu’est déterminé le contenu de leur « droit » respectif.

[177]  Cf. art. 1599 c.civ. L’assimilation de la fiducie à la vente sur ce point est permise puisque la question en cause intéresse leur point commun, à savoir le transfert de propriété que ces deux contrats entraîne.

[178]  A titre d’exemple, il est courant qu’une « société » ayant la forme d’un trust émette des obligations garanties par un trust constitué à partir de certains biens constitutifs du « patrimoine du trust » (trust fund) « social ». Ceux-ci seront conservés par le trustee comme garantie envers les souscripteurs.

[179]  Nous ne traiterons pas le problème de la cause illicite lequel ne présente pas de particularité propre relativement à la fiducie-sûreté.

[180]  En effet, nous considérons que le constituant n’est pas tenu d’une obligation de donner puisque le transfert de propriété est un effet automatique du contrat. Cela explique d’ailleurs pourquoi le projet ne mentionne pas la façon dont s’effectuera le transfert de propriété; cela reviendrait à mentionner les modes d’exécution d’une obligation que ne fait pas naître le contrat, à savoir l’obligation de donner.

[181]  La causa proxima est la raison proche, objective qui a conduit les parties à contracter, par opposition à la causa remotae qui prend en considération les motifs plus lointains. Le droit positif recherche dans les contrats la causa remotae, qui inclue les motifs personnels qui ont déterminés les parties à contracter.

[182]  Il n’y a aucune raison proche ou médiate qui justifie que le fiduciaire soit tenu de conserver le bien pendant une période donnée.

[183] La loi du 13 juill. 1979 institue un vente conditionnelle. Cette loi reconnaît l’interdépendance de deux contrats (vente et prêt) au sein d’une seule opération économique (l’acquisition d’un immeuble à usage d’habitation) et en tire des conséquences juridiques: la vente de l’immeuble sera conclue sous la condition suspensive de l’obtention par l’acheteur de l’obtention du prêt destiné à financer son acquisition; la non conclusion de l’un entraîne la résolution de l’autre.

[184]  Nous nous permettons de faire référence au système italien et, dans la note, au système suisse car ils sont, comme la France, des systèmes de droit civil, par opposition aux systèmes de common law et car ils partagent notre conception de la propriété et retiennent le principe du numerus clausus des droits réels.

[185]  Nous considérons que ce transfert n’a pas à être causé puisque il est de l’essence même de la fiducie. Il est néanmoins intéressant de mentionner la position italienne en ce qu’elle est suivie en droit suisse et surtout reprise avec faveur par M. C.Witz in Les opérations fiduciaires p.465 (cf.biblio pour ref.)( Pour le droit italien, voir Note de Grasseti in Riv.dir.comm., 1936.I.364 et s. et pour le droit suisse, voir par ex. l’arrêt Fritschi c/ Kohler et Studer, AFT 86 [1960] II 221).

[186]  Très simplement, la garantie autonome se présente comme le mécanisme par lequel un garant s’engage à payer un créancier, à première demande de sa part, sans pouvoir lui opposer d’exceptions.

[187]  Voir art. 2063, 3° futur c.civ.

[188]  Lorsqu’un trust privé a été établi dans un but déterminé, il doit profiter directement ou indirectement à des personnes identifiables, lesquelles seules sont à mêmes d’obliger à l’exécution du trust. En effet, il est de l’essence d’un trust d’être un droit portant sur des biens dont l’exécution puisse être revendiquée devant une juridiction. Or un «but » ne peut pas intenter une action en justice. Seules des personnes peuvent agir. Par exemple, le transfert d’un million de livres sterling en trust pour des actions méritoires au profit des habitants du Kent ne peut pas faire naître un trust valable: certes les habitant du Kent sont identifiables, mais ceux qui peuvent être qualifiés de personnes méritoires ne le sont pas.

[189]  Or un établissement de crédit ne donne pas crédit à une personne sans en connaître l’identité, afin de lui accorder crédit en connaissance de cause (notamment en connaissance de la solvabilité de son client). Ainsi peut-on dire que les contrats de crédit ou de prêt sont marqués d’intuitu personae.

[190]  Art.2063 al.2 futur c.civ.

[191]  Elle avait été formulée par Lord Nottingham en 1678 dans une affaire concernant le duke of Norfolk où les effets perpétuels d’un trust étaient perçus comme une « offense contre Dieu...contre la raison et la politique de la Common law ». La Chambre des Lords a eu l’occasion d’expliciter cette règle en posant le principe de la nullité des trusts excédant certaines périodes: « quand l’attribution d’un droit de propriété, qu’il soit légal ou équitable, est reportée à une date plus éloignée que la vie ou les vies de personnes vivantes au jour où le droit est créé, ou bien s’il s’agit d’un testament, au jour de la mort du testateur, et vingt et un ans après le terme de cette ou ces vies, le droit est nul » (Cadell v. Palmer, 1833, 1 Cl & Fin.372).

[192]  Dans le « Perpetuities and Accumulations Act » de 1964.

[193]  Ce sera le cas du trust testamentaire: une personne transfère, dans sa jeunesse, des biens à un trustee en trust pour ses descendants; le trust ne deviendra effectif qu’au jour du décès du constituant, i.e. presque « une vie » après le transfert de propriété des biens au trustee.

[194]  Le transfert des biens peut-être antérieur ainsi que l’acte créateur . Ce sera le cas pour un trust testamentaire mais le point de départ de ce délai de vingt et un ans

[195]  Sachant qu’une personne ne peut agir juridiquement que de son vivant.

[196]  Essayons-nous au calcul: sachant qu’un mineur ne peut pas, en principe, passer d’actes juridiques (tel que transférer la propriété), « la vie » comme période de référence sera entendu comme débutant à 18 ans (âge de la majorité) et on considérera qu’un homme aujourd’hui peut vivre au maximum jusqu’à 100 ans; dès lors, la durée maximale d’une « vie » peut être ramenée à 82 ans (100-18); si on y ajoute la période fixe de 21 ans, on obtient une durée totale de 103 ans, durée maximale du trust alors très proche de celle de la fiducie, qui est de 99 ans.

[197] L’art.1157 c.civ. pose cette règle. Son équivalent en common law a été posé par une décision I.R.C. v. McMullen (1981, AC 1 at 11).

[198]  Il faut comprendre efficacité ici au sens d’opposabilité, même s’il peut paraître étrange de parler d’opposabilité du contrat entre les parties; i.e. on considère ici efficace un contrat lorsque chacune des parties pourra se prévaloir de son droit né du contrat pour exiger le respect de son engagement par l’autre partie.

[199]  L’art.1321 c.civ. va en effet permettre de suspendre les effets de l’acte ostensible entre les parties (il sera néanmoins effectif à l’égard des tiers) et de donner plein effet à la contre-lettre, laquelle viendra modifier le contenu ou les effets de l’acte apparent.

[200] L’application de cette règle en matière de trust se justifie par la maxime: « Equity looks at the intent, not at the form » ( i.e. l’equity recherche l’intention et ne s’arrête pas à la forme du trust).

[201]  La charge de la preuve d’un acte ou d’un fait juridique incombe à celui qui s’en prévaut.

[202]  Voir supra Chap.I, Section II, §1, B (Effet de la qualification contractuelle).

[203] «  Le mandant peut-être engagé à l’égard du tiers sur le fondement d’un mandat apparent (...) si la croyance du tiers à l’étendue des pouvoirs du mandataire est légitime, ce caractère supposant que les circonstances autorisaient le tiers à ne pas vérifier les limites exactes de ces pouvoirs. » (AP 13 déc.1962, D.1963 p.277).

[204]  Force est de constater cependant que, même en l’absence d’une telle apparence, l’instauration du système de la publicité foncière a conduit à anéantir l’opposabilité « naturelle » du contrat compris comme fait aux tiers. Désormais, faute de publicité, il n’y a plus d’opposabilité du contrat aux tiers. La publicité est une condition de l’opposabilité.

[205]  En application de l’art.2268:  « La bonne foi est toujours présumée, et c’est à celui qui allègue la mauvaise foi à la prouver. »

[206]  On peut rapprocher cette disposition de celle applicable au pacte de réméré en vertu de l’ordonnance du 7 janvier 1959. Il en résulte que le pacte de réméré doit, pour être opposable aux tiers, être publié au bureau des hypothèques. A défaut de cette inscription, la vente sera pure et simple à l’égard des tiers.

[207]  Un propriétaire, selon la conception française, dispose bien « des pouvoirs les plus étendus sur les biens et droits » dont il est titulaire.

[208]  Voir infra Titre II, Chap.II, Section 2.

[209]  Si ce n’est le seul car de ce système découle la règle selon laquelle, si le transfert de propriété s’opère bien par le seul consentement des parties, il ne devient opposable aux tiers que par l’accomplissement d’une publicité à la conservation des hypothèques.

[210]  La publicité foncière, originellement dénommée « transcription », a été instaurée par le code civil , puis successivement élargie  par la loi du 23 mars 1855 et le décret du 4 janvier 1955

[211]  Car l’exigence de sécurité se pose plus en matière d’immeubles, à la fois au regard de leurs valeur, mais surtout à l’attachement précieux que les français prodiguent à la propriété immobilière, cette res nobilis qui incarne toujours cette recherche de liberté individuelle exprimée par les codificateurs de 1804.

[212]  En matière de biens meubles, il y aura moins de problèmes et ces derniers n’auront pas de conséquences désastreuses en raison de la valeur moindre de ces biens. En outre, les problèmes se solderont souvent par l’application de l’art. 2279 c.civ.

[213]  Voir supra  Titre I, Chap.II, Section 1.

[214]  Il faudra en outre que le contrat ait été constaté par acte authentique, condition pour que la publicité ait lieu, condition qui sera en principe remplie s’agissant de biens immobiliers; cette condition pourrait en outre être imposée en vertu d’une interprétation par analogie de l’art.2064 futur c.civ. (cf. explication supra Titre I, Chap.2, Section 1 (consentement des parties...).

[215]  La prohibition ne s’applique pas car l’inaliénabilité est temporaire (au terme du contrat, le fiduciaire devra rétrocéder le bien, i.e. l’aliéner, au constituant). En revanche, il y a bien un inaliénabilité perpétuelle du bien au tiers: en effet, dans le but de la fiducie, le contrat interdit formellement au fiduciaire d’aliéner le bien à un tiers, sauf à en aliéner également sa qualité de fiduciaire; le principe souffre d’une exception: l’aliénation au tiers redeviendra possible en cas de défaillance du débiteur dans le remboursement de sa dette, il est alors admis que le constituant aliène le bien et se rembourse sur la valeur qu’il en retire.

[216]  Il ne pourra prétendre qu’à l’obtention de dommages-intérêts, le paiement desquels sera imputé au fiduciaire-responsable d’une inexécution contractuelle, en application de l’art.1147 c.civ.

[217] En application de l’art.28-2 du décret du 4 janvier 1955.

[218]  Voir supra Chap.I, Section II, §2 (A, la nature controversée du droit du constituant).

[219]  La publicité obligatoire d’un acte fait irréfragablement présumer la mauvaise foi de celui qui prétendrait ignorer l’existence d’un tel acte. Cette règle est bonne car elle assure l’efficacité de la publicité obligatoire qui, sans cette règle, ne serait pas plus efficace que la publicité facultative de l’art.37-1 du décret du 4 janvier 1955.

[220]  Req. 28 août 1940 (Sirey 1940, V, p.103)

[221]   La loi du contrat à laquelle il s’est soumise en s’engageant lui interdit d’aliéner à tiers acquéreur.

[222]  Un artifice juridique consisterait à fonder la solution sur une application de l’art.1382 c.civ.: le tiers acquéreur peut se voir reproché d’avoir commis la faute volontaire de l’art.1382 c.civ. en acquérant le bien tout en sachant qu’il portait atteinte au droit du bénéficiaire de la promesse, et partant, de la fiducie. Cette action fautive est préjudiciable à ce bénéficiaire, lequel est dès lors fondé à agir en responsabilité délictuelle sur la base de l’art. 1382 c.civ. Le juge, prononçant la responsabilité du tiers acquéreur, est libre de prescrire le mode de réparation du dommage. Il peut opportunément prescrire une réparation en nature qui consistera dans la restitution, par le responsable, du bien au bénéficiaire.

[223]  Qualifié ainsi par M. Collart-Dutilleul.

[224]  Infra Titre II, Chap.I, Section 1 (B, choix de la qualification).

[225]  Notamment H.G. Hanbury, Essays in equity (cf. biblio.).

[226]  Infra Titre II, Chap.I, Section 1 (B, exercice de l’action du constituant).

[227]  Le législateur , se fondant sur la prévention de l’ « usure », interdit le pacte commissoire à l’art. 2078 c.civ. afin de protéger le débiteur .

[228]  Cette prohibition a également pour but de protéger le débiteur face à son créancier. Une vente aux enchères est nécessaire

[229]  L’art. 2065 futur c.civ. dispose: « Si le contrat de fiducie conclu à des fins de garantie n’en a pas disposé autrement, la valeur du bien transféré au fiduciaire doit, en cas de défaillance du débiteur, être déterminé à dire d’expert, sauf s’il s’agit de sommes d’argent, de créances, de valeurs mobilières ou de contrats côtés sur un marché organisé. ».

[230]  Voir sur cette jurisprudence des exemples mentionnés en introduction et C.Witz, Jurisclasseur de droit civil, fasc. art. 2134 n°3.

[231] Bull. Civ. IV n° 178.

[232] Bull. Civ. IV n° 116.

[233] D. 1995 p. 124.

[234] D. 1996 p. 399.

[235]  Bull. Civ. IV n° 165.

[236]  « On ne saurait se satisfaire de baptiser « carpe » un lapin d’en le seul but d’en manger le vendredi ! » (M.Collart-Dutilleul in Les contrats préparatoires à la vente d’immeubles., cf. biblio. pour ref.).

[237]  C’est à dire dans la mesure de l’acceptable en droit français, les limites de l’acceptable tenant du bon sens, de la cohérence et du respect de l’ordre public.

[238]  L’art.2063:2° exige que le contrat définisse « la mission du fiduciaire... ».

[239]  Cette volonté est manifeste, comme en témoigne l’attribution de cette qualité de propriétaire au fiduciaire dans la définition même de la fiducie telle que résultant du projet.

[240]  L’abusus ne confère-t-il pas précisément ces pouvoirs à son titulaire ?

[241] C’est d’ailleurs la solution qu’adoptait la jurisprudence néerlandaise avant que le nouveau Code Civil (N.B.W) écarte tout transfert fiduciaire à titre de sûreté (mentionnons que le droit néerlandais partage tant notre conception absolue de la propriété que le numerus clausus des droits réels) La solution jurisprudentielle aboutit à un véritable démembrement de la propriété en sorte que le fiduciaire serait titulaire d’un droit réel au contenu très particulier d’un bien qui néanmoins appartiendrait toujours au constituant).

[242] in Lexique de termes juridiques (cf. biblio pour ref.).

[243]  Art.1984 al.1 c.civ.

[244] Voir art.2070-1 al.2. futur c.civ.

[245]  Le contrôle du détournement de pouvoir consisterait à confronter le mobile qui a animé le fiduciaire en faisant tel acte au but poursuivi par la norme dont il tient les pouvoirs, i.e. le contrat de fiducie.

[246]  Res perit domino, le principe est que la charge des risques est liée à la propriété (art.1138 al.2 c.civ.).

[247]  Cf. art.2070-1 futur c.civ.

[248]  Ils pourraient justifier leur démarche en se fondant sur l’art.1162 c.civ. : l’idée est d’imputer au rédacteur du contrat, qui sera la plupart du temps le créancier (fiduciaire), l’obscurité du contenu de cette obligation de loyauté, en d’en tirer les conséquences: le rédacteur du contrat , celui qui a stipulé, doit supporter les conséquences de ce défaut dans la rédaction. l’interprétation se fera en faveur de l’adhérent, le débiteur (constituant).

[249]  On peut citer à titre d’exemple la jurisprudence rendue au sujet des contrats d’adhésion.

[250]  On sait que depuis 1991, la cour de cassation a décidé que le juge pouvait déclarer directement une clause abusive au sens de la loi du 10 janvier 1978, même en l’absence de tout décret relatif au type de clauses sanctionnées. Or, on peut imaginer un fiduciaire (vu comme « professionnel ») imposer une clause ayant pour effet de décharger les risques de la propriété sur les épaules du constituant (le « non professionnel ou consommateur »), une telle clause « relative à la charge des risques » est considérée comme abusive par la loi de 1978, le juge pourrait alors l’annuler, si bien sûr n’est pas remis en cause le pouvoir du juge d’appliquer directement la qualification de clause abusive (un arrêt Civ 24 fev.1993, Bull.1 n°88, a paru en retrait).

[251] « A trustee is under a duty to invest the trust property prudently and in accordance with statute and the terms of the trust », J.G. Ridall in The Law of Trusts (cf. biblio pour ref.).

[252]  « La bonne foi est toujours présumée, et c’est à celui qui allègue la mauvaise foi à la prouver » (art.2269 c.civ.).

[253]  Le trustee doit faire les placements nécessaires pour que les biens qui lui sont confiés ne soient pas érodés et procurent le revenu qu’on peut normalement en attendre; mais ces placements ne doivent faire courir aucun risque aux bénéficiaires du trust.

[254] L’accord du constituant sera nécessaire car ce dernier conserve la possession du bien mis en fiducie, même si la plupart du temps, le constituant ne cédera pas l’immeuble dont il est en occupation effective car les conséquences d’une éventuelle défaillance de sa part quant au remboursement de sa dette seraient désastreuses, notamment s’il s’agit d’un immeuble à usage d’habitation: le fiduciaire vendrait le bien lequel serait acquis cette fois en pleine propriété et le nouveau propriétaire exigerait la libération effective de l’immeuble. 

[255]  Le fiduciaire ne saurait tirer un profit exclusivement personnel de ces fruits; mais cela n’exclut pas pour autant que ces fruits lui soient en fait attribués, notamment à titre de rémunération mais dans ce cas, le sort de ces fruits aura été convenu et de manière générale, ils profiteront indirectement aux bénéficiaires, lesquels, dans notre exemple, n’auront pas ou moins d’intérêts à verser sur la somme prêtée à titre de rémunération du créancier.

[256]  On a pu dire ultérieurement que le bénéficiaire de la fiducie-sûreté était le fiduciaire. Certes la garantie bénéficie en premier lieu au créancier de la dette garantie, le fiduciaire. Mais il serait plus conforme à la réalité d’admettre que le constituant est également bénéficiaire de l’opération car sans la garantie, le créancier n’aurait sans doute pas accordé de crédit. Il ne faut pas considérer isolément la fiducie-sûreté mais dans le cadre de l’opération globale dans laquelle elle s’insère. Or le principal bénéficiaire de l’opération de prêt-fiducie, par exemple, est sans aucun doute le créancier, notre constituant. C’est pourquoi il nous arrivera de l’associer au beneficiary du trust.

 

[257]  Le caractère gratuit du mandat a d’ailleurs été conservé dans le code civil, « s’il n’y a convention contraire » (art.1986 c.civ.).

[258]  « la responsabilité [du mandataire] relative aux fautes est appliquée moins rigoureusement à celui dont le mandat est gratuit qu’à celui qui reçoit un salaire. » (art.1992 aL2c.civ.).

[259]  Il peut paraître étrange qu’une obligation pèse sur quelqu’un avant même que naisse le contrat qui en est la source. Cette curiosité tient de la nature même de l’obligation de loyauté laquelle ne naît pas en réalité du contrat mais de l’obligation « sociale » de bonne foi que tout un chacun contracte en entrant dans la Société. Le contrat de fiducie ne fait que reprendre à son compte cette obligation et la rend exigible en conférant au constituant une créance personnelle relative à cette obligation.

[260]  Si on admet que la cause du contrat, i.e. la cause de l’obligation fiduciaire est d’assurer le remboursement de la dette, cette cause manque car au contraire, le fiduciaire n’a que faire du remboursement de la dette puisqu’il a l’intention de conserver la propriété du bien et donc de délivrer son débiteur du remboursement de la dette à titre de paiement du bien.

[261]  Si on considère que le fiduciaire a contracté afin de bénéficier personnellement de la propriété du bien et de la conserver, cette cause est illicite en ce qu’elle implique une violation de la loi du contrat qui interdit au fiduciaire de retirer un profit personnel de l’exercice de sa mission et lui impose de rétrocéder le bien au terme du contrat et une violation de la confiance du constituant.

[262]  Si on comprend le consentement comme un accord de volontés en vue de faire naître une obligation, il n’y a pas consentement puisque dès le début, le fiduciaire n’a pas voulu que se produise les effets du contrat à son égard, à savoir l’obligation fiduciaire et les devoirs qui en découlent.

[263]  En effet, si on a pu noter que l’obligation de loyauté commençait à oser sur les épaules d’un potentiel fiduciaire avant même qu’il le devienne réellement par la constitution du contrat, le respect de cette obligation ne peut-être exigée qu’à partir de la constitution du contrat: en effet, c’est le constituant qui va pouvoir exiger le respect de cette obligation en vertu d’un créance personnelle qu’il tient à l’encontre du fiduciaire; or, cette créance ne peut naître que du contrat car c’est un effet du contrat.

[264]  La jurisprudence a inspiré les règles relatives à la délégation contenues dans le Trustee Act de 1925.

[265]  Deux exceptions existent cependant pour les cas où le trustee « délègue un pouvoir de notaire » ou s’il commet une négligence ou faute intentionnelle (wilful default) dans le choix de son représentant. Les cas échéants, il « sera responsable des  actes et négligence de celui à qui il a délégué ce pouvoir, comme s’il les avait lui-même commis ».

[266]  Il pourra cependant refuser une telle différenciation au prétexte de la règle Ubi lex non distinguit, nec nos distinguere debemus.

[267]  Cf. art.2070-10 futur c.civ. Cette disposition vient consacrer l’interdépendance des deux contrats, le contrat de base et la fiducie-sûreté duquel elle est l’accessoire.

[268]  Cf. art.2070-10 al.2 futur c.civ. qui pose « La fiducie prend fin par une décision de justice, lorsque en l’absence de stipulation prévoyant les conditions dans lesquelles le contrat se poursuivra, se produit l’un des événements ci-après:... ».

[269]  Cf. art.2070-10 al.3.

[270]  Le projet envisage le décès du fiduciaire.

[271]  Le projet prévoit la disparition de la personne morale fiduciaire, par suite d’une absorption ou d’une cession prononcée dans le cadre d’un redressement ou d’une liquidation judiciaire.

[272]  Ces circonstances sont à rapprocher des conditions particulières que doit remplir une personne afin d’être considérée « capable » d’être fiduciaire.

[273]  Cf. Trustee Act 1925  S36(1) (a) « a new trustee may be appointed in place of one who is dead, refuses to act, is unfit to act, is incapable of acting... » (un nouveau trustee peut être choisi en remplacement du trustee décédé, qui refuse d’exercer sa mission, qui est impropre à agir, qui est incapable d’agir..)., un trustee est déclaré « unfit to act » lorsqu’il est proche de la banque route.

[274]  Voir supra Titre I, Chap.I, Section II, §2 et Chap.II, Section II (proposition de qualifications).

[275]  Ils prennent conscience de ce que le fiduciaire n’est pas propriétaire tel qu’on l’entend classiquement mais qu’il serait titulaire de certains droits découlant de la propriété tandis qu’il exercerait d’autres attributs de la propriété sous forme de pouvoirs (art.2063,2°), l’ensemble faisant qu’il aurait l’apparence d’un propriétaire aux yeux des tiers (art.2068); c’est encore admettre, a contrario, qu’il n’est pas véritablement propriétaire.

[276]  On a voulu un transfert de propriété des biens mis en garantie au créancier afin que ces derniers sorte de l’assiette du droit de gage général des créanciers du débiteur. On assure ainsi la main mise du créancier sur ces biens en cas de défaillance de son débiteur.

[277]  L’idée de pouvoir justifie que le fiduciaire soit obligé d’affecter l’exercice de ses prérogatives liées à la propriété au but poursuivi au contrat, affectation que permet naturellement l’idée de pouvoir mais que ne permet pas le concept de propriété tel qu’il est entendu en droit français.

[278]  Voir supra Titre I, Chap I, Section 2, §1 (A).

[279]  Le projet envisage in fine le cas où le fiduciaire tiendrait cette qualité au sein de plusieurs fiducies. C’est une situation fréquente outre-Manche car la qualité de trustee se professionnalise.

[280]  Cette solution est tirée de la théorie de la confidentialité, développée dans la vie des affaires et appliquée en matière de trusts. Elle « repose sur le grand principe d’Equity que celui qui a reçu l’information à titre confidentiel ne peut pas en retirer un avantage déloyal. Il ne peut pas l’utiliser au préjudice de celui qui l’a donnée sans obtenir son consentement » (Seager v. Copydex, 1967, 1 WLR 923,931).

[281]  Les common lawyers en sont néanmoins conscients mais elle ne présente, pour eux, qu’un intérêt d’ordre intellectuel.

[282]  Gaius, Institutiones, Livre II, 4.

[283]  A tel point que dans un cas peu banal, Drosier v. Brereton , le créateur du monstre Frankenstein a été assimilé au créateur d’un trust, gravement mis en danger par son monstre (Frankenstein alors assimilé au trustee) , les assauts meurtriers duquel il est impuissant à contrôler  (1852, 15 Beav. 221.).

 

[284]  Ainsi en décide-t-il en cas de refus par le promettant d’une promesse unilatérale de vente de réaliser la vente avant la levée de l’option par son bénéficiaire. Le cas échéant, il est admis qu’il n’est , avant la levée de l’option, titulaire que d’un droit de créance, le droit d’obtenir la réalisation de la vente à son avantage. La cour de cassation justifie sa solution en visant l’art.1142 c.civ. et posant en principe que toute obligation de faire ou de ne pas faire se résout en dommages-intérêts en cas d’inexécution de la part du débiteur .

[285]  Car « Les meubles n’ont pas de suite par hypothèque » (art.2119 c.civ.).

[286]  Si les biens cédés sont des meubles, il s’agira le plus souvent de titres lesquels, contrairement aux immeubles, n’auront souvent aucune valeur affective pour le constituant, lequel ne s’attachant qu’à leur valeur vénale. Dès lors, une réparation sous forme de dommages-intérêts répondra en général à ses attentes.

[287]  Cf. art.2121 c.civ.

[288]  Dans le cas de la revendication du trust property, il n’y aura pas véritablement retour de ce bien dans le trust fund puisque ce bien sera considéré comme n’en étant jamais sorti. L’acquéreur de mauvaise foi sera considéré comme constructive trustee du bien acquis, puisqu’il n’a pu en acquérir que le legal title. Il en sera de même pour l’acquéreur à titre gratuit. Contrairement à l’acquéreur de bonne foi et à titre onéreux, nos deux acquéreurs ne pourront pas demander la faveur de l’equity car d’une part, He who seeks equity must do equity ou must come with clean hands (il faut être de bonne foi pour en appeler à l’equity), et d’autre part, Equity will not assist a volunteer (l’equity ne protège pas celui qui n’a pas donné de contrepartie).

[289]  L’exercice du droit de suite est soumis à la condition que cet exercice ne doit pas conduire à un résultat injuste. Cette condition s’explique par le fait que le droit de suite du beneficiary est uniquement reconnu par l’equity. Or, une equitable maxim dit « Equity acts in personam », ie les règles de l’equity s’applique sous réserve des circonstances particulières de chaque cas; or on sait que l’equity tend à assouplir la rigueur aveugle des règles de common law, donc  il ne sert à rien d’appliquer une règle Equity si elle conduit à un résultat injuste , idée exprimée dans une seconde maxime: « Equity bill not acte in vain » (L’equity  n’agira pas en vain).

[290]  J.G.Ridall, The law of trusts, (cf. biblio. pour ref.).

[291]  En vertu de l’art.2069 futur c.civ.

[292]  Space Investments Ltd v. Canadian Imperial Bank of Commerce Trust Co (Bahamas) Ltd [1986] 3 All ER 75

[293]  Hallett’s Case [1880] 13 Ch D 696.

[294]  L’art. 2063 futur c.civ. dispose que le contrat doit stipuler à peine de nullité 4° « les conditions dans lesquelles les biens et droits doivent être (...) transmis aux bénéficiaires » qui seront le constituant de la fiducie-sûreté.

[295]  Car le vendeur, en l’espèce le fiduciaire, est tenu d’une obligation de garantie et qui doit garantie ne peut évincer. Dès lors, il faut considérer que la résolution ne vaut qu’entre le constituant et le fiduciaire et ne fait pas perdre ses droits au sous-acquéreur. Le fiduciaire sera tenu d’une restitution en espèces. Dans ce cas en effet, la résolution est un trouble de droit antérieure à la vente. Voir MM. Malaurie & Aynès in  Les contrats spéciaux n°356, (cf. biblio. pour ref.).

[296]  La meilleure protection est celles qui résulte de la règle « en fait de meubles, la possession vaut titre »; en matière immobilière jouera la théorie de l’apparence.

[297]  Voir supra  Titre II, Chap. I, Section I, §2 (B) in fine (subrogation en cas de dilapidation du bien).

[298]  Cf. art.2103 c.civ.

[299]  A Rome, si le débiteur, constituant d’une fiducia cum creditore, ne remplissait pas ses obligations, le créancier pouvait, soit vendre le bien en cas de clause dite « pactum de vendendo », soit en devenir propriétaire définitivement lorsque le transfert fiduciaire était assorti d’une lex commissoria.

[300]  « Lorsqu’une obligation est contractée sous la condition qu’un événement arrivera à temps fixe, cette condition est censée défaille lorsque le temps est expiré sans que l’événement soit arrivé. »

[301]  Cf. supra Titre I, Chap.II, Section 2 (la question de la licité de la fiducie-sûreté).

[302]  Cf. art.2065 c.civ.

[303]  Voir supra Titre I, Chap.I, Section II, §1 (Conséquences de la qualification contractuelle).

[304]  Art.2070-2 futur c.civ.

[305]  Les art. 2070-2 à 2070-8 futurs c.civ.

[306]  ie trust imposé et présumé par la loi lorsqu’on peut induire des circonstances que l’aliénateur du bien a eu l’intention de réserver un intérêt équitable sur le bien cédé, à son profit ou à celui d’une autre personne, ici l’époux.

[307]  Ces intérêts de la femme sont protégés sous la section 46 Administration Estates Act 1925, corrigé par le Law Reform (Succession) Act 1995.

[308]  Cf. Tinslay v. Milligan [1993] 3 All ER, la Chambre des Lords a reconnu  à une femme lesbienne un beneficial interest sur la maison achetée par sa concubine mais dont elle avait contribué financièrement au paiement du prix. Cette fois, le resulting trust ne se fonde plus sur la presumption of advancement laquelle ne s’applique qu’aux relations familiales mais sur la présomption d’un imperfect gift (cadeau imparfait, c’est à dire sans réelle intention libérale, la jurisprudence présume la volonté du donataire de ne pas donner « absolument » le bien mais de retenir le beneficial interest, ie la volonté implicite de constituer un trust).

[309]  En principe, ils sont libres de le faire puisque le common law ignore l’institution de la réserve. Mais cette liberté se trouve en fait limitée par le jeu de ces lois protectrices des intérêts considérés légitimes.

[310]  Art. 2069 al.2 futur c.civ.

[311]  La fraude est constituée lorsque le settlor transfère des biens sans lesquels il ne peut pas s’acquitter de ses dettes.

[312]  En vertu de la maxime « Equity will not permit a statute to be used as a cloak for fraud », ie l’equity n’accordera pas sa protection , en l’espèce au trust, s’il s’agit de dissimuler une fraude.

[313]  La loi du 25 janvier 1985 a institué un système de nullité obligatoire ou facultative pour les actes accomplis entre la date d’ouverture de la faillite et celle de cessation des paiements. Les actes accomplis entre ces deux dates, qui peuvent être séparées de 18 mois, voire 2 ans, sont suspects de fraude à l’égard des créanciers.

[314]  Un easement (~servitude) est opposable automatiquement s’il est legal; s’il est equitable il n’est opposable qu’à celui qui en a eu connaissance (notice).

[315]  Supra Titre II, Chap.I (aliénation du bien fiduciaire en violation des obligations fiduciaires).

[316]  Supra Titre II, Chap.I, Section I, §2.

[317]  Le risque va être que cette possession confère au constituant-débiteur l’apparence, à l’égard des tiers, qu’il est solvable.

[318] Cf. art.2268 c.civ.

[319]  Ici, le tiers n’a pas fait d’erreur mais plutôt a cru que son auteur avait les pouvoirs d’un propriétaire, et par là même sa qualité. L’idée de croyance est également préférée en matière de mandat apparent. Le tiers contractant a cru que son cocontractant agissait toujours en qualité de mandataire alors qu’il dépassait ses pouvoirs.

[320]  L’acquisition ne peut être que celle du legal estate, et non seulement celle d’un equitable interest.

[321]  La connaissance (notice) de l’existence d’un droit peut être véritable (actual) ou présumée (constructive) (connaissance de l’existence du droit que l’acquéreur qui s’est raisonnablement informé devrait avoir )

[322]  Caractères dégagés dans le cas Midland Bank Trust Co Ltd v. Green [1981] AC 513.

[323]  Il peut s’agir d’une contrepartie en argent, en nature tle que la promesse d’un mariage futur.

[324]  Voir supra Titre I, Chap.II, Section 2 (la publicité de la qualité de fiduciaire).

[325]  Le Law of Property Act 1925 s.198(1) pose que la publication d’un titre vaut connaissance véritable de ce titre...(« registration of any instrument...shall be deemed to constitute actual notice of such instrument... »).

[326]  Si le transfert a été réalisé par le biais d’une vente, l’art.1599 c.civ. s’applique.

[327]  Elle ne va pas juger en équité, ie prendre en considération les circonstances propres à chaque cas, ce qu’elle fait en vertu de la maxime Equity acts in personam.

[328]  Certes nous avons pu dire qu’en cas de conflit entre l’equity et le common law, l’equity prime alors que dans notre cas, on applique le common law. La raison en est simple, c’est que dans notre cas, il n’y a pas de conflit puisque les règles de l’equity ne s’applique plus. Le cas échéant, dit-on, Equity follows the law, la situation légale prime..

[329]  G. Cornu.